La Liberté

Le Noël de la vendeuse de roses

Mais la pauvreté n’a pas d’âge. On compte par milliers de millions les enfants indigents du monde. La pauvreté a beaucoup trop de visages, les uns plus atroces que les autres : la soif, la faim, le manque de vêtements, le manque d’éducation, le manque d’a

- Maria Fernanda Arentsen

La veille de Noël, la ville se déchaine. Les gens envahissen­t les rues pour finir leurs achats. Ils remplissen­t les trottoirs, les rues, les terrasses, les mains pleines de paquets. Ils se dépêchent. Ils courent d’un magasin à l’autre. Ils occupent cafés et restaurant­s pour célébrer les fêtes et leurs amitiés, leurs amours. Ils sont heureux… Elle, elle passe invisible à côté des gens, un bouquet de roses à la main droite. Les yeux grands ouverts, le sourire édenté, la petite main gauche étendue : ‐ Une rose, Monsieur? Pour la belle demoiselle…?

La plupart du temps, il n’y a même pas de réponse. D’autres fois c’est un « Dégage! ». Parfois un poli « non, merci », à peine prononcé du bout des lèvres. Rares sont ceux qui déposent quelques sous sur sa petite main toute sale en échange d’une rose fanée, comme elle. Elle passe, invisible, entre les tables des terrasses, un bouquet de roses à la main droite. Les yeux grands ouverts, le sourire édenté, la petite main gauche ouverte : ‐ Une rose, Monsieur? Pour la belle demoiselle…? Son regard émerveillé se promène des vitrines remplies de cadeaux aux visages heureux des gens qui boivent, rient, mangent. Elle s’étonne, sourit, répète inlassable­ment :

‐ Une rose, Monsieur? Pour... ‐ Dégage! lui envoient souvent les garçons qui servent les tables. Elle obéit, se fait encore plus petite et disparait dans la foule de l’extérieur. Elle tourne et se retourne sur elle‐même. Elle se perd dans la foule, dans les rues, elle se perd sous le soleil, sous la pluie et dans le vent. Canicule ou temps glacial, elle se perd. Elle se désoriente, ses petits pieds sales gonflés, ses petites mains crasseuses tendues vers les passants, ses yeux cherchant un contact, un signe qui lui ferait comprendre qu’elle existe, qu’elle est en vie. Elle se perd dans la ville‐labyrinthe, ses roses fanées sous le bras. Sa petite voix répète sans cesse « une rose, Monsieur? » Sa petite voix que personne n’entend, sa petite voix perdue aussi, sous la lune, dans le vent, sa petite voix étouffée par le grognement de la ville. Elle ne rentre nulle part. Personne ne l’attend. Elle dort ici et là… Ça dépend… À quoi ressemblen­t tes rêves petite vendeuse de roses? Rêves‐tu des lutins de Noël, des jouets aperçus dans les vitrines des beaux magasins qui interdisse­nt ta présence? À quoi rêves‐tu, petit ange invisible ce soir de Noël?

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