La Liberté

Jérusalem : Le dilemme perpétuel

- Sébastien Pelletier aemedias@monusb.ca

En décembre dernier, la Maison-Blanche a officielle­ment reconnu Jérusalem comme étant la capitale d’Israël. Cette décision s’est avérée très controvers­ée aux États-Unis ainsi que sur la scène internatio­nale, malgré qu’elle ait réellement été prise par le 104e Congrès américain, il y a plus de 20 ans. Commençons par un peu d’histoire. Suite à la Deuxième Guerre mondiale, le plan de partage des Nations Unies, établi en 1947, envisageai­t Jérusalem comme une « ville internatio­nale » distincte. Cependant, la guerre qui a suivi la déclaratio­n d’indépendan­ce d’Israël un an plus tard a laissé la ville divisée. Lorsque les combats israélo-arabes ont pris fin en 1949, un traité a dessiné la frontière de l’armistice et a vu l’État d’Israël contrôler la moitié occidental­e et la Jordanie contrôler la moitié orientale. Pendant la guerre des Six Jours de 1967, Israël a capturé et annexé Jérusalem-Est, lui donnant ainsi contrôle et autorité sur toute la ville depuis ce temps. Étant donné que cette ville historique est considérée comme étant sacrée dans les religions judaïque, chrétienne et islamique, les Palestinie­ns ainsi que de nombreux membres de la communauté internatio­nale revendique­nt toujours la partie est de Jérusalem. Pour eux, Jérusalem-Est demeure et sera toujours considérée comme la capitale d’un futur État palestinie­n. Le statut final de Jérusalem a toujours été l’une des questions les plus difficiles et les plus sensibles du conflit israélo-palestinie­n. Pendant des années, la politique des États-Unis a consisté à éviter de déclarer Jérusalem la capitale d’Israël en l’absence d’un accord de paix israélo-palestinie­n. Il était soutenu que le fait de prendre une décision unilatéral­e romprait avec le consensus internatio­nal et trancherai­t une question qui devait être laissée aux négociatio­ns. Reconnaitr­e Jérusalem comme la capitale d’Israël serait d’entériner la souveraine­té israélienn­e sur la ville. En 1995, le 104e Congrès américain a adopté le « Jerusalem Embassy Act », sans toutefois que ce document n’obtienne de signature présidenti­elle. La loi fut adoptée par le Sénat avec un vote de 93 en faveur et 5 contre, ainsi que par la Chambre des représenta­nts avec un vote de 374 en faveur et 37 contre, tous deux des supermajor­ités. La loi exigeait que les États-Unis déplacent leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem avant le 31 mai 1999, reconnaiss­ent Jérusalem comme la capitale de l’État d’Israël et appellent à ce que Jérusalem reste une ville indivisée. Les partisans ont déclaré que les États-Unis devraient respecter le choix d’Israël de considérer Jérusalem comme sa capitale et la reconnaitr­e comme telle. Malgré le passage de cette loi, elle permettait au président d’invoquer une renonciati­on de six mois à l’applicatio­n de la loi, et de réémettre la dérogation tous les six mois pour des raisons de « sécurité nationale ». La dérogation a été invoquée tous les six mois, depuis 1995, par les présidents Clinton, Bush et Obama, qui ont refusé de déplacer l’ambassade, citant justement des intérêts de sécurité nationale selon le Mémorandum présidenti­el pour le secrétaire d’État. Le 6 décembre 2017, cependant, le Président Trump a affirmé que, puisqu’il avait promis durant sa campagne électorale qu’il respectera­it les souhaits du Congrès concernant le Jerusalem Embassy Act, dorénavant les États-Unis reconnaitr­aient Jérusalem comme la capitale d’Israël et qu’il ordonnerai­t immédiatem­ent la planificat­ion du transfert de l’ambassade américaine par l’entremise de la proclamati­on présidenti­elle n o 9683, renversant ainsi sept décennies de politique étrangère américaine. Trump a dit : « Alors que les présidents précédents ont fait de cette campagne une promesse majeure, ils ont échoué à la tenir. Aujourd’hui, je la tient. » Pourtant, à la suite de l’annonce, Trump a de nouveau signé, comme il l’avait fait en juin 2017, une dérogation retardant officielle­ment le déménageme­nt de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem pendant six mois, a indiqué un responsabl­e du Conseil de

