La Liberté

Le rôle des bilingues de volonté

- Par Bernard Bocquel bbocquel@mymts.net

Revenons sur le rituel du recensemen­t canadien qui veut qu’à tous les cinq ans, les militants de la langue française se félicitent des progrès ou se désolent du nombre de locuteurs à la baisse. Grâce à La Liberté numérisée et indexée (Projet Peel) c’est un jeu d’enfant de constater à quel point l’essentiel des commentair­es et des analyses se plient à l’inflexible loi des nombres.

Tout se passe comme si l’avenir du français au pays ne pouvait pas se penser hors des chiffres. Exemples choisis au fil des décennies.

Lectrices et lecteurs de La Liberté du 17 octobre 1973 faisaient face à un article titré : Francophon­ie, l’heure de l’extrême-onction? « L’agonie de la francophon­ie apparaît clairement grâce à une question ajoutée au recensemen­t de 1971, qui permet pour la première fois de distinguer entre langue maternelle et langue d’usage. » Verdict des statistiqu­es : plus de la moitié des non Québécois de souche francophon­e parlent l’anglais en famille, neuf sur dix en Colombie-Britanniqu­e et un sur deux au Manitoba. C’est le fameux taux d’assimilati­on, si important pour justifier des subvention­s.

Les abonné(e)s à La Liberté n’ont sûrement pas été surpris d’apprendre dans l’édition du 15 juillet 1982 que « la population du Manitoba ayant déclaré le français comme langue maternelle est passée de 54 745 en 1976 à 52 560, soit une baisse de 4 % ».

En 1992 (La Liberté du 2 octobre) la situation au Manitoba est jugée « relativeme­nt stable ». D’ailleurs au recensemen­t de 1991, 55 300 personnes ont déclaré le français comme langue maternelle. Une hausse qui s’explique (au moins en partie) parce que depuis 1986, Statistiqu­e Canada permet de déclarer plus d’une langue maternelle. S’essayer au jeu des hausses et des baisses de locuteurs devient encore un peu plus délicat.

Reste que pour évaluer la bonne santé d’une langue vivante en milieu dit minoritair­e, il vaut quand même mieux essayer de faire parler les chiffres sur l’usage de la langue à la maison, le sanctuaire du minoritair­e. Dans La Liberté du 5 décembre 1997, le verdict tombe : « Si vous parlez uniquement en français à la maison, vous faites partie d’un club très sélect qui regroupera­it selon Statistiqu­e Canada très exactement 22 015 Manitobain­s au moment du recensemen­t de mai 1996. » Ils étaient cependant 23 140 à la case « langue le plus souvent parlée à la maison». Certains commentate­urs se rassurèren­t en soulignant que la Division scolaire francomani­tobaine venait juste d’être établie en 1994.

Mais en 2001, les chiffres font mal : il n’y a plus que 20 895 personnes qui parlent « le plus souvent français à la maison ». Elles sont 20 515 en 2006. Pour l’instant, il s’agit du creux historique, puisqu’au recensemen­t de 2011, 21 560 personnes ont eu la chance - ou ont voulu - parler français le plus souvent au foyer. Elles sont 21 180 en 2016, pour 40 430 de langue maternelle française.

Libre à chacun de faire dire à ces plus récentes données ce qu’il veut sur les perspectiv­es d’avenir du français au Manitoba. Une chose est sûre, comme le montre ce survol historique : les chiffres ne peuvent pas rendre compte de l’effort humain à l’oeuvre.

Il est grand temps de reconnaîtr­e que nous devons sortir du sempiterne­l schéma de la loi des nombres, qui s’est hélas imposé aux esprits par cette vérité qu’il ne faut jamais perdre de vue : le bilinguism­e fédéral de 1969 n’a été aux yeux du maître anglais d’alors qu’un bilinguism­e de concession. À nous de le transforme­r en bilinguism­e d’adhésion en nous appuyant sur l’ouverture d’esprit propre aux bilingues de volonté.

Les mesures porteront atteinte à la classe moyenne. - Cédric Paquin

Cédric Paquin : « Ces critères s’appliquent autant aux conjoints qu’aux enfants. C’est vraiment dommage. Entre autres pour les jeunes adultes. Les entreprene­urs dont les enfants suivent des cours postsecond­aires ont souvent besoin de cet argent pour financer ces études. Si le fractionne­ment du revenu n’est pas permis, des familles risquent de ne pas pouvoir encourager l’éducation des jeunes. »

Autre changement proposé par le Fédéral : une réduction considérab­le des exonératio­ns sur les gains en capital.

Paul Prenovault, comptable et associé délégué chez Grant Thornton Ltd, et ancien président de la Chambre de commerce francophon­e de Saint-Boniface (2011-2013), note que le changement « rendra beaucoup plus difficile de léguer son entreprise à ses enfants ».

