23 nuances de Franco-manitobains
Les Allogènes, c’est bien plus qu’une pièce. Ce projet de théâtre participatif met en scène une palette de francophones du Manitoba, qui racontent leur histoire et discutent leur rapport à leur lieu de vie.
Pour le metteur en scène franco-espagnol Ricardo Lopez Muñoz, le théâtre est avant tout un lieu de rencontres et de confrontations d’idées.
« C’est l’endroit du débat. Il faut qu’on dise les choses, celles qui nous rassemblent et parfois celles qui nous divisent, si on veut avancer. Pour moi, le théâtre n’est pas un lieu où l’on résout des problèmes. On y pose des problèmes. »
Originaire de Paris, il met la participation des gens au coeur de sa vision du théâtre. Passionné par « la question du récit de vie », il a mené des projets similaires aux Allogènes depuis une dizaine d’années, à Paris, en Espagne, au Portugal, en ex-yougoslavie, ou encore en Guyane.
« Cet ailleurs me va bien. Ça bouscule tout le temps ta manière de regarder le monde. Si tu restes dans ton petit endroit, au fond tu n’arrives même plus à le regarder. Ton monde ne dialogue pas avec d’autres mondes. »
L’aventure des Allogènes a commencé en 2013, lorsque sa route a croisé celle de la directrice du théâtre Cercle Molière, Geneviève Pelletier, au festival Carrefour international de théâtre, à Québec.
Leur projet : que des francophones au Manitoba mettent en scène leurs propres récits, leur rapport au lieu où ils vivent, pour amener une réflexion de groupe. « L’idée était de parler de cette diversité qui arrive, de comment la grande Histoire se confronte aux petites histoires. »
À la rentrée 2017, le projet prend une forme plus concrète. Ricardo Lopez Muñoz et le Cercle Molière lancent un site : lesallogenes.com, dont le but est de recueillir les témoignages de Manitobains de tous horizons.
« Un espace où l’on peut dire quelque chose de soi, d’un territoire, d’une réalité qu’on traverse en arrivant ici, que ce soit hier, ou il y a longtemps. »
Il a ensuite été proposé aux personnes ayant témoigné d’amener leur histoire sur les planches. En tout, 23 personnes, parmi lesquelles seulement trois comédiens professionnels, ont accepté de monter sur scène.
Depuis, l’équipe répète les récits et fait du travail choral. S’il y a bien un scénario, aucune histoire n’est écrite. Les participants la peaufinent, la réinventent, au fil des jours. Et en parlent.
« On essaye de questionner, de débattre entre nous. Sur la question de la communauté, notamment. Qu’est-ce que c’est que ce mot étrange, où chacun y met un peu ce qu’il veut? »
Ricardo Lopez Muñoz souligne que la pièce est en constante évolution. Il souhaite garder une part de surprise sur son déroulement, mais assure que chaque représentation sera différente. « On est dans un processus qui, du jour au lendemain, peut changer. La première représentation le 1er mars, on ne sait pas ce qu’on va en faire. Ce que je sais, c’est ce qu’il s’est passé pendant un mois avec les participants. Une parole s’est libérée au fur et à mesure. »
Avec ce processus, il espère créer une réflexion chez les participants eux-mêmes. Et que leurs récits renvoient les personnes dans le public à leur propre histoire.
« On souhaite qu’à travers le récit de celui qui est sur scène, on convoque le récit de celui qui écoute. C’est une espèce d’échange, de partage du récit, de moi vers l’autre. L’idée n’est pas de faire rire ou pleurer les gens ensemble, c’est que chacun s’interroge sur sa propre histoire. »