Jérusalem : Le dilemme perpétuel
En décembre dernier, la Maison-Blanche a officiellement reconnu Jérusalem comme étant la capitale d’Israël. Cette décision s’est avérée très controversée aux États-Unis ainsi que sur la scène internationale, malgré qu’elle ait réellement été prise par le 104e Congrès américain, il y a plus de 20 ans. Commençons par un peu d’histoire. Suite à la Deuxième Guerre mondiale, le plan de partage des Nations Unies, établi en 1947, envisageait Jérusalem comme une « ville internationale » distincte. Cependant, la guerre qui a suivi la déclaration d’indépendance d’Israël un an plus tard a laissé la ville divisée. Lorsque les combats israélo-arabes ont pris fin en 1949, un traité a dessiné la frontière de l’armistice et a vu l’État d’Israël contrôler la moitié occidentale et la Jordanie contrôler la moitié orientale. Pendant la guerre des Six Jours de 1967, Israël a capturé et annexé Jérusalem-Est, lui donnant ainsi contrôle et autorité sur toute la ville depuis ce temps. Étant donné que cette ville historique est considérée comme étant sacrée dans les religions judaïque, chrétienne et islamique, les Palestiniens ainsi que de nombreux membres de la communauté internationale revendiquent toujours la partie est de Jérusalem. Pour eux, Jérusalem-Est demeure et sera toujours considérée comme la capitale d’un futur État palestinien. Le statut final de Jérusalem a toujours été l’une des questions les plus difficiles et les plus sensibles du conflit israélo-palestinien. Pendant des années, la politique des États-Unis a consisté à éviter de déclarer Jérusalem la capitale d’Israël en l’absence d’un accord de paix israélo-palestinien. Il était soutenu que le fait de prendre une décision unilatérale romprait avec le consensus international et trancherait une question qui devait être laissée aux négociations. Reconnaitre Jérusalem comme la capitale d’Israël serait d’entériner la souveraineté israélienne sur la ville. En 1995, le 104e Congrès américain a adopté le « Jerusalem Embassy Act », sans toutefois que ce document n’obtienne de signature présidentielle. La loi fut adoptée par le Sénat avec un vote de 93 en faveur et 5 contre, ainsi que par la Chambre des représentants avec un vote de 374 en faveur et 37 contre, tous deux des supermajorités. La loi exigeait que les États-Unis déplacent leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem avant le 31 mai 1999, reconnaissent Jérusalem comme la capitale de l’État d’Israël et appellent à ce que Jérusalem reste une ville indivisée. Les partisans ont déclaré que les États-Unis devraient respecter le choix d’Israël de considérer Jérusalem comme sa capitale et la reconnaitre comme telle. Malgré le passage de cette loi, elle permettait au président d’invoquer une renonciation de six mois à l’application de la loi, et de réémettre la dérogation tous les six mois pour des raisons de « sécurité nationale ». La dérogation a été invoquée tous les six mois, depuis 1995, par les présidents Clinton, Bush et Obama, qui ont refusé de déplacer l’ambassade, citant justement des intérêts de sécurité nationale selon le Mémorandum présidentiel pour le secrétaire d’État. Le 6 décembre 2017, cependant, le Président Trump a affirmé que, puisqu’il avait promis durant sa campagne électorale qu’il respecterait les souhaits du Congrès concernant le Jerusalem Embassy Act, dorénavant les États-Unis reconnaitraient Jérusalem comme la capitale d’Israël et qu’il ordonnerait immédiatement la planification du transfert de l’ambassade américaine par l’entremise de la proclamation présidentielle n o 9683, renversant ainsi sept décennies de politique étrangère américaine. Trump a dit : « Alors que les présidents précédents ont fait de cette campagne une promesse majeure, ils ont échoué à la tenir. Aujourd’hui, je la tient. » Pourtant, à la suite de l’annonce, Trump a de nouveau signé, comme il l’avait fait en juin 2017, une dérogation retardant officiellement le déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem pendant six mois, a indiqué un responsable du Conseil de
sécurité nationale. Légalement, cependant, l’ambassade des États-Unis peut être déplacée à tout moment malgré la dérogation. Le leader de la minorité sénatoriale Chuck Schumer, un démocrate de l’État de New York qui a prouvé être un critique sévère du président Trump, a reproché à Trump son indécision sur la question, mais soutient en fait le mouvement, affirmant que cela « montrerait au reste du monde que les États-Unis reconnaissent définitivement Jérusalem comme la capitale d’Israël ». La sénatrice Dianne Feinstein, une démocrate de la Californie, quant à elle, a critiqué le président pour sa décision de nommer Jérusalem la capitale d’Israël, malgré son vote en faveur du Jerusalem Embassy Act en 1995, qui stipulait exactement cela. Le gouvernement israélien a loué l’initiative du président Trump de tenir sa promesse. Le premier ministre Benjamin Netanyahu a salué Trump pour avoir pris cette décision qu’il a qualifié « d’un pas important vers la paix, car il n’y a pas de paix qui n’inclut pas Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël ». Netanyahu a également affirmé qu’il espère que d’autres pays suivront l’exemple américain. Le maire de Jérusalem, Nir Barkat, l’un des plus fervents défenseurs du mouvement, a déclaré à CNN que la décision de Trump était « la bonne chose à faire, et qu’ici, à Jérusalem et en Israël, nous applaudissons le président ». Cependant, le service de sécurité du département d’État américain prévoit des manifestations potentiellement violentes dans les ambassades et les consulats des États-Unis. Les dirigeants palestiniens, quant à eux, sont catégoriques sur le fait que le déplacement d’une ambassade à Jérusalem serait une violation du droit international et un grand revers pour la paix. Le président Mahmoud Abbas s’est tourné vers d’autres dirigeants du monde, y compris le président russe Vladimir Poutine et le roi Abdullah de Jordanie, pour faire pression sur Trump pour qu’il change d’avis. L’Organisation de libération de la Palestine a suggéré qu’elle envisagerait de révoquer sa reconnaissance d’Israël et d’annuler tous les accords entre Israéliens et Palestiniens si le déplacement avait lieu. Au lendemain de l’annonce, M. Abbas a déclaré que cela alimenterait l’extrémisme dans la région. Hanan Ashrawi, un membre du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine, a déclaré que cela sonnait « le glas de tout processus de paix ». Plusieurs craignent que cela puisse déclencher une vague d’agitation, voir même des manifestations ou de la violence, dans les territoires palestiniens et à travers le monde arabe. L’Assemblée générale des Nations Unies a adressé une réprimande cuisante à Donald Trump, votant à une très large majorité pour rejeter sa reconnaissance unilatérale de Jérusalem comme capitale d’Israël. La première ministre britannique, Theresa May, a déclaré que l’annonce de Trump était « peu utile en termes de perspectives de paix dans la région », et que le Royaume-Uni n’avait pas l’intention de faire de même. Le président français, Emmanuel Macron, et la chancelière allemande, Angela Merkel, ont également condamné cette démarche. Trump a soutenu que le fait de retarder la reconnaissance ainsi que le déplacement de l’ambassade, comme ses prédécesseurs l’avaient fait, n’avait pas amélioré les espoirs de paix dans la région. « Après plus de deux décennies de dérogations, nous ne sommes pas plus proches d’un accord de paix durable entre Israël et les Palestiniens. Ce serait de la folie de supposer que de répéter exactement la même formule produirait maintenant un résultat différent ou meilleur. »