Les fermiers : des entrepreneurs multitâches
Cinquième exportateur de produits agricoles et agroalimentaires de la planète, le Canada est l’un des greniers à blé de la planète. L’activité agricole impose de constants défis de productivité, auxquels de nouvelles technologies doivent répondre.
À 60 ans, Lucille Dufresne-Labossière est copropriétaire de la ferme Labossière à Saint-Léon. 4 300 acres de blé, de canola, lin, pois, soja, seigle et avoine qu’elle gère avec Luc, son mari. « Comme les fermes deviennent de plus en plus grosses, on cherche à faire le plus de travail avec le moins de personnes. Les employés saisonniers ne sont pas toujours faciles à obtenir. Alors la machine remplace, et va continuer de remplacer, beaucoup de main-d’oeuvre. »
Une évolution qu’elle a pu observer de ses yeux depuis son arrivée sur l’exploitation. « Quand j’ai rencontré mon mari en 1988, il avait une semeuse qu’il remplissait avec des sacs de semence. Ça prenait plusieurs personnes pour la remplir et la nettoyer. Maintenant, avec le Convey-All, on met tout directement dans les différents compartiments de la semeuse. » Les progrès du matériel agricole se sont portés sur l’arrivée d’outils de précision, comme le système d’autoguidage. Un boîtier GPS qui permet de cartographier l’ensemble des parcelles et de maîtriser la trajectoire du tracteur et de ses outils. En 2015, cet équipement ultra sophistiqué était utilisé par 35,1 % des exploitations agricoles de la province.
Conseiller en production agricole au ministère de l’Agriculture du Manitoba depuis trente ans, Réjean Picard remarque l’apport considérable de ces nouveaux outils de précision. « Il y a dix, quinze ans, les systèmes d’autoguidage arrivaient. Aujourd’hui, on continue dans cette ligne-là, avec des équipements qui permettent une meilleure productivité et moins de perte. À l’avenir, je pense qu’il va y avoir une précision encore plus poussée, grâce à l’image aérienne et l’utilisation des drones. » Le travail de l’agriculteur a également connu une révolution d’envergure sur le plan de la gestion, grâce aux logiciels de gestion pointus, que Lucille Dufresne-Labossière a progressivement adopté. « Ça a été quelque chose d’apprendre ce système. On ne l’emploie d’ailleurs pas encore à son plein potentiel. J’y rentre toutes mes dépenses, recettes, achats et capitaux. Toutes les données chiffrées de l’exploitation sont à notre portée. Dès qu’on veut un
rapport, on l’a immédiatement. »
La profession d’agriculteur n’a donc plus rien à voir avec ce qu’elle était il y a quelques décennies. « Autrefois on disait : C’est pas grave si t’es pas bon à l’école, tu feras fermier! Mais aujourd’hui il faut bien se rendre compte que l’agriculteur doit avoir des connaissances dans tous les domaines. Il faut qu’il soit à la fois mécanicien, gestionnaire et scientifique. On n’en sait jamais assez. »
Un statut d’entrepreneur multitâches sur lequel repose des responsabilités toujours plus importantes. Notamment lorsqu’il s’agit d’investir de très grosses sommes d’argent. « Aujourd’hui, il faut autour de 550 000 dollars pour acheter une moissonneuse. Ça représente des sommes énormes. Or les risques sont aussi de plus en plus élevés, notamment au niveau du climat. Et ces avancées technologiques ne vont pas changer le tempérament de Dame Nature. » Avec une saison de croissance de 100 à 105 jours par an, de mai à septembre, le Manitoba n’est en effet pas à l’abri des altérations du climat. Pour Réjean Picard, les prochaines avancées dans le domaine agricole devront notamment permettre de faire face à ces incertitudes. « Un des défis sera de s’adapter aux changements climatiques. Les nouveaux outils devront aider l’agriculteur dans sa prise de décision sur la ferme. L’objectif sera d’intégrer ces technologies et de les rendre faciles à comprendre. » De nouveaux outils ont d’ailleurs été présentés en juillet dernier à la foire agricole « Ag In Motion », près de Saskatoon. Lucille Dufresne-Labossière et son mari y étaient. « On nous a montré un outil de la taille d’une balle de ping-pong. Il permet d’évaluer nos récoltes stockées dans nos silos et prévient des possibles maladies. On nous a également parlé de nanopoussières qui pourraient récolter les données du sol et des plantes en temps réel. »
Encore abstraites il y a peu, ces idées se concrétisent aujourd’hui sous forme de prototypes. Exemple : la plateforme Dot, introduite à ce salon, et conçue pour effectuer des tâches agricoles de manière autonome. Un horizon qui paraît encore loin pour la Manitobaine de Saint-Léon. « Jamais rien n’est impossible. Mais quand j’ai vu tous les techniciens travailler dessus, je me suis dit que lorsque ce genre de matériel arrivera dans nos campagnes, on devra acquérir de nouvelles compétences. Ce seront de nouveaux défis pour les agriculteurs. »
A vec moins de 4 % de la population canadienne, le Manitoba produit environ 10 % des denrées agricoles nationales. 36 % proviennent de ses terres cultivables, en expansion de 7,3 % entre 2011 et 2016, avec 11,5 millions d’acres. Une période pendant laquelle la taille moyenne des exploitations manitobaines s’est également accrue, passant de 1 135 à 1 193 acres. (Source : Rapport de Statistique Canada sur l’agriculture du Manitoba, diffusé le 10 mai 2017.)