La Liberté

The Birth of a Nation

La naissance d’une Nation

- Sharon Parenteau

Des premières colonies sur les bords de la rivière Rouge aux contours actuels de la province, Sharon Parenteau, directrice générale de l’Institut Louis-Riel et professeur­e d’histoire métisse à l’Université de Winnipeg, revient sur les grandes étapes de la création du Manitoba.

Central de par sa géographie, le Manitoba joue aussi un rôle‐clé dans l’histoire du Canada. Car c’est bien là qu’est né le peuple libre, Otipemisiw­ak. Une Nation née au con luent des rivières Rouge et Assiniboin­e, à la croisée des chemins autochtone­s et du vieux continent. « Bien sûr, les voyageurs canadiens‐ français arrivés du Québec, comme les employés anglais ou écossais de la Compagnie de la Baie d’Hudson, ont épousé des femmes autochtone­s et ont eu beaucoup d’enfants tout au long de leurs séjours, au gré de la traite des fourrures. Ainsi, des métissages se produisaie­nt même auparavant. Mais ce n’est qu’en arrivant à la Colonie de la Rivière‐Rouge qu’ils se sont véritablem­ent installés, qu’ils ont choisi de vivre ensemble. Et pour y parvenir, puisque tous parlaient plusieurs langues différente­s – cri, français, gaélique, ojibwé… ‐ ils ont développé leur propre langage. C’est comme cela qu’est né le peuple métis. » Pour Sharon Parenteau, l’acte fondateur de cette nation en création, c’est le mitchif. « Des chercheurs du monde entier viennent aujourd’hui étudier cette langue qui mêle français et cri, car c’est un exemple unique de langage créé par un peuple a in de surmonter ses différence­s. Des années 1700 jusqu’en 1869, les Métis qui se sont ixés à la rivière Rouge ont développé leur propre culture, se sont répartis autour des paroisses, qu’elles soient plutôt francophon­es, et de religion catholique, ou anglophone­s, et de religion anglicane et presbytéri­enne. À l’apogée de son histoire, 85 % de la population de la rivière Rouge était métisse. » Et c’est ce peuple, uni malgré ses différence­s, qui a encore su défendre un intérêt commun lorsque son histoire a pris un tournant décisif. « En 1869, le Canada nouvelleme­nt créé a décidé d’étendre son territoire à l’Ouest en rachetant les terres de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Les Métis ont alors vu arriver des arpenteurs envoyés par le gouverneme­nt d’Ottawa, pour organiser des parcelles de terre. Des terres sur lesquelles les Métis étaient déjà installés! C’est comme ça qu’est née la Résistance de la Rivière‐Rouge. Et nous parlons de résistance, non de rébellion, puisque le territoire à cette époque n’appartenai­t pas au Canada : les Métis défendaien­t tout simplement ce qui leur appartenai­t. » Conscients qu’il ne s’agissait que d’un sursis, les Métis ont alors constitué un gouverneme­nt provisoire que Louis Riel a présidé dès décembre 1869. Puis le mois suivant, la grande convention a eu lieu. « La Convention était constituée de deux membres élus de chaque paroisse, représenta­nt à parts égales les francophon­es et les anglophone­s, qui ont travaillé ensemble a in d’établir une déclaratio­n des droits métis. Ces élus ont mis de côté leurs différence­s, y compris religieuse­s, pour défendre les droits de tout un peuple. Des droits qui défendaien­t l’usage du français aussi bien que de l’anglais comme langues of icielles. Le 20 février 1870, la Convention a dépêché trois représenta­nts à Ottawa, a in de négocier l’entrée du territoire en tant que province dans la Confédérat­ion. Ils obtiendron­t la Loi sur le Manitoba qui reprend en grande partie les revendicat­ions des Métis. » Ces promesses ne seront pas tenues, comme l’histoire l’a montré. Et bien des Métis, craignant pour leur vie, ont fui. Mais leur berceau demeure ce qui est aujourd’hui le Manitoba. « D’un bout à l’autre du pays, de l’Ontario à la Colombie‐Britanniqu­e, la nation métisse a ses racines au Manitoba, reprend Sharon Parenteau. C’est d’ailleurs l’une des conditions pour être reconnu en tant que Métis, encore aujourd’hui : pouvoir faire remonter sa

généalogie à la Colonie de la Rivière‐Rouge. » Les Métis ont donc fait entrer le Manitoba dans l’histoire contem‐ poraine du Canada. « Sans nos ancêtres, qui sait? Peut‐être que ce territoire aurait intégré les États‐Unis d’Amérique, comme cela avait été envisagé à l’époque. Sans leur interventi­on, sans doute que la langue française n’aurait pas été reconnue of iciellemen­t dans la province, au détriment même du mitchif. Nous leur devons notre histoire, mais surtout, notre avenir. »

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