« Sors un peu, ça déniaise! »
Le français a fait éruption dans la vie de Robert Campbell, lorsqu’il était étudiant à l’Université de Brandon. Depuis, la langue française, dans sa dimension internationale, n’a plus jamais quitté cet enseignant de vocation.
Originaire de Carberry,
« certainement pas le saint des saints de la francophonie au Manitoba », rien ne destinait Robert Campbell à développer un lien si étroit avec la langue française. Pourtant, après 35 ans comme enseignant, directeur adjoint, conseiller au Bureau de l’éducation française, Robert Campbell, aujourd’hui à la retraite dresse le constat suivant, avec un large sourire : «Tous les postes que j’ai eus exigeaient que je parle français. » Hasard généreux ou fatalité? Étudiant à l’Université de Brandon, il poursuivait une majeure en français, un professeur lui a suggéré un programme d’immersion à l’Université Laval. En 1980, l’étudiant a obtenu une bourse et s’est envolé pour la ville de Québec, pour cinq semaines. Un petit temps de sa vie qui reste un tournant dans son apprentissage de sa 2e langue : « Au début, c’était vraiment mécanique. On apprenait une langue. Je m’exprimais tellement mal en français. J’avais beaucoup de misère. Et puis, j’ai commencé à comprendre l’aspect culturel de l’apprentissage d’une langue. Je suis tombé amoureux de la ville de Québec. La culture, c’était comme l’étincelle. De saisir que c’était différent au Québec. À ce point-là, c’était plutôt une question mystérieuse. Ça m’intriguait. Mais je n’arrivais pas à saisir ou définir ce que c’était. »
De retour à Brandon, l’étudiant de 20 ans avait un objectif : terminer son bac et repartir. L’année suivante, il s’est inscrit à un autre programme d’études françaises et québécoises pour les non francophones, à l’Université Laval. À Québec, après les cours, il partait à la rencontre des francophones de la résidence étudiante. « Il y avait du monde de Chicoutimi, du Maroc, de la Côte d’Ivoire. J’allais dans leur famille en fin de semaine. C’est là que j’ai découvert la culture qui inclut la danse, la chanson, les traditions, les coutumes. Mais aussi dans son sens le plus intime, la famille et la vie quotidienne en français.
« Mon expérience m’a alors permis de découvrir que je n’avais pas encore vraiment connu une telle chaleur dans les rapports humains. Au Manitoba, dans ma région natale, on avait un esprit plutôt conservateur. »
Invité par un ami durant l’été de 1983, il a découvert la Côte d’Ivoire. Une façon d’appliquer à la lettre une expression québécoise qu’il affectionne :
« Sors un peu, ça déniaise! »
Son diplôme en poche, le jeune gradué a commencé à travailler à l’école Lord Wolseley, ensuite à Miles Macdonell alors que l’immersion est à ses débuts. Il parle à ses élèves du premier Africain à siéger à l’Académie française Léopold Sédar Senghor, de l’homme politique et poète Aimé Césaire ou encore de l’écrivain et homme politique ivoirien Bernard Dadié. « Je ne voulais pas qu’ils soient myopes comme je l’étais au début. Le français, ce n’est pas juste le Québec ou la France. Il y a tout un monde qui oeuvre, joue, parle, pense, vit en français. J’ai intégré dans le cours de la littérature du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, de la poésie, pour montrer aux élèves que c’était une occasion pour eux de s’épanouir en français. »
À la manière des griots en Afrique, ses élèves devenaient des raconteurs d’histoires. « Le but était qu’ils intériorisent l’histoire, le conte, la légende ou la fable, pas qu’ils la mémorisent. Et pour que ça soit authentique, ils retournaient dans leur école élémentaire pour raconter l’histoire aux élèves. »
Durant sa carrière d’enseignement, il aura donc embrassé un rôle de passeur de sens, de motivateur, de relais, de raconteur d’histoires. Maintenant, à la retraite, il ne compte pas s’arrêter pour autant. L’un de ses prochains défis à 58 ans : enseigner à la Faculté d’éducation de l’Université de Saint-Boniface en janvier prochain. « Quand on se retire, c’est difficile, on a toujours cette passion-là, qui continue. Elle rôde, elle nous guette toujours. »