L’ÉCONOMIE EXPLIQUÉE
Raymond Clément est économiste à la retraite. Ancien employé au département économique de Manitoba Hydro, il a aussi été chargé de cours en économie à l’ancien Collège universitaire de Saint-Boniface. L’analyste estime que les économistes et les médias on
L’économie est un thème central et parfois obscur de la campagne électorale. L’économiste à la retraite Raymond Clément nous rassure n’y a pas de réponse facile dans son domaine d’expertise.
En abordant l’économie canadienne, les partis politiques se servent-ils de « vrais » chiffres?
Les partis politiques ont tous accès aux données de Statistique Canada, de la Banque du Canada et du ministère des Finances. De plus, les cinq plus importantes banques à charte canadiennes ont toutes des départements économiques qui font des analyses.
Cependant un politicien peut toujours mettre l’accent sur le côté positif des données, tandis qu’un autre peut se pencher sur les points moins bons. Tout est dans l’interprétation.
Il y a cependant deux lacunes importantes dans les programmes économiques des partis politiques. La première est que les partis ont tendance à se servir de vieilles données pour préparer leur programme d’investissement. La deuxième est qu’il n’y a pas beaucoup de détails sur le financement des projets présentés. Est-ce que les impôts vont augmenter? Va-t-on remplacer des programmes ou des projets en cours? Les partis politiques sont avares de commentaires en ce qui concerne l’impact d’une hausse des taxes sur l’économie, les investissements et l’emploi.
En fait, les données économiques sont toujours à la fois un peu en retard et préliminaires. C’est-à-dire que les données sont aptes à être révisées lorsque Statistique Canada émet des données sur les trimestres futurs.Il ne faut donc pas mettre trop d’emphase sur les plus récentes données, mais plutôt les mettre en contexte sur une plus longue période de temps.
Le 1er septembre 2015,Statistique Canada a émis des données trimestrielles sur la croissance économique. Avec ces données, on a constaté que l’économie canadienne s’est contractée de 0,8 % au premier trimestre 2015 et de 0,5 % au deuxième trimestre. Donc, techniquement, nous sommes en récession économique.
Le 14 septembre 2015, le ministère des Finances du Canada a émis son rapport annuel pour l’année fiscale 2014-15. Un point important dans ce rapport est que le gouvernement canadien a connu un surplus budgétaire de 1,9 milliards $, et ceci après six années consécutives de déficits.
Comment peut-on interpréter ou réconcilier ces données divergentes?
Effectivement, un côté laisse présager le pire et l’autre donne un portrait plus positif. Cette courte période de pauvre croissance économique dans la première demie de l’année 2015 est dû principalement à la chute du prix du baril de pétrole de 100 $/baril en 2014 à 50 $/baril en 2015. Cette chute a causé une baisse importante dans les investissements non résidentiels, principalement en Alberta. Ces investissements en Alberta représentent environ 75 % de tous les investissements non résidentiels canadiens.
Malgré ça, le marché du travail canadien a connu de bons moments depuis la récession 2008/2009. Pour la période 2013-2014 à 2014-2015, l’économie canadienne a ajouté 109 000 emplois. Ceci a permis une augmentation de 5 milliards $ sur l’impôt des revenus personnels canadiens pour le trésor canadien.
Alors en bout de ligne, il s’agit de pondérer ces données. En effet, le surplus fiscal de 1,9 milliards $ est un petit pourcentage du PIB et de la dette canadienne.De même la baisse constatée dans la croissance économique n’est pas profonde et pourrait être temporaire. Cette baisse est causée principalement par un secteur, affecté par une variable, le prix du pétrole… Il y a d’autres secteurs qui fonctionnent assez bien.
Les plateformes électorales économiques des partis politiques cadrent-elles avec la réalité?
Les plateformes des partis politiques reflètent leur position traditionnelle relative à leur base électorale. Les conservateurs vont tenter de plaire aux commerçants et aux petites entreprises. Dans cette élection, le parti de Stephen Harper veut réduire les taxes sur les corporations de 11 % à 9 %. Cette baisse permettrait aux compagnies canadiennes de demeurer concurrentielles avec leurs homologues américaines et d’autres pays industrialisés.
