Malheureux consommateurs américains (et nous avec)
Le psychodrame électoral américain est sorti de sa phase aiguë. Ce n’est sans doute plus qu’une question de semaines, de mois au mieux, avant que la folie ne revienne à la normale. Folie plus ou moins généralisée, symptôme de gens désemparés, sans projet de vie inspirant; et qui souvent pourtant, poussés par quelque force vitale que certains appellent volontiers amour, cherchent éperdument à donner un sens à leur existence.
Folie au fond due à la logique implacable à l’oeuvre au sein de l’humanité toute entière, triste folie qui consiste à dominer ou à subir la domination. Folie bien humaine dans laquelle nous sommes tous piégés, à un degré ou à un autre. Plus ou moins douce folie qui, lorsque la fatalité nous interdit une claire issue, nous empêche de devenir nous-mêmes, de donner le meilleur de nous-mêmes.
Ces derniers mois, c’est bien l’incontrôlable capacité de folie ordinaire du peuple américain, pris dans ses souffrances collectives, tenté comme si souvent dans son histoire de se replier sur lui-même, qui inquiète tant d’autres peuples du monde entier.
Folie de la fuite en avant d’un peuple divisé qui ne veut pas prendre la responsabilité de sa superpuissance à l’échelle planétaire. Folie de la pursuit of happiness si chère à la Déclaration
d’indépendance américaine, qui oscille depuis des décennies entre la surconsommation et la consommation à outrance.
Tous à cet égard sommes américains, piégés dans le jeu sans fin apparente d’une économie axée sur la consommation. Au moins, « l’indice de confiance du consommateur » semble un concept moins à la mode que dans les années 1980. Les médias rapportaient consciencieusement l’évolution des soifs de consommation de l’Américain, bénéficiaire de la première économie mondiale. Et peu importait que pareil indice réduisait l’humain à son exigence de base, celle de s’alimenter et de s’octroyer un brin de superflu pour espérer se sentir plus heureux.
Ces nécessités bien compréhensibles, le président américain George Bush père chercha à les exploiter à son profit fin 1992. Il s’efforça d’obtenir sa réélection face à son jeune opposant démocrate Bill Clinton à un moment où l’économie américaine éternuait. L’homme le plus puissant de la planète espérait rester au Bureau ovale en suppliant ses compatriotes de se lancer dans des achats. « Now is the time to buy! » proclama-t-il en boucle et en vain.
George Bush père ne faisait pas appel à la raison pour obtenir sa réélection. Il en était au point de devoir sous-entendre qu’un bon citoyen est d’abord un consommateur; voire même qu’un citoyen américain responsable est un consommateur prêt à s’enfoncer dans les dettes pour relancer la confiance de tout un peuple. On peut concevoir devoir moral plus élevé.
Un quart de siècle plus tard, l’élection d’un populiste guère plus démagogue que sa rivale, mais à coup sûr étranger à l’establishment politique, signale qu’une large tranche de l’électorat américain reste coincé dans l’ornière des vieilles sirènes de la consommation pour guérir son mal-être. Le simple fait qu’il soit un homme d’affaires milliardaire suffit aux crédules d’espérer qu’il saura relancer la machine économique à leur profit. En cas d’échec, au moins Donald Trump a promis d’expulser trois millions de voleurs d’emplois.
L’antidote au mal américain qui a contaminé l’ensemble de la planète reste à fabriquer. Il consiste à trouver la formule magique pour convaincre les consommateurs de tous horizons à se donner comme projet de vie la volonté de devenir des citoyens. C’est-àdire de se donner le pouvoir d’un vrai choix en introduisant une dose supplémentaire de raison dans les affaires du monde.
On naît consommateur. On devient citoyen. Ce serait folie que d’occulter cette vérité.