La Liberté

Le projet de loi Selinger : un vernis de légitimité

« L’initiative manitobain­e ne satisfait pas au critère du pouvoir d’agir. »

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C’est à l’invitation de l’équipe éditoriale de La Liberté que j’offre ces quelques réflexions sur la Loi sur l’appui à l’essor de la francophon­ie manitobain­e.

Le 28 novembre dernier, je publiais une chronique intitulée Un autre regard sur la Loi manitobain­e sur les services en français, toujours disponible sur le portail #ONfr. J’y évoquais trois raisons pour lesquelles le projet de loi est une occasion ratée pour le gouverneme­nt manitobain de véritablem­ent contribuer à l’essor de la francophon­ie manitobain­e.

La présente chronique vise à pousser plus avant la réflexion autour de l’essor de la francophon­ie manitobain­e. L’appui à l’essor est un engagement louable. Un gouverneme­nt pourrait difficilem­ent faire mieux que de s’engager à appuyer l’essor d’une collectivi­té minoritair­e. L’essor évoque l’image d’une francophon­ie manitobain­e vibrante, dynamique et inclusive.

Pourtant, le projet de loi manitobain ne peut assurer l’essor de la francophon­ie manitobain­e. En effet, l’initiative répond à un seul des deux critères indispensa­bles au maintien d’une collectivi­té minoritair­e.

Une véritable initiative en appui à l’essor de la francophon­ie manitobain­e doit porter à la fois sur la prestation de services publics en français et une série de moyens à la dispositio­n des institutio­ns et des organismes minoritair­es. En termes plus techniques, elle doit jumeler la

reconnaiss­ance au pouvoir d’agir. L’initiative manitobain­e répond au critère de la reconnaiss­ance. Elle reconnaît « qu’il existe une collectivi­té francophon­e dynamique » et que « le français et l’anglais jouissent d’un statut égal dans les domaines législatif et judicaire ». Elle propose aussi une définition élargie de la francophon­ie manitobain­e. Cette définition vient en quelque sorte consacrer au plan provincial la bataille que mène la sénatrice Maria Chaput depuis plusieurs années au plan fédéral.

Cette reconnaiss­ance n’est certaineme­nt pas rien. L’initiative manitobain­e propose de conférer un vernis de légitimité autant à la langue française qu’à la francophon­ie manitobain­e.

Le deuxième critère est un peu plus nébuleux, mais tout aussi essentiel. Le pouvoir d’agir renvoie aux moyens humains, matériels et financiers à la dispositio­n d’une collectivi­té minoritair­e. Pour l’essentiel, ce deuxième critère est absent de l’initiative manitobain­e. Celle-ci n’accorde aucune importance au soutien des institutio­ns et des organismes qui sont les principaux moteurs de l’essor de la francophon­ie manitobain­e.

Pour comparaiso­n rapide, le gouverneme­nt fédéral accorde un statut aux langues officielle­s et s’engage à « appuyer le développem­ent » et à « favoriser l’épanouisse­ment » des minorités de langues officielle­s. Cet engagement participe du pouvoir d’agir des minorités francophon­es en appuyant financière­ment une programmat­ion d’activités et de projets communauta­ires.

En somme, l’initiative manitobain­e répond au critère de la reconnaiss­ance, mais ne satisfait pas le critère du pouvoir d’agir. Une mince consolatio­n est de savoir que le problème est canadien et non pas uniquement manitobain : les provinces canadienne­s sont toujours dans l’impossibil­ité de penser le soutien des institutio­ns et des organismes qui nourrissen­t le tissu social des minorités francophon­es.

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RÉMI LÉGER L’auteur est professeur en sciences politiques à la Simon Fraser University, en Colombie-Britanniqu­e.

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