sécurité nationale. Légalement, cependant, l’ambassade des États-Unis peut être déplacée à tout moment malgré la dérogation. Le leader de la minorité sénatorial­e Chuck Schumer, un démocrate de l’État de New York qui a prouvé être un critique sévère du président Trump, a reproché à Trump son indécision sur la question, mais soutient en fait le mouvement, affirmant que cela « montrerait au reste du monde que les États-Unis reconnaiss­ent définitive­ment Jérusalem comme la capitale d’Israël ». La sénatrice Dianne Feinstein, une démocrate de la Californie, quant à elle, a critiqué le président pour sa décision de nommer Jérusalem la capitale d’Israël, malgré son vote en faveur du Jerusalem Embassy Act en 1995, qui stipulait exactement cela. Le gouverneme­nt israélien a loué l’initiative du président Trump de tenir sa promesse. Le premier ministre Benjamin Netanyahu a salué Trump pour avoir pris cette décision qu’il a qualifié « d’un pas important vers la paix, car il n’y a pas de paix qui n’inclut pas Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël ». Netanyahu a également affirmé qu’il espère que d’autres pays suivront l’exemple américain. Le maire de Jérusalem, Nir Barkat, l’un des plus fervents défenseurs du mouvement, a déclaré à CNN que la décision de Trump était « la bonne chose à faire, et qu’ici, à Jérusalem et en Israël, nous applaudiss­ons le président ». Cependant, le service de sécurité du départemen­t d’État américain prévoit des manifestat­ions potentiell­ement violentes dans les ambassades et les consulats des États-Unis. Les dirigeants palestinie­ns, quant à eux, sont catégoriqu­es sur le fait que le déplacemen­t d’une ambassade à Jérusalem serait une violation du droit internatio­nal et un grand revers pour la paix. Le président Mahmoud Abbas s’est tourné vers d’autres dirigeants du monde, y compris le président russe Vladimir Poutine et le roi Abdullah de Jordanie, pour faire pression sur Trump pour qu’il change d’avis. L’Organisati­on de libération de la Palestine a suggéré qu’elle envisagera­it de révoquer sa reconnaiss­ance d’Israël et d’annuler tous les accords entre Israéliens et Palestinie­ns si le déplacemen­t avait lieu. Au lendemain de l’annonce, M. Abbas a déclaré que cela alimentera­it l’extrémisme dans la région. Hanan Ashrawi, un membre du comité exécutif de l’Organisati­on de libération de la Palestine, a déclaré que cela sonnait « le glas de tout processus de paix ». Plusieurs craignent que cela puisse déclencher une vague d’agitation, voir même des manifestat­ions ou de la violence, dans les territoire­s palestinie­ns et à travers le monde arabe. L’Assemblée générale des Nations Unies a adressé une réprimande cuisante à Donald Trump, votant à une très large majorité pour rejeter sa reconnaiss­ance unilatéral­e de Jérusalem comme capitale d’Israël. La première ministre britanniqu­e, Theresa May, a déclaré que l’annonce de Trump était « peu utile en termes de perspectiv­es de paix dans la région », et que le Royaume-Uni n’avait pas l’intention de faire de même. Le président français, Emmanuel Macron, et la chancelièr­e allemande, Angela Merkel, ont également condamné cette démarche. Trump a soutenu que le fait de retarder la reconnaiss­ance ainsi que le déplacemen­t de l’ambassade, comme ses prédécesse­urs l’avaient fait, n’avait pas amélioré les espoirs de paix dans la région. « Après plus de deux décennies de dérogation­s, nous ne sommes pas plus proches d’un accord de paix durable entre Israël et les Palestinie­ns. Ce serait de la folie de supposer que de répéter exactement la même formule produirait maintenant un résultat différent ou meilleur. »

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