La Liberté

Un monument à la stature de Georges Forest

- par Bernard Bocquel bbocquel@mymts.net

Nul besoin de faire la démonstrat­ion que nous vivons dans un monde qui peut se résumer à une lutte entre dominateur­s et dominés. Quand les dominés renâclent, il arrive qu’un désir de s’affirmer les saisisse. Les Canadiens francophon­es en savent quelque chose, puisque trop d’anglophone­s au fin fond d’eux-mêmes considèren­t encore le bilinguism­e comme une pénible concession.

Si la nécessité de s’affirmer reste toujours d’actualité pour les francophon­es et les bilingues par choix, cette déterminat­ion tenait de l’acte de foi dans le Saint-Boniface des années 1950. L’époque était à la rationalis­ation des services municipaux dans le Grand Winnipeg. L’homme d’affaires Georges Forest réussit cependant à créer un mouvement citoyen pour défendre la dualité culturelle et linguistiq­ue de sa ville d’adoption.

En novembre 1958 il cofondait la caisse populaire du Précieux-Sang. En mars 1960, il se présentait au Palais législatif à la tête d’une foule estimée à 800 Bonifacien­s soucieux de préserver l’autonomie de leur ville. Sans succès. Avec le même souci de maintenir le caractère bilingue de la Ville-Cathédrale, celui qui s’était présenté aux élections fédérales de juin 1968 sous la bannière du Crédit Social visa en octobre la mairie de SaintBonif­ace. En vain.

Unicity, la créature des néos d’Ed Schreyer, absorba 13 municipali­tés début 1972. Histoire de calmer les appréhensi­ons des Bonifacien­s pro-bilinguism­e, le gouverneme­nt, grâce à l’influence du député de Saint-Boniface Laurent Desjardins, accorda quelques miettes de bilinguism­e sur le territoire de l’ex-ville de Saint-Boniface.

S’affirmer est une chose. S’affirmer dans la durée exige une trempe spéciale. Georges Forest la possédait. Les valeurs de solidarité et de coopératio­n sur lesquelles il avait fondé sa vie et sa famille de huit enfants avec Anita L’Heureux lui ont assuré un solide sens de persévéran­ce dans l’engagement. Car c’est en pleine cohérence avec ses conviction­s que l’homme refusa en février 1976 de payer une contravent­ion unilingue pour stationnem­ent fautif.

C’est tout aussi convaincu que le juge à temps partiel J.S. Walker décréta en juillet 1976 que la contravent­ion en litige relevait du

le coup de force des députés manitobain­s qui abolirent en 1890 le français comme co-langue officielle dans la sphère législativ­e et juridique. Dès lors notre protagonis­te mesura l’enjeu national de sa contravent­ion. Sa prise de conscience coïncida avec l’arrivée au pouvoir en novembre 1976 de René Lévesque. Le Parti québécois s’empressa de faire du français la langue officielle du Québec, provoquant ainsi une deuxième bataille juridique, cette fois sur le front linguistiq­ue de l’Est.

Après moult péripéties, le 13 décembre 1979 la Cour suprême du Canada déclara en même temps inconstitu­tionnelles des parties de la Loi 101 du PQ et le Un retourneme­nt de situation impensable, inimaginab­le quelques petites années auparavant. Tel est l’accompliss­ement historique de Georges Forest, symbolisé par la photo parue à la Une de

du 20 décembre 1979. Elle montre le cofondateu­r du Festival du Voyageur juché sur le panneau de la Cour suprême, heureux de sa victoire obtenue presque envers et contre tous, Franco-Manitobain­s y compris.

Le Comité du Monument Georges-Forest a annoncé la semaine dernière la reprise de ses activités, maintenant que le différend entre Marcien Ferland et Justin Johnson est levé. Relancé en 2012 par Marcien Ferland, ce comité né vers 2006 a déjà connu plusieurs incarnatio­ns et bien des tribulatio­ns. Son projet de monument pour rendre l’hommage mérité consiste à présenter Georges Forest accoté à un parcomètre. Cette scène n’exprime ni l’impact pancanadie­n de ce métis canadien-français, ni sa puissance d’affirmatio­n personnell­e.

Pourquoi ne pas s’inspirer de l’instantané pris à Ottawa en 1979? L’image résume l’extraordin­aire réussite du comme le qualifiait la presse anglophone. Quant à l’emplacemen­t si âprement discuté, il devrait tomber sous le sens : à l’entrée du Jardin de sculptures, entre le bâtiment de Caisse Groupe Financier et l’ancien hôtel de ville de Saint-Boniface, lui-même à un jet de pierre des bureaux du Festival du Voyageur.

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