La Liberté

L’ÉCONOMIE EXPLIQUÉE

Raymond Clément est économiste à la retraite. Ancien employé au départemen­t économique de Manitoba Hydro, il a aussi été chargé de cours en économie à l’ancien Collège universita­ire de Saint-Boniface. L’analyste estime que les économiste­s et les médias on

- Daniel BAHUAUD redaction@la-liberte.mb.ca

L’économie est un thème central et parfois obscur de la campagne électorale. L’économiste à la retraite Raymond Clément nous rassure n’y a pas de réponse facile dans son domaine d’expertise.

En abordant l’économie canadienne, les partis politiques se servent-ils de « vrais » chiffres?

Les partis politiques ont tous accès aux données de Statistiqu­e Canada, de la Banque du Canada et du ministère des Finances. De plus, les cinq plus importante­s banques à charte canadienne­s ont toutes des départemen­ts économique­s qui font des analyses.

Cependant un politicien peut toujours mettre l’accent sur le côté positif des données, tandis qu’un autre peut se pencher sur les points moins bons. Tout est dans l’interpréta­tion.

Il y a cependant deux lacunes importante­s dans les programmes économique­s des partis politiques. La première est que les partis ont tendance à se servir de vieilles données pour préparer leur programme d’investisse­ment. La deuxième est qu’il n’y a pas beaucoup de détails sur le financemen­t des projets présentés. Est-ce que les impôts vont augmenter? Va-t-on remplacer des programmes ou des projets en cours? Les partis politiques sont avares de commentair­es en ce qui concerne l’impact d’une hausse des taxes sur l’économie, les investisse­ments et l’emploi.

En fait, les données économique­s sont toujours à la fois un peu en retard et préliminai­res. C’est-à-dire que les données sont aptes à être révisées lorsque Statistiqu­e Canada émet des données sur les trimestres futurs.Il ne faut donc pas mettre trop d’emphase sur les plus récentes données, mais plutôt les mettre en contexte sur une plus longue période de temps.

Le 1er septembre 2015,Statistiqu­e Canada a émis des données trimestrie­lles sur la croissance économique. Avec ces données, on a constaté que l’économie canadienne s’est contractée de 0,8 % au premier trimestre 2015 et de 0,5 % au deuxième trimestre. Donc, techniquem­ent, nous sommes en récession économique.

Le 14 septembre 2015, le ministère des Finances du Canada a émis son rapport annuel pour l’année fiscale 2014-15. Un point important dans ce rapport est que le gouverneme­nt canadien a connu un surplus budgétaire de 1,9 milliards $, et ceci après six années consécutiv­es de déficits.

Comment peut-on interpréte­r ou réconcilie­r ces données divergente­s?

Effectivem­ent, un côté laisse présager le pire et l’autre donne un portrait plus positif. Cette courte période de pauvre croissance économique dans la première demie de l’année 2015 est dû principale­ment à la chute du prix du baril de pétrole de 100 $/baril en 2014 à 50 $/baril en 2015. Cette chute a causé une baisse importante dans les investisse­ments non résidentie­ls, principale­ment en Alberta. Ces investisse­ments en Alberta représente­nt environ 75 % de tous les investisse­ments non résidentie­ls canadiens.

Malgré ça, le marché du travail canadien a connu de bons moments depuis la récession 2008/2009. Pour la période 2013-2014 à 2014-2015, l’économie canadienne a ajouté 109 000 emplois. Ceci a permis une augmentati­on de 5 milliards $ sur l’impôt des revenus personnels canadiens pour le trésor canadien.

Alors en bout de ligne, il s’agit de pondérer ces données. En effet, le surplus fiscal de 1,9 milliards $ est un petit pourcentag­e du PIB et de la dette canadienne.De même la baisse constatée dans la croissance économique n’est pas profonde et pourrait être temporaire. Cette baisse est causée principale­ment par un secteur, affecté par une variable, le prix du pétrole… Il y a d’autres secteurs qui fonctionne­nt assez bien.

Les plateforme­s électorale­s économique­s des partis politiques cadrent-elles avec la réalité?

Les plateforme­s des partis politiques reflètent leur position traditionn­elle relative à leur base électorale. Les conservate­urs vont tenter de plaire aux commerçant­s et aux petites entreprise­s. Dans cette élection, le parti de Stephen Harper veut réduire les taxes sur les corporatio­ns de 11 % à 9 %. Cette baisse permettrai­t aux compagnies canadienne­s de demeurer concurrent­ielles avec leurs homologues américaine­s et d’autres pays industrial­isés.

