La Liberté

Greg Selinger, ou le souci de rechercher l’équilibre

- Valentin CUEFF vcueff@la-liberte.mb.ca

Après avoir occupé pendant près de 20 ans le siège de député de Saint-boniface, Greg Selinger quittera son poste le 7 mars.

Sa démission précipitée fait suite aux accusation­s de harcèlemen­t de la part de cinq femmes à l’encontre de Stan Stuthers, qui était membre de son cabinet alors qu’il était Premier ministre.

À une semaine de son départ, rencontre avec l’ancien Premier ministre. Exercice de prise de recul sur la vision politique qu’il a défendue.

Dans la Grande entrevue que vous avez donnée à La Liberté en octobre 2016, vous disiez que votre legs politique se trouve principale­ment dans l’éducation et la santé…

J’avais alors pris et je continue de prendre une vision globale de la responsabi­lité d’un Premier ministre. On doit avoir la vision d’une meilleure qualité de vie pour que la population puisse vivre avec des libertés. Quels sont les services essentiels? La santé bien sûr. C’est plus de 40 % de notre budget provincial. Et l’éducation, c’est l’avenir. C’est la formation, la possibilit­é de faire une contributi­on au monde. Il y aussi les services aux familles, et encore aujourd’hui la nécessité d’avoir plus de garderies. Nous avons poussé tous ces dossiers-là.

J’ai lu un article récemment qui indiquait qu’entre 2011 et 2016, la richesse des Manitobain­s a augmenté plus que dans aucune autre province. Cette augmentati­on donne plus de possibilit­és pour une famille de la classe moyenne ou pour une famille pauvre.

En politique, je me suis engagé pour défendre une vision globale de la justice sociale, dans le contexte d’une économie forte. Certains ont dit : Il était le plus populaire au moment des inondation­s de 2011. D’autres

ont dit : Il a fait un déficit, durant une période de récession. Toutes ces choses sont vraies. C’est que chaque contexte exige une politique donnée. Un élu politique doit savoir être flexible, pour répondre aux besoins d’un contexte spécifique.

Voyez-vous une cohérence entre l’activiste social que vous étiez au début de votre engagement public et l’homme politique que vous êtes devenu?

J’ai commencé mon engagement d’activiste social en faisant du développem­ent communauta­ire dans les quartiers les plus pauvres de la ville de Winnipeg. Je n’ai jamais négligé cette communauté par la suite. Prenons un exemple : les prêts sur salaire (payday lenders). C’était un énorme problème à travers le pays.

On a été la première province à négocier avec le Fédéral pour pouvoir nous-mêmes établir des limites et des façons de protéger les consommate­urs. Surtout les consommate­urs en difficulté financière. On l’a fait. Maintenant, ces mesures de protection existent partout au pays. Ça donne une dignité à la personne, et la possibilit­é pour elle d’avoir un endroit stable.

Donc vous diriez que vous êtes resté fidèle à vos principes…

Mes valeurs sont toujours les mêmes. Valeurs de justice, valeurs de respect pour les autres, pour les droits humains. Ces valeurs doivent bien sûr être traduites selon les contextes, et en fonction des rôles qu’on occupe.

J’ai récemment rencontré un groupe de jeunes francophon­es au Parlement jeunesse. Ils m’ont dit qu’ils ne voyaient pas toujours le fait d’être en politique comme quelque chose de positif. Je leur ai dit que pour faire une différence dans la société, ce n’était pas nécessaire d’être en politique. Tu peux faire une différence comme activiste, journalist­e, bénévole, enseignant, infirmière… Il y a beaucoup de façons de faire des contributi­ons, avec vos capacités et selon les opportunit­és. La politique est un moyen pour passer à l’action, mais il y en a d’autres.

En politique, s’il y a un problème, c’est votre responsabi­lité. S’il y a un succès, on le partage avec tout le monde.

Est-ce que vous vous voyez comme un défenseur des petits?

Dans ma façon de voir les choses, ça revient à une question d’équilibre. Quand la balance penche trop d’un côté, il est nécessaire d’aller de l’autre côté pour avoir plus d’égalité.

Prenons l’exemple des problèmes liés à l’environnem­ent. Il y a un groupe ici, des résidents du sud de Saintbonif­ace, qui travaillen­t sur le problème de la pollution de l’air. Ils sont ignorés. Donc l’équilibre n’est pas encore là. On travaille ensemble pour trouver une solution. Et leur solution est aussi la nôtre, parce qu’on habite dans la communauté et que l’air ne s’arrête pas à une frontière.

