La Liberté

Les Syriens du Manitoba misent sur l’entraide

Ramah Sibaii n’oubliera jamais le 17 avril 2011. Fille de parents syriens établis en Arabie saoudite, elle était revenue en Syrie pour entreprend­re des études en médecine et vivre auprès de sa famille élargie. Elle partageait une maison à Homs avec six au

- Ruby Irene PRATKA presse3@la-liberte.mb.ca

«Cette journée-là il y avait une grande manifestat­ion de rue. Il y avait des hommes et des femmes, des filles et des garçons. À la tombée du jour les familles sont rentrées à la maison, mais beaucoup d’hommes sont restés dehors. Vers dix ou onze heures du soir on a entendu les premiers tirs. Ils ont tiré pendant quatre heures. Le lendemain, les balayeuses de rue circulaien­t, pour que ça paraisse comme si rien n’avait été. Mais on voyait du sang. »

« En 2011 j’avais beaucoup d’espoir, parce que les révolution­s éclataient au même moment en Égypte et en Libye. Je pensais que le président al-Assad allait quitter le pouvoir et qu’on allait pouvoir se faire un pays libre. On ne pouvait pas imaginer que la situation allait s’enfoncer à ce point. »

Peu de temps après, Ramah Sibaii est partie à Damas. Mais le climat de peur et de danger ne tarda pas à gagner la capitale. Elle a rejoint ses parents en Arabie saoudite. Elle y est restée jusqu’à la fin de 2013, quand elle a retrouvé son frère à Winnipeg, où il vivait depuis 10 ans.

« Il me restait seulement un trimestre avant de finir mes études en médecine. Je suis restée dans la région pendant trois ans en espérant que la situation allait s’améliorer, mais finalement c’est devenu trop dur. »

Ramah Sibaii étudie maintenant la comptabili­té à Winnipeg. Elle détient la présidence tournante de l’Assemblée syrienne du Manitoba, un petit organisme qui compte une centaine de membres adultes, qui tente de porter secours aux siens dans les moments les plus difficiles.

« Avant, l’Assemblée syrienne s’occupait surtout de l’organisati­on d’évènements culturels. D’ailleurs, ces évènements m’ont aidée à me sentir beaucoup moins dépaysée à mon arrivée. Maintenant, on aide où on peut. »

Ils aident, ils attendent, ils s’inquiètent. « J’ai des tantes, des oncles et des amis en Syrie. On a tous de la famille là-bas. On essaie de garder le contact par Internet, mais il y a souvent des coupures de courant, et le gaz est devenu hors de prix. Il y a aussi de l’insécurité généralisé­e. Quand quelqu’un ne répond pas pendant plusieurs jours, tu ne sais pas s’il y a une coupure de courant ou s’il a été kidnappé. Imaginez-vous ça!

« Je n’ai aucune idée de ce qui va se passer maintenant. L’armée d’Assad, l’État islamique et l’Armée syrienne libre se battent entre eux et les personnes ordinaires sont les victimes. Pour ce qui est de l’État islamique, ils sont vraiment sortis de nulle part. On n’avait pas cette sorte d’extrémiste­s avant la guerre, ces gens qui manipulent la religion pour leurs propres fins.

« C’est extrêmemen­t difficile pour les gens restés en Syrie. Les réfugiés qui viendront au Canada sont ceux qui vivent dans les camps au Liban et en Jordanie. Il y a plusieurs moyens de sponsorise­r un réfugié, mais si la personne est encore en Syrie, tu ne peux rien y faire. D’autant plus qu’avant, c’était facile de quitter la Syrie et d’aller en Jordanie ou en Égypte, mais les contrôles se durcissent. »

Ramah Sibaii admet que son rêve d’une Syrie démocratiq­ue s’éloigne. « J’avoue que je perds espoir. J’ai honte de dire ça, parce que tant de gens ont donné leur vie pour une Syrie libre, mais c’est vrai. »

L’étudiante et ses compatriot­es se préparent maintenant à accueillir les 2 000 réfugiés syriens qui vont arriver au Manitoba dans le cadre du plan fédéral. Si le plan se déroule comme prévu, la population des Syriens au Manitoba se multiplier­a par dix. « Au début de cette année, nous étions environ 200, y compris des enfants. Six familles de réfugiés sont déjà arrivées. J’ai discuté avec eux. Moi, j’ai perdu mes études, mais ce n’est rien comparé ce qu’ils ont vécu, à la perte d’une maison ou d’un parent. »

« Je n’ai aucune idée de ce qui va se passer

maintenant. L’armée d’Assad, l’État

islamique et l’Armée syrienne libre se battent entre eux et les personnes ordinaires sont les victimes. Pour ce qui est de l’État

islamique, ils sont vraiment sortis de nulle part. On n’avait pas cette sorte d’extrémiste­s avant la

guerre, ces gens qui manipulent la religion pour leurs propres fins.

L’Assemblée syrienne du Manitoba essaye de faciliter la recherche d’un logement pour assurer l’intégratio­n sociale des nouveaux venus. Et ils ont de l’aide. Depuis l’annonce du plan fédéral, l’organisme reçoit une pluie d’offres. « Quelques personnes nous ont contactés pour dire : “Je peux héberger une famille.” Un enseignant d’anglais à la retraite a offert des cours, il y a un groupe de dames qui cousent des couverture­s, quelqu’un qui travaillai­t au Nord a offert sa semaine de vacances pour nous aider comme il pouvait. »

Au bord des larmes, Ramah Sibaii résume : « C’est tellement encouragea­nt de voir à quel point les gens sont bons au Manitoba, à quel point ils sont prêts à aider leur prochain. »

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Photo : Ruby Irene Pratka Ramah Sibaii, de l’Assemblée syrienne du Manitoba, est touchée par les gestes de solidarité des Manitobain­s à l’endroit des réfugiés syriens.
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