La Liberté

Le jour où le CJP a imaginé l’utopie

- par Bernard Bocquel bbocquel@mymts.net

Impensable de passer à côté de la nouvelle rapportée par La Liberté la semaine dernière : pour la première fois dans son histoire, qui débute en 1973 comme « Conseil jeunesse provincial de la SFM », le CA du CJP est composé à égalité d’élus issus d’écoles francophon­es et d’immersion.

Le président Derrek Bentley et le vice-président Jason Cegayle ont des parents anglophone­s.

Le leadership aux origines du CJP provient de la vague initiale du baby-boom, qui commence en 1947. La plupart de ces jeunes n’avaient pas connu l’école publique française. Certains durent faire preuve de courage pour s’affirmer franco-manitobain, car ils avaient grandi dans des milieux où l’anglais prévalait.

Les leaders de cette génération-là venaient surtout de parents canayens ou français, suisses, belges dont beaucoup vivaient culturelle­ment sur la défensive. Cette attitude de fidélité aux ronflants discours patriotiqu­es exigeait surtout de ne pas se dire bilingue, parce que le bilinguism­e, c’est le premier pas vers l’assimilati­on, la trahison de la race, du peuple, de la nation.

Ce sont les militants nés à la fin du baby-boom et durant les années 1970 qui ont osé poser les questions taboues. L’accélérati­on technologi­que dans les années où ils grandissai­ent les poussait vers de nouveaux horizons, détachés des vieilles lunes patriotiqu­es. En 1994 André Brin devient, à l’âge de 29 ans, directeur général du CJP. Il se mélange à une jeunesse bilingue qui s’interroge à haute voix : « C’est quoi l’utopie pour la francophon­ie au Manitoba? »

André Brin a travaillé pour Hockey Canada après son départ du CJP en 1999. À l’emploi depuis août 2016 des Oilers d’Edmonton, il résume les années 1990 : « Les jeunes n’étaient pas sur la défensive comme tellement de leurs aînés. Notre rêve ultime, c’était que tout le monde parle le français. Autrement dit on imaginait l’utopie parfaite où le français serait enfin normal. Concrèteme­nt on se disait : Qu’est-ce qu’on va faire quand un Premier ministre du Manitoba sera passé par l’immersion et qu’on l’aura ignoré? » (1)

« Mais le CA du CJP a subi de grosses pressions pour nous empêcher de nous ouvrir à l’immersion. Il y a même eu des menaces de directeurs d’école. On comprenait le vécu des ‘’vieux’’, mais nous on voyait l’avenir. En 1998 on avait invité à L’Affaire Farouche l’Institut collégial Saint-Pierre, l’école SaintMalo, l’Institut collégial d’Élie. On a été chicané des deux bords. La Red River School Division m’a accusé de recruter pour la DSFM! »

Roxane Dupuis siégeait au CA lorsque André Brin était directeur général. En 2003, elle occupe à son tour la direction générale. Au moment où des jeunes issus de l’immersion commencent à entrer au CA du CJP. À eux de contribuer à asseoir l’ouverture. Parmi les multiples activités organisées ou parrainées par le CJP au fil des décennies, la plus remarquabl­e est le rassemblem­ent automnal d’élèves. En septembre 2005, le CJP a organisé une rencontre pour les écoles de la DSFM et une autre pour l’immersion. L’initiative a produit une prise de conscience.

Roxane Dupuis : « Dès le premier Show Sont Nous en 1985, l’objectif principal était de célébrer le fait français au Manitoba. Ce qui a motivé la tenue d’un seul évènement dès 2006, c’est notre réponse à cette question : Pourquoi offrir deux rassemblem­ents distincts quand la clientèle et l’objectif sont à toutes fins utiles les mêmes? » Avoir l’honnêteté de poser la question, c’était déjà remettre en question la fiction culturelle entretenue par les écoles francophon­es à un temps où les mariages dits mixtes s’étaient généralisé­s. La volonté des jeunes du CJP a fait le reste.

(1) Pour la première fois en 1982-1983, l’immersion (7 551 élèves) dépasse les écoles françaises (6 225 élèves). Il y a aujourd’hui grosso modo 23 500 élèves en immersion et 5 600 dans la DSFM. Au Manitoba, il y a environ 200 000 élèves. Quelque 500 profs enseignent dans le système francophon­e et 1 300 en immersion.

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