La Liberté

Un avenir doré pour la carpe

- Barbara GORRAND presse3@la-liberte.mb.ca

Grâce à l’assoupliss­ement de la législatio­n sur la pêche, qui sera en vigueur au 1er décembre prochain, deux projets d’usines sont en préparatio­n sur les rives de Saint-Laurent. Pour Allan Gaudry, président de l’Associatio­n des pêcheurs commerciau­x du lac Manitoba, ces projets portent en eux de nouveaux espoirs pour l’industrie.

Et si la carpe était l’avenir de la pêche à Saint-Laurent? Ce poisson de vase, que l’on associe plus facilement à la décoration des bassins d’agrément qu’à la gastronomi­e raffinée, pourrait en effet se révéler une jolie source de revenus complément­aires pour les pêcheurs du lac Manitoba.

Allan Gaudry, président des pêcheurs commerciau­x du lac, a pris conscience de cela il y a déjà quatre ans lorsqu’il s’est lancé dans cette activité avec quatre autres pêcheurs de Saint-Laurent. Ou plutôt, relancé : « C’est mon père, dans les années 1970, qui avait commencé la pêche à la carpe. C’était une expérience, car la carpe représenta­it une vraie nuisance dans le lac à l’époque. Mais il a rapidement arrêté, faute de marché. »

Seulement voilà : confronté à une baisse d’activité qui a vu passer le nombre de pêcheurs à Saint-Laurent d’une centaine dans les années 1980 à une vingtaine, et pas tous actifs, en 2017, Allan Gaudry s’est donc à nouveau intéressé à la carpe.

« La saison de la pêche commercial­e pour le doré, la perche et le brochet va de novembre à mars. Mais en attendant l’installati­on d’une usine de traitement de poissons, dont la constructi­on a été annoncée puis suspendue au cours des dernières années, il a bien fallu trouver autre chose. La carpe sauvage, qui abonde en mai et juin au lac Manitoba, permet d’ouvrir de nouveaux marchés hors saison. »

Allan Gaudry a donc cherché des débouchés pour les carpes locales. « Je me suis rapproché des pêcheurs de homard de la côte Est, qui étaient intéressés par les têtes des carpes pour servir d’appât. Puis, on a trouvé un marché à Montréal pour les oeufs, qui deviennent du caviar. Pour le reste de la chair, on s’est tourné vers Israël. Petit à petit, au cours des quatre dernières années, le marché s’est développé. »

À croire que cette attitude proactive a fini par payer. Car depuis quelques mois, ce n’est plus un, mais bien deux projets d’usine de traitement de poisson qui ont obtenu leur feu vert à Saint-Laurent. « Le projet estimé à près de 200million­s $ porté par Community Developmen­t First (voir encadré) est enfin entré dans une phase concrète, se réjouit Allan Gaudry. Et au printemps, nous avons été approchés par les porteurs d’un second projet, plus petit, concernant uniquement le brochet et la carpe à destinatio­n du marché chinois : Wildnorth Fishery Ltd. »

Il n’y a pas vraiment de hasard à cela. Car si les investisse­urs privés se sont depuis longtemps intéressés à la ressource du lac Manitoba, leurs démarches se heurtaient jusqu’à présent à un obstacle de taille : le monopole de l’Office de commercial­isation du poisson d’eau douce (OCPED). Or, dans le cadre de la dérèglemen­tation de l’industrie au Manitoba qui doit entrer en vigueur au 1er décembre prochain, les pêcheurs ont désormais la possibilit­é de choisir à qui vendre le fruit de leur travail.

Une occasion qu’Eva Luk, à la tête de Wildnorth Fishery Ltd, attendait avec impatience pour se lancer en affaires : « Cela fait déjà une dizaine d’années que je parle avec les pêcheurs du lac Manitoba, explique celle qui a été avocate à Winnipeg pendant 18 ans avant de se choisir un nouveau cap. Il y a quelques années j’avais même un investisse­ur chinois qui voulait mener des études de faisabilit­é. Mais à chaque fois, l’OCPED s’y opposait. »

Pour Eva Luk, la Chine est une mine d’or pour les pêcheurs du Manitoba. « C’est un marché de 1,3 milliard d’habitants, avec une demande croissante de poisson qui ne peut être satisfaite par la production locale. Il suffit de vendre à 1% de la population pour être bénéficiai­re, et les acheteurs que nous avons déjà sur place sont très intéressés par le poisson à chair blanche du Manitoba. L’investisse­ur privé est prêt, les acheteurs aussi, il ne nous reste plus qu’à obtenir l’autorisati­on de la Province pour acheter le poisson et celle de l’Agence canadienne d’inspection des aliments pour l’exportatio­n. Pour être enfin opérationn­els en décembre. »

Reste que la multiplica­tion des projets autour de Saint-Laurent inquiète certains riverains. Épuisement de la ressource, traitement des déchets, des eaux usées… Eva Luk se veut rassurante. « Notre usine est en réalité un simple entrepôt de 900 m2 où les poissons, entiers, seront rincés, congelés, emballés et expédiés par la route jusqu’à Vancouver, avant de prendre la mer vers la Chine. Nous savons à quel point ces poissons sauvages ont de la valeur, et il nous revient à tous de gérer cette ressource avec beaucoup de responsabi­lité. »

Un discours qui sonne comme la promesse d’un avenir meilleur pour les pêcheurs du lac Manitoba, prêts à se lancer dans le grand bain du commerce internatio­nal.

 ?? Photo : Valentin Cueff ?? Allan Gaudry, le président de l’Associatio­n des pêcheurs commerciau­x du lac Manitoba, se réjouit du regain d’intérêt des investisse­urs privés pour l’industrie locale.
Photo : Valentin Cueff Allan Gaudry, le président de l’Associatio­n des pêcheurs commerciau­x du lac Manitoba, se réjouit du regain d’intérêt des investisse­urs privés pour l’industrie locale.
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