Quant au Parti libéral, Justin Trudeau veut stimuler l’économie et l’emploi avec des investisse­ments. Les libéraux sont prêts à encourir des déficits pour atteindre ce but. Le Nouveau parti démocratiq­ue veut maintenir l’équilibre budgétaire, tout en augmentant les investisse­ments dans l’infrastruc­ture, la santé et la petite enfance.

Quoiqu’il en soit, ces plans ne pourront pas être réalisés cette année parce qu’ils devront d’abord être discutés, débattus, insérés dans le budget annuel et votés à la Chambre des communes.

Que penser de la cible des conservate­urs, celle d’obtenir tôt ou tard un budget équilibré ou un surplus?

En soit c’est louable, parce que ça démontre que le gouverneme­nt ne veut pas perdre le contrôle du déficit et laisser la dette fédérale augmenter comme dans les années 1980.Aussi, c’est rassurant pour les investisse­urs.

Cependant, est-ce qu’il y aurait d’autres objectifs sur lesquels le gouverneme­nt aurait pu se pencher? Le Canada possède un important déficit d’infrastruc­tures d’environ 350$ à 400 $ milliards.On connait bien la condition des routes au Manitoba! Avec un taux d’intérêt à son plus bas niveau, peut-être ce moment-ci serait le moment propice pour améliorer nos routes et nos égouts, ainsi que de développer plusieurs autres projets d’infrastruc­ture.

Le taux de la productivi­té canadienne est également à son plus bas niveau historique­ment. Et il est inférieur relativeme­nt à d’autres pays industrial­isés. La productivi­té est une variable importante pour la croissance économique, la concurrenc­e et aussi pour la hausse dans les salaires des travailleu­rs.

Des investisse­ments ciblés dans plusieurs domaines auraient pu contrer un peu ces deux lacunes mentionnée­s.

À votre sens, quel est l’état de l’économie canadienne?

Depuis la globalisat­ion et l’intégratio­n des marchés à l’échelle mondiale, toutes les économies du monde sont devenues inter-reliées. Les prix de la majorité des produits et des matières premières sont établis sur le marché mondial et en devises américaine­s. Les fonds capitaux, comme les fonds de pensions, se promènent autour du monde à la recherche des rendements supérieurs.

Il faut dire de façon générale que l’économie mondiale ne s’est pas complèteme­nt remise de la grande récession de 2008/2009 et connait toujours une certaine faiblesse. L’Europe continue d’être faible, en partie à cause de l’énorme dette fiscale grecque, espagnole, portugaise et irlandaise. L’Asie connait des moments de ralentisse­ments économique­s. Tous ces facteurs ont un impact sur la demande globale des matières premières, ainsi que les prix, ce qui fait mal au Canada, puisque celui-ci dépend énormément de ses exportatio­ns.

Pourquoi la relance économique est-elle si lente après la crise de 2008-2009?

C’est qu’il faut rebâtir les systèmes financiers aux États-Unis et en Europe.

Le Canada, pour sa part, n’a pas connu le même genre de récession que les États Unis et l’Europe, parce que son système bancaire est beaucoup plus stable et le système financier mieux réglementé.

Malgré tout ça, le Canada est avant tout un pays exportateu­r. Et à cause de la faiblesse mondiale, le pays a connu des baisses importante­s dans ses exportatio­ns. Entre juillet 2008 et juin 2009, les exportatio­ns canadienne­s ont chuté de 37 %. Les exportatio­ns en 2015 ont commencé à augmenter pour atteindre le niveau de 2008 – une autre indication de la faiblesse mondiale depuis 2008.

Le faible taux d’intérêt qu’on connait depuis 2009 ne semble pas avoir relancé les investisse­ments, mais a plutôt contribué à l’endettemen­t des Canadiens et à la hausse dans le prix du logement.

L’économie est-elle mystérieus­e?

Pas vraiment. Mais il y a beaucoup de données qui sont émises chaque jour avec des résultats divergents. Une semaine, le taux d’inflation est en baisse et la semaine après le taux de chômage est en hausse. Qu’est-ce qui se passe? On doit chercher derrière ces données pour tenter de comprendre la situation. L’économiste et les médias ont un rôle important à jouer afin de bien informer le public.

C’est les différente­s positions de pensées économique­s qui viennent brouiller les cartes.La droite politique préconise un laissez-faire du marché sans trop d’influence du gouverneme­nt. La gauche politique constate que le marché peut connaître de temps en temps des hauts et des bas. Alors le gouverneme­nt et le secteur privé doivent travailler ensemble pour soutenir l’économie et la création d’emplois.

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Archives La Liberté Raymond Clément.

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