Mais que voulaient donc ses personnages?
Que se passe-t-il quand des personnages interpellent leur auteur? Arlette Cousture, l’auteure des Filles de Caleb, connaît maintenant la réponse. Elle la donne dans son nouveau recueil Chère Arlette. (1)
Arlette Cousture a présenté Chère Arlette à son éditrice, en lui indiquant qu’elle avait « reçu des lettres ».
- « De qui? »
- « Des personnages. »
- « Ben voyons donc! » L’auteure a compris l’étonnement de son éditrice. Elle même s’était déjà étonnée que ses personnages aient « décidé » de lui écrire.
« J’ai entrepris un exercice curieux. J’ai “reçu” dix lettres. Bien sûr, c’est moi qui les ai écrites. Mais dans un sens plus profond, et réel, ce sont vraiment les personnages qui se sont exprimés. Je les ai découverts à nouveau lorsque j’ai commencé à écrire. Ils se sont incarnés. Et ils m’ont surpris.
« Quand on écrit un roman, on connaît l’itinéraire des personnages. Quand on écrit des lettres, on ne sait pas où iront les personnages. Ou ce qu’ils diront. Certains personnages me corrigent. Ils désavouent même des fois ce que j’ai écrit dans Les Filles de Caleb. D’autres me maudissent. Dans sa lettre, Henri Douville déclare : “De m’avoir créé, je vous remercie. De m’avoir fait souffrir, je vous maudis”. C’est fort. Je ne connaissais pas la souffrance de Douville à l’orphelinat. Dans sa lettre, il me l’a fait connaître. Et j’ai appris que son alcoolisme a rempiré depuis la sortie du livre. »
Mais pourquoi revisiter les personnages des Filles de Caleb en particulier?
« Au départ, je voulais trouver une manière unique d’exprimer ma gratitude envers ce roman. »
Ça se comprend. Depuis 1985, le roman a eu un profond impact sur le public canadien-français, qui a pu découvrir dans les trois tomes du romanfleuve comment vivaient leurs ancêtres à la fin du 19e siècle et au début du 20e. Grâce en grande partie aux personnages comme Émilie Bordeleau et Ovila Pronovost. La mini-série télévisée en 1990 et 1991
avait battu tous les records d’écoute. « Cette réussite étonne toujours. Quand j’écrivais Le Chant du coq, Le Cri de l’oie blanche et L’Abandon de la mésange, j’ai fait mon tout possible pour donner vie aux personnages, malgré le fait qu’à la base, ils étaient des archétypes. Mais comme le public a réagi favorablement, en vibrant il leur a donné vie. L’imagination populaire les a incarnés. »
Ce qui n’a pas empêché l’auteure de trouver « très difficile » d’écrire Chère Arlette. « Je me suis inspirée en partie de ma mère pour créer le personnage de Blanche Pronovost. Dans sa lettre, Blanche, qui souffre de démence, comme en a souffert ma mère, a du mal à s’exprimer. Son infirmière, Marie-Louise Larouche m’a fendu le coeur dans sa lettre. Et parler de la mort d’un enfant, bien que fictive, reste douloureux. » Arlette Cousture estime avoir réussi son coup. « Le secret d’incarner les personnages, c’est d’assurer le bon ton, la bonne voix. Chacun s’exprime à sa façon, dans son registre, avec son vocabulaire. C’est comme ça qu’on leur donne une psychologie, une manière de voir et de vivre bien à eux. » (1) Chère Arlette est publié aux Éditions Libre Expression. Il sera lancé le 11 octobre à Montréal.