« Afin d’écarquiller les yeux des gens »
Pendant une bonne trentaine d’années, Marcien Ferland a mené une triple vie axée sur l’enseignement, la ferme et la musique. À maintenant 80 ans, il reste viscéralement ancré dans sa terre sur les bords de la rivière Sale, tout en s’adonnant à la culture
Impossible de s’ennuyer avec Marcien Ferland. L’homme a de la conversation et, l’âge venant, le tour de mêler sagesse et raisonnement. « Oui, je suis né en 1936. J’ai accepté qu’il n’y a plus moyen d’échapper à ma date de naissance. Il y a dix, quinze ans, je taisais encore mon âge. Un peu par vanité, sans doute… Comment? Oui, bien sûr, la vanité est un vice. »
Dans son recueil de nouvelles, écrites au fil d’une dizaine d’années, le fondateur (en 1960) et directeur de la chorale des Intrépides jusqu’en 2014, se fait moraliste en filigrane. « Ce livre, je l’ai fait en pièces détachées. Je n’avais pas l’idée de bâtir un recueil. Quand l’envie d’écrire me prend, c’est suite à quelque chose qui m’émeut profondément. Lorsqu’un jour je me suis penché sur les textes, j’ai constaté que le thème conducteur était la propension de l’Homme au mal. Au fond, je dépeins des vices. »
Le Bonifacien de naissance, qui a grandi au 592 rue SaintJean-Baptiste « directement en face du Collège Louis-Riel », avait toute prête une liste de faiblesses humaines recensées dans son ouvrage. Il cite pêlemêle, et sans chercher à être exhaustif : « La manipulation, la vengeance, la témérité, l’ambition, l’indifférence, l’arrogance, le narcissisme, le matérialisme, le désespoir, la curiosité… »
La curiosité? « Sur les neuf nouvelles, trois sont autobiographiques, dont Prisonnier des orgues. J’avais commis mon petit crime un samedi matin après une messe de mariage. J’avais 13 ans. J’étais allé explorer les coulisses des grandes orgues de la Cathédrale. Je me suis retrouvé dans une ville de gratte-ciel. Mais je me suis fait enfermer. À l’époque, tous les enfants avaient un canif dans leur poche et des médailles autour du cou. J’ai réussi à enlever les vis d’une serrure. Je suis arrivé à temps pour l’étude de 1 h 30 au Collège. »
Si sa jeunesse a baigné dans une atmosphère musicale par la grâce conjuguée d’un père chanteur et d’une mère pianiste, le dernier des garçons d’Avila Ferland et Anne-Marie Prendergast ne brillait pas par son sens de la discipline. À un très jeune âge le petit Marcien s’était découvert un amour indéfectible pour le jardinage. Mais le jeune collégien Ferland a dû admettre que les cadres rigides n’étaient pas son fort. « J’ai toujours eu du mal à me plier devant l’autorité. Les jésuites m’ont mis à la porte pour deux motifs : indiscipline et manque d’application. C’était vrai. Sauf pour le français et les sciences. »
Au mois d’août dernier, Marcien Ferland s’est replongé dans ses turbulences collégiennes en publiant à compte d’auteur aux Éditions Le Potache, avec la complicité d’autres anciens, une série de souvenirs sous le titre Mon Collège. « Ce livre, c’est un péché de vieillesse, conçu pour rire et faire rire. Ceux qui n’ont pas de sens de l’humour ne comprendront pas. »
Avec Vices et déboires, lectrices et lecteurs sont appelés à entrer en résonnance avec le Marcien Ferland de la maturité, maturité acquise durant les deux années passées au Grand Séminaire de Saint-Boniface. Là il s’est plongé dans les études théologiques et philosophiques et a pleinement pris conscience de deux traits de caractère : « J’ai du mal à me soumettre et j’aime bien raisonner. »
« Mon livre est bourré d’idées. Certaines nouvelles sont faites pour enclencher une réflexion. L’action se passe assez souvent à Saint-Boniface. Une des nouvelles prend place à NotreDame-de-Lourdes, une autre se déroule en France, une à Rio de Janeiro. Celle à Trois Pistoles au Québec est aussi autobiographique. L’histoire met en scène un feu de camp et une marée montante. J’ai cherché à exprimer mon admiration devant les forces de l’univers.
« J’y vois aussi toute la symbolique du Mal qui étouffe la Lumière... J’ai écrit afin d’écarquiller les yeux des gens. »
(1) Lancement le vendredi 14 octobre à compter de 17 h au Manoir de la Cathédrale, dans la salle Gabrielle-Roy, l’ancienne bibliothèque des Soeurs des Saints Noms de Jésus et de Marie.