L’homme du Rapport Chartier
En toile de fond de la couverture des évènements qui ont conduit en juin au passage à l’unanimité de la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine, il a fallu, de nécessité historique, rappeler l’impact du Rapport Chartier de 1998. Cette année-là, à la demande du Premier ministre progressiste-conservateur Gary Filmon, le juge Richard Chartier avait ouvert la voie à la normalisation des services bilingues en proposant des solutions à l’image du titre de son rapport : Avant tout, le bon sens.
Féru d’histoire, l’homme qui est devenu en 2013 juge en chef du Manitoba par la seule décision du Premier ministre Stephen Harper, a pu savourer en pleine conscience l’énormité du pas historique franchi par tous les députés manitobains. D’autant plus peut-être que la nouvelle étape en faveur du bilinguisme manitobain sera toujours associée au Parti progressiste-conservateur, formation partisane à laquelle Richard Chartier a été directement lié de 1983 à 1993.
Tôt dans la vie, le fils d’Honoré Chartier et Florence Legal se sent voué à l’action. Sans doute d’instinct, il comprend qu’il faut s’engager en politique pour exercer une influence sur la société. Son premier champ d’action est celui de l’affirmation linguistique. Dans son Saint-Norbert natal des années 1960, le français ne pèse guère dans la vie publique. La piqûre pro-francophone lui vient au Petit Séminaire de Saint-Boniface.
Richard Chartier est élu à la vice-présidence du Conseil Jeunesse Provincial en 1976 et se retrouve à la une de La Liberté du 19 janvier 1978. On le voit avec une brouette remplie de documents destinés aux membres de la Commission Pépin-Robarts sur l’unité canadienne. Le message des jeunes du CJP : tout a déjà été dit. Mais pour un activiste comme lui, tout reste toujours à faire. Son engagement au sein du Parti progressiste-conservateur, à un temps où les francophones du Manitoba sont surtout engagés du côté des libéraux et des néo-démocrates, lui confère d’emblée la responsabilité particulière de sensibiliser les bleus aux réalités de la francophonie minoritaire.
Richard Chartier est devenu juge à la Cour provinciale en 1993 à un temps où la fonction jouissait encore d’une considération certaine dans la population. À un temps aussi où un avocat désireux d’accéder à ce privilège devait laisser entendre discrètement qu’il ne détesterait pas recevoir un appel du ministre de la Justice. En 2006, fait très rare, le juge Chartier est passé directement d’une cour inférieure à la plus haute cour du Manitoba, la Cour d’appel.
Si l’influence politique reste à ce jour essentielle dans le système de nomination des juges, un fait doit être souligné : le métier exige de l’élu qu’il engage son honneur. Autrement dit qu’il travaille consciencieusement. Car rien n’oblige en soi un juge d’étudier à fond les dossiers souvent complexes que leur soumettent les avocats des diverses parties. Richard Chartier a la réputation de travailler fort.
Une réputation dont bénéficiait aussi un de ses prédécesseurs, le juge en chef Alfred Monnin. Lui aussi tenait à mettre de l’avant son côté terre à terre. La grande différence entre les deux juristes tient au fait qu’Alfred Monnin cultivait une conception de serviteur dans l’exercice du privilège qui lui avait été conféré. Pour sa part, à chacun sa cohérence, Richard Chartier a gardé son âme d’activiste.
Lorsqu’il est devenu juge en chef du Manitoba en 2013, il avait affirmé sa volonté de mettre son goût du gros bon sens au service de changements pour pallier les lenteurs avérées du système judiciaire. Dans un monde où de vieilles habitudes sont bien ancrées, au moins les jugements de la Cour d’appel sont maintenant rendus publics dans les délais impartis. Si avec l’aide de ses collègues il parvient à faciliter l’accès à la justice au commun des mortels, il laissera à son départ un honnête legs au système judiciaire.
Dans l’entrevue qu’il a accordée à La Liberté, Richard Chartier ne fait pas mystère qu’il quittera ses fonctions bien avant la date limite fixée à 75 ans. Une fois à la retraite, il pourra alors reprendre son entière liberté de militant. La vie de Richard Chartier, s’il reste pleinement lui-même, ne se limitera donc pas à un destin de juge en chef.