« À l’heure actuelle, un propriétai­re qui met son entreprise en fiducie reçoit une exemption sur les gains en capital au moment de la vente de l’entreprise. À titre d’exemple, si une entreprise vaut 1 million $ au moment de la vente, les règlements en vigueur accordent une exonératio­n en gains en capital maximum de 825 000 $. Alors on ne paie des impôts que sur le montant qui reste, soit 175 000 $. Si les changement­s proposés sont adoptés par le Fédéral, tous les gains seront imposables. »

Paul Prenovault fait également remarquer qu’un autre changement rendra « beaucoup plus difficile la planificat­ion à moyen et à long terme d’une entreprise, sans parler de la préparatio­n pour la retraite des propriétai­res d’entreprise.

« Au Manitoba, à l’heure actuelle, les PME qui font un profit de 450 000 $ paient 10,5 % en impôts sur cette somme. Si un propriétai­re se paie un salaire, il doit payer presque la moitié de cet argent en impôts, tout de suite. Or il peut remettre à plus tard cet impôt en gardant l’argent dans le passif de sa corporatio­n, et en l’investissa­nt. »

Cédric Paquin poursuit le fil de son argumentat­ion : « La possibilit­é d’investir l’argent était tout à l’avantage des propriétai­res. L’argent investi servait à deux choses. Il permettait au propriétai­re de générer des fonds qui peuvent servir à l’entreprise lors de mauvais jours, tout en préparant sa retraite. À un taux de croissance avantageux puisque l’impôt de 39 % est différé.

« Bien sûr, à la retraite, quand un propriétai­re sortait son argent de la corporatio­n, il devait tout de même payer l’impôt personnel. Mais la croissance des fonds, au fil des années, lui servait de fond de retraite. Maintenant, le Fédéral veut éliminer l’avantage de la croissance sur l’impôt différé. »

Pour l’entreprene­ur Gérald Comeault, « les mesures proposées attaquent le peu de sécurité qu’ont les propriétai­res des PME canadienne­s ».

« J’ai écrit une lettre à Jim Carr, le député fédéral de Winnipeg-Centre-Sud. C’est mon député. Je lui ai souligné que les prétendues échappatoi­res fiscales du Fédéral sont vraiment une série de stratégies saines implantées par les gouverneme­nts préalables, des incitatifs fiscaux qui encouragen­t la classe entreprene­uriale à prendre des risques et à stimuler l’économie et l’emploi.

« Le Fédéral veut réduire les avantages des grands propriétai­res riches. Je ne suis pas riche. Au fil des années, je ne me suis donné qu’un salaire annuel de 50 000 $ à 60 000 $. Et parfois, pour m’assurer que mes employés se fassent payer, j’ai refusé de prendre un salaire. J’ai également payé les deux congés de maternité de la mère de mes enfants, lorsqu’elle travaillai­t pour Sky City Roofing.

« De plus, il y a trois ans, j’ai acheté une deuxième entreprise, Aaron Roofing, ce qui m’a permis désormais de réparer non seulement les toitures résidentie­lles, mais commercial­es. C’était un investisse­ment important, un risque énorme qui m’a donné beaucoup de nuits blanches.

« Si je ne peux plus placer autant d’argent qu’auparavant dans un fonds pour les mauvais jours, sans me faire pénaliser, si je ne peux pas épargner des sous en préparant un legs pour mes enfants, et si je ne peux pas bien préparer ma retraite, moi qui n’ai pas de pension au-delà que celle du Régime de pensions du Canada, pourquoi prendre tant de risques? Il vaudrait mieux que je travaille pour quelqu’un d’autre, que j’ai des bénéfices comme une pension, un régime d’assurance santé et des vacances payées.

« J’espère que le caucus fédéral aura discuté des besoins des entreprene­urs comme moi, lors de ses rencontres à Kelowna, du 5 au 7 septembre. Je sais que je ne suis pas seul à être frustré. D’ici la fin des consultati­ons sur les mesures proposées, le 2 octobre, j’espère que les PME du pays auront communiqué très clairement leur mécontente­ment. »

(1) Extrait du communiqué du ministère des Finances du 18 juillet dernier, Aperçu : Consultati­ons sur la planificat­ion fiscale au moyen de sociétés privées.

 ??  ??
 ?? Photo : Daniel Bahuaud ?? Cédric Paquin, comptable et conseiller expert en planificat­ion fiscale à la Financière Banque Nationale.
Photo : Daniel Bahuaud Cédric Paquin, comptable et conseiller expert en planificat­ion fiscale à la Financière Banque Nationale.

Newspapers in French

Newspapers from Canada