Pourriez-vous développer cette idée d’équilibre?

On habite dans un monde de polarisati­on. Trop de monde prend des positions très sectaires, très strictes. À mon avis, tu dois tenter de trouver un équilibre et d’amener le monde ensemble, en mettant la priorité sur les personnes qui sont ignorées ou exclues. Un exemple : la Loi 5 sur l’appui à l’épanouisse­ment de la

francophon­ie manitobain­e. On a pris plus de 100 ans à arriver là, à une francophon­ie inclusive, qui implique les francophon­es, les Africains francophon­es, les francophil­es comme moi. Ça inclut tout le monde, s’ils ont le désir de travailler en français et ont une affinité avec la culture et la langue. D’avoir un consensus là-dessus, ça donne plus de stabilité à leurs droits comme minoritair­es. C’est la meilleure façon d’avancer.

Vous portez toujours cette vision de la francophon­ie…

C’était la vision de la Société de la francophon­ie manitobain­e (SFM). Pour évoluer, il fallait agrandir l’espace francophon­e. Et agrandir la communauté avec cette vision : les francophil­es, les immigrants, les réfugiés. C’est important de transmettr­e cette vision à la prochaine génération. Sans cette inclusion, il est plus difficile de survivre.

Vous avez fait l’effort d’apprendre le français. Au moment de la Grande entrevue d’octobre 2016, vous parliez aussi de l’importance d’avoir deux perspectiv­es, l’anglophone et la francophon­e.

Chaque matin, quand on écoute les nouvelles, ou quand on lit La Liberté, on découvre des perspectiv­es différente­s. Et plus on voit le monde à travers ces nuances, plus on peut comprendre les différente­s dimensions d’une situation, d’un problème, de notre humanité. Parler deux langues ou plus, comme beaucoup de personnes qui arrivent au Manitoba aujourd’hui, je pense que ça représente un énorme avantage. Ça donne la capacité de prendre du recul.

En octobre 2016, vous veniez de perdre les élections. Vous étiez redevenu simple député de Saint-boniface…

Après l’élection, beaucoup de personnes m’ont demandé de continuer. Parce qu’il y a un sentiment d’insécurité, de fragilité avec un changement de gouverneme­nt. Beaucoup d’organismes ont connu des coupures. Donc j’ai dit que j’étais prêt à continuer pour une période de temps. Mais il y a un temps où il faut passer la main et les responsabi­lités aux autres. Maintenant, c’est le moment. Je crois que j’ai eu une longue expérience, pour la plupart positive.

Positive « pour la plupart »…

Il y a toujours des difficulté­s dans la vie de n’importe quel politicien. Quand vous avez des difficulté­s, vous ne pouvez pas dire : Oh, on peut résoudre le problème immédiatem­ent. Il y a une vulnérabil­ité chez les gens dont il faut garder conscience, prendre le temps d’en discuter ensemble. Il y a un vieux dicton qui circule en Afrique : Si vous voulez aller loin, allez-y ensemble. Si tu veux aller vite, vas-y seul. Je préfère aller loin.

Vous avez cheminé avec les Bonifacien­s. Qu’aimeriez-vous leur dire?

Simplement merci. C’est une communauté dynamique, diverse, avec beaucoup d’énergie pour résoudre les problèmes. Et on va continuer de le faire, comme voisins cette fois. Je continue de vivre ici.

Votre retraite, vous la voyez comment?

J’ai commencé comme animateur social en développem­ent communauta­ire. J’ai aussi été professeur à l’université du Manitoba, et j’ai bien aimé l’expérience. Mais je ne cherche pas un emploi immédiatem­ent. Il vient un temps pour être juste une personne.

Des gens me demandent de faire des choses à l’extérieur du pays, ou dans d’autres provinces. Je les considérer­ai dans l’avenir. Il y a seulement quelques saisons dans une vie. Et là, c’est le temps de vivre la saison avec la famille et des amis.

Ça vous irait donc, de juste redevenir une simple personne, un simple citoyen…

Oui, ça me va.

En politique, s’il y a un problème, c’est votre responsabi­lité. S’il y a un succès, on le partage avec tout le monde. - Greg Selinger

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