L’avenir passe aussi par les artistes
Les récents commentaires émis par Steven Harper lors du débat électoral tenu à Calgary le 17 septembre dernier portant sur la notion de « Canadiens de vieille souche » m’ont beaucoup interpellé. Je dirais même que les réfutations des chefs des partis de l’opposition m’ont interpellé davantage.
Le jeune chef du Parti libéral, Justin Trudeau, n’a guère apprécié que ces propos fassent état de différentes catégories de Canadiens, alors que cette notion est au coeur de la Loi sur le multiculturalisme canadien qu’a proposé son père en 1971. Ce qui n’a pas été apprécié ressemble à l’ombre d’une hypocrisie. Sentant le besoin de préciser ses propos, Stephen Harper se justifie au lendemain du débat en précisant que ce sont « des descendants d’immigrants depuis une génération ou plus ».
Or, lorsqu’on est minoritaire au Canada, on ne peut s’empêcher de bien connaître cette majorité de « Canadiens de vieille souche » qui semble refuser d’exister. Et pourtant, elle est bien là. Elle a des caractéristiques, des symboles, des valeurs, des héros, et bien entendu une langue.Il y a une majorité anglosaxonne au Canada, n’en déplaise aux partisans du multiculturalisme pour qui « la diversité de la population canadienne sur les plans de la race, de la nationalité d’origine, de l’origine ethnique, de la couleur et de la religion constitue une caractéristique fondamentale de la société canadienne », pour citer la loi en question.
Cette majorité n’a toutefois pas de statut légal dans cette loi, comme le rappelait avec beaucoup de pertinence le sociologue québécois Gérard Bouchard lors de la troisième conférence RobertPainchaud, qui a lieu le 16 septembre 2015 à l’Université de Saint-Boniface.
Et pourtant, insistons, cette culture majoritaire impose sa présence, ses choix, sa culture et surtout son pouvoir au détriment des minorités. Quand Fred Penner agrémente la page frontispice du Winnipeg Free Press le 25 septembre dernier, on ne peut que s’exclamer sur l’omniprésence de cette culture de la majorité qui éveille des résonnances chez ces « Canadiens de vieille souche », alors que les minorités ne peuvent y accorder la même importance. Les Canadiens français qui se sont longuement battus contre ceux qu’on appelait jadis « les fanatiques » n’ont pas oublié cette culture anglosaxonne de « vieille souche » qui frémit, deçà delà, dans le discours de nos politiciens et de nos journalistes.
Cette interrogation permet de voir la complexité, la diversité, voire le flou de la culture canadienne sur laquelle il n’y a pas de consensus. Mais elle n’a d’intérêt que si elle permet de mieux comprendre, dans le prolongement des États généraux de la francophonie manitobaine, le positionnement de cette francophonie minoritaire dans cette pluralité des cultures, où une majorité perçue comme étant de « vieille souche » essaie tant bien que mal de se cacher. Il m’apparaît pertinent de reconnaître ce paradigme entre les Canadiens français et cette majorité anglosaxonne.
Au fond, il est question d’identité. Il semble que les conclusions des États généraux de la francophonie manitobaine porteront dans ce sens. Je crois qu’il y a un espace consensuel à définir le Franco-Manitobain dans une porosité, une ouverture et une fluidité identitaire, alors qu’en même temps il y a des éléments, des symboles, des mythes et une mémoire non marchandables qui ancrent cette culture. L’avenir de la francophonie manitobaine ne peut faire abstraction de son histoire, de sa langue, ses traditions et ses institutions. Mais elle devra évoluer à partir de cette ouverture pour construire un avenir commun, neuf, moderne qui ne soit ni passéiste, ni folklorique.
Que faire maintenant? Il y a deux axes sur lesquels il faudra se pencher : celui de l’ancrage symbolique et mémoriel qui définit cette culture (c’est le travail d’un Festival du Voyageur par exemple, ou encore des contenus pédagogiques dans les écoles) et celui de l’avant-garde culturelle, c’est-à-dire les espaces de discours qui permettent de faire évoluer le vivre ensemble contemporain, pluriel, et ouvert à la différence de l’autre. Ce sera le travail des artistes, dont ceux qui épouseront les voies d’explorations numériques qui favorisent une diffusion à l’échelle planétaire. Je pense aux cinéastes talentueux encore trop peu nombreux, aux écrivains, aux humoristes, aux chanteurs qui auront envie de porter leur différence sur la place du monde.
On peut déjà se féliciter de la maturité démocratique de la communauté avec cet exercice que sont les États généraux et reconnaître que son dynamisme actuel n’est ni revanchard, ni plaintif.