Quant au Parti libéral, Justin Trudeau veut stimuler l’économie et l’emploi avec des investissements. Les libéraux sont prêts à encourir des déficits pour atteindre ce but. Le Nouveau parti démocratique veut maintenir l’équilibre budgétaire, tout en augmentant les investissements dans l’infrastructure, la santé et la petite enfance.
Quoiqu’il en soit, ces plans ne pourront pas être réalisés cette année parce qu’ils devront d’abord être discutés, débattus, insérés dans le budget annuel et votés à la Chambre des communes.
Que penser de la cible des conservateurs, celle d’obtenir tôt ou tard un budget équilibré ou un surplus?
En soit c’est louable, parce que ça démontre que le gouvernement ne veut pas perdre le contrôle du déficit et laisser la dette fédérale augmenter comme dans les années 1980.Aussi, c’est rassurant pour les investisseurs.
Cependant, est-ce qu’il y aurait d’autres objectifs sur lesquels le gouvernement aurait pu se pencher? Le Canada possède un important déficit d’infrastructures d’environ 350$ à 400 $ milliards.On connait bien la condition des routes au Manitoba! Avec un taux d’intérêt à son plus bas niveau, peut-être ce moment-ci serait le moment propice pour améliorer nos routes et nos égouts, ainsi que de développer plusieurs autres projets d’infrastructure.
Le taux de la productivité canadienne est également à son plus bas niveau historiquement. Et il est inférieur relativement à d’autres pays industrialisés. La productivité est une variable importante pour la croissance économique, la concurrence et aussi pour la hausse dans les salaires des travailleurs.
Des investissements ciblés dans plusieurs domaines auraient pu contrer un peu ces deux lacunes mentionnées.
À votre sens, quel est l’état de l’économie canadienne?
Depuis la globalisation et l’intégration des marchés à l’échelle mondiale, toutes les économies du monde sont devenues inter-reliées. Les prix de la majorité des produits et des matières premières sont établis sur le marché mondial et en devises américaines. Les fonds capitaux, comme les fonds de pensions, se promènent autour du monde à la recherche des rendements supérieurs.
Il faut dire de façon générale que l’économie mondiale ne s’est pas complètement remise de la grande récession de 2008/2009 et connait toujours une certaine faiblesse. L’Europe continue d’être faible, en partie à cause de l’énorme dette fiscale grecque, espagnole, portugaise et irlandaise. L’Asie connait des moments de ralentissements économiques. Tous ces facteurs ont un impact sur la demande globale des matières premières, ainsi que les prix, ce qui fait mal au Canada, puisque celui-ci dépend énormément de ses exportations.
Pourquoi la relance économique est-elle si lente après la crise de 2008-2009?
C’est qu’il faut rebâtir les systèmes financiers aux États-Unis et en Europe.
Le Canada, pour sa part, n’a pas connu le même genre de récession que les États Unis et l’Europe, parce que son système bancaire est beaucoup plus stable et le système financier mieux réglementé.
Malgré tout ça, le Canada est avant tout un pays exportateur. Et à cause de la faiblesse mondiale, le pays a connu des baisses importantes dans ses exportations. Entre juillet 2008 et juin 2009, les exportations canadiennes ont chuté de 37 %. Les exportations en 2015 ont commencé à augmenter pour atteindre le niveau de 2008 – une autre indication de la faiblesse mondiale depuis 2008.
Le faible taux d’intérêt qu’on connait depuis 2009 ne semble pas avoir relancé les investissements, mais a plutôt contribué à l’endettement des Canadiens et à la hausse dans le prix du logement.
L’économie est-elle mystérieuse?
Pas vraiment. Mais il y a beaucoup de données qui sont émises chaque jour avec des résultats divergents. Une semaine, le taux d’inflation est en baisse et la semaine après le taux de chômage est en hausse. Qu’est-ce qui se passe? On doit chercher derrière ces données pour tenter de comprendre la situation. L’économiste et les médias ont un rôle important à jouer afin de bien informer le public.
C’est les différentes positions de pensées économiques qui viennent brouiller les cartes.La droite politique préconise un laissez-faire du marché sans trop d’influence du gouvernement. La gauche politique constate que le marché peut connaître de temps en temps des hauts et des bas. Alors le gouvernement et le secteur privé doivent travailler ensemble pour soutenir l’économie et la création d’emplois.