RENTRER DANS LES SOULIERS DES AUTRES
Que fautil pour comprendre l’Autre? S’agitil seulement de porter ses vêtements traditionnels? S’agitil d’entamer un dialogue, de comprendre d’où il vient? Ou peuton se contenter de parler du vivreensemble sans faire les premiers pas? Jessica Santerre et David Dechamplain ont revêtu des habits traditionnels africains dans un esprit d’échange avec Seydou Doumbia et son fils Sidi Mohamed, arrivés du Mali voilà à peine un mois. L’Accueil francophone a tenu un kiosque au Festival du Voyageur pour permettre à ceux qui le souhaitent d’ouvrir en grand la porte du vivreensemble.
Depuis sa création en décembre 2003 l’Accueil francophone n’a jamais reçu autant d’immigrants. Son équipe, habituée à recevoir entre 250 et 300 personnes par année, a dû composer avec une véritable vague de réfugiés et de nouveaux arrivants. Du 1er avril 2016 à ce jour, près de 500 personnes ont obtenu des services de l’organisation. Bintou Sacko, sa directrice, souligne que l’Accueil francophone vit « une période très intense », tant sur le plan organisationnel qu’humain. Son équipe n’oublie jamais qu’elle est au service non pas de clients, mais de personnes qui se font une vie nouvelle dans un pays inconnu.
L’Accueil francophone connaît une année record. En grande partie en raison de la crise des réfugiés syriens?
Oui. Lorsque le gouvernement Trudeau a fait des réfugiés syriens une priorité, il a financé plusieurs structures d’établissement au Manitoba. Entre autres, l’Accueil. En décembre 2016, on a accueilli 150 réfugiés syriens. Et notre budget pour le programme de réinstallation des réfugiés a été multiplié par cinq. Il est passé de 190 000 $ en 2015-2016 à 1 010 000 $ en 2016-2017. Celui de l’établissement des immigrants non réfugiés est passé de 650 000 $ à 900 000 $.
C’est un changement énorme...
Pour ne pas être submergés par la vague, on a embauché 15 personnes. Auparavant, nous étions 13 à l’Accueil. Entre l’arrivée de la vague de réfugiés et l’embauche des nouveaux employés, il n’y avait vraiment pas de temps. L’équipe devait être efficace tout de suite, sur le terrain. On a eu à peine le temps de les former.
Pour répondre aux besoins spécifiques des réfugiés…
Pour certains d’entre eux, et pour les nouveaux arrivants tout court, changer de pays, c’est carrément mourir et renaître. Tout est à réapprendre pour eux. Ces personnes mettent leurs vies dans nos mains.
On a vécu des périodes très intenses ici à l’Accueil francophone. Dans bien des cas, les réfugiés, comme certains immigrants, ne sont pas nantis. Ils viennent à toutes les deux semaines à la banque alimentaire que nous avons établie, avec l’aide de Moisson Winnipeg et des bénévoles engagés.
Les réfugiés arrivent dans de bonnes conditions. Mais souvent eux-mêmes ne vont pas bien. Nous avons un nombre considérable de familles avec des besoins spéciaux. Des handicaps physiques, à cause de la guerre. Et des défis de santé mentale. Certains ont des perturbations émotionnelles. Ça se comprend aisément puisqu’ils ont été traumatisés.
La nouvelle équipe a dû se dépasser…
Un esprit de corps s’est formé très vite en raison de l’intensité de l’expérience. Quand on se lie à un réfugié, on ne compte pas les heures. On ne peut pas mettre un prix sur ce qu’on fait. Les employés se donnent corps et âme. Ils impliquent leurs familles dans nos activités. On arrive au bureau avec le travail à l’esprit et on quitte le bureau avec le travail. On se couche avec le travail.
Ce que nous faisons est un travail très humain. Il faut aimer les personnes pour le faire.
Malgré tout, vous ne pouvez pas tout faire…
C’est très vrai. Ce serait impossible pour l’Accueil francophone de tout faire. Nous accueillons les immigrants. Nous les aidons à s’établir et à s’intégrer sur le plan social. Mais pour ce qui est de leur intégration dans le milieu du travail ou dans les écoles, il faut aller ailleurs.
On a établi des partenariats durables et solides avec les organismes des communautés francophone et anglophone. Comme Manitoba Start, la Division scolaire francomanitobaine, la Division scolaire de Winnipeg et Pluri-elles. Entre autres. Le NEEDS Centre de Winnipeg est un partenaire important. Dès l’arrivée des immigrants, il prépare les enfants à intégrer le système scolaire. Alors on travaille avec eux dès que nous accueillons une famille.
Il y a aussi l’Archidiocèse de Saint-Boniface…
Oui. L’archidiocèse nous a donné des unités au Centre de pastorale, situé au 622 avenue Taché. Ces appartements servent de logements de transition pour les nouveaux arrivants. Ils s’ajoutent à la trentaine d’appartements que nous gérons à Winnipeg et Saint-Boniface. Travailler avec l’archidiocèse, c’est une relation naturelle, puisque les églises qui font le parrainage de réfugiés se prévalent de plus en plus de notre service en orientation. Les réfugiés parrainés par le privé viennent nous voir aussi, même si nous ne les prenons pas complètement en charge.
Vous avez obtenu l’usage de l’ancien presbytère de la Paroisse Cathédrale…
Ce local était absolument nécessaire, étant donné la croissance de nos activités. Le presbytère répond bien plus à nos besoins. On est vraiment serrés ici, au 420 rue Des Meurons. Ici, on n’a pas suffisamment d’espace. Au presbytère, on aura accès à trois étages complets. Nos 15 nouveaux employés y sont déjà, pour être à quelques pas du 622 Taché. Dans un avenir rapproché, toute l’équipe sera au presbytère. La date du déménagement n’est pas encore fixée, mais ça se fera dans un avenir très rapproché.
L’Accueil francophone multiplie aussi les partenariats…
C’est très vrai. On a beaucoup d’activités et nous en sommes fiers. Avec la Fédération des aînés franco-manitobains, on a organisé une série de rencontres pour aider les aînés immigrants et d’ici à se réunir. Pour jaser et briser l’isolement.
Avec le Réseau communautaire, on a mis sur pied À la découverte du
rural. À partir du 24 février, les nouveaux arrivants auront la chance à tous les mois, de découvrir la vie francophone en région.
Vous encouragez donc les Manitobains à tisser des liens avec les nouveaux venus…
Ce sont des activités qui découlent directement de notre vocation. L’Accueil cherche à agrandir l’espace francophone. On n’y arrivera pas si on vit en silo. Alors en plus d’aider les nouveaux arrivants, nous sensibilisons la communauté d’accueil. En encourageant les rencontres et le dialogue pour qu’elle puisse s’ouvrir toujours et encore plus à la diversité.
C’est dans cet esprit que notre deuxième Jour J, qui se déroulera le 18 mars au Collège Louis-Riel, prend tout son sens. Nous avons eu des échos positifs de la première rencontre, du 12 mars 2016. Des liens durables ont été tissés. »