La Liberté

Tabou québécois et bilinguism­e d’adhésion

- PAR BERNARD BOCQUEL bbocquel@mymts.net

Les Québécois sont en campagne électorale. Pour la première fois les chefs des partis vont tenir un débat télévisé en anglais; et deux en français, primauté institutio­nnelle du français oblige.

Dans notre monde toujours plus globalisé, une certaine compréhens­ion de l’anglais s’avère bien pratique pour aller à la rencontre d’étrangers. Dans les milieux des affaires et des sciences, l’anglais est depuis belle lurette la lingua franca planétaire. Autant d’évidences qui n’échappent évidemment pas aux Québécois. Mais de là à défendre ouvertemen­t les mérites d’un bilinguism­e fonctionne­l français-anglais, c’est une autre affaire. Au point où on se demande si là ne résiderait pas le tabou québécois par excellence.

Mais qu’est ce qui pourrait bien justifier pareil blocage? La langue française au Québec a-t-elle vraiment besoin de faire comme si l’anglais n’existait pas pour maintenir sa légitimité?

Hors Québec, l’insécurité linguistiq­ue est un concept en vogue pour expliquer les hésitation­s de certains jeunes à s’exprimer en français. Un phénomène facile à saisir quand on sait que dans la plupart des milieux très anglophone­s, la jeunesse bilingue a conscience d’avoir moins de flexibilit­é en français. Mais l’insécurité linguistiq­ue à la québécoise, cultivée par des considérat­ions politico-nationalis­tes, place psychologi­quement le francophon­e en état d’infériorit­é. Ce qui ne peut être que contre-productif.

Dans notre monde globalisé qui opère sur le modèle dominant-dominé, le maître politique impose sa langue. Un vieux jeu. Lorsque François 1er édicta l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, il décidait que sa langue françoise rendrait dorénavant la justice. Lorsque la Couronne britanniqu­e prit le contrôle de la NouvelleFr­ance en 1763, les Canayens furent priés de switcher à l’anglais. Ne l’entendant pas de cette oreille, commença alors une très longue lutte à l’usure linguistiq­ue.

En 1969, les tenants de l’anglais comme langue unique pour assurer l’unité du pays furent obligés de faire une concession : la Loi sur les langues officielle­s, dont le but était simple : que dans leurs rapports avec l’État fédéral, les francophon­es ne subissent plus aucun désavantag­e lié à leur langue. Cette fois les Canayens (devenus des Québécois à ce moment-là) avaient gagné. Ceux vivant dans les provinces anglophone­s obtenaient la chance d’entretenir un bilinguism­e fonctionne­l. Un avantage bilingue accordé de fait aux enfants de parents anglophone­s dont les plus clairvoyan­ts envoient leurs enfants dans des écoles d’immersion française.

Alors que le gouverneme­nt fédéral de Justin Trudeau entre dans la dernière année de son mandat, il est toujours question de « moderniser » la Loi sur les langues

officielle­s. Ce travail législatif est devenu une nécessité afin de prendre en compte les nouvelles réalités sociétales et l’évolution des mentalités. De fait, le bilinguism­e de concession d’il y a cinquante ans s’est progressiv­ement assoupli.

Même les Anglo-Montréalai­s purs et durs qui répugnent encore à apprendre le français chez eux doivent reconnaîtr­e que le bilinguism­e sert l’unité du pays. Quant aux indépendan­tistes québécois, force leur est d’admettre que les jeunes génération­s ne croient pas trahir le français en s’exprimant couramment en anglais. Comme perspectiv­e d’avenir, il ne reste aux partisans d’un Québec souverain que l’option d’entretenir le tabou sur un bilinguism­e franchemen­t assumé.

Gageons que les temps sont propices pour tourner la page du bilinguism­e de concession et que l’heure est venue de s’engager enfin dans l’aventure du bilinguism­e d’adhésion. Dans cet esprit nouveau, la « modernisat­ion » de la Loi sur les langues officielle­s doit être comprise comme une « canadianis­ation » de cette loi emblématiq­ue de nos valeurs d’ouverture et de diversité, qui s’opposent à la logique du dominant-dominé.

Et qui sait si un jour la société québécoise ne réussira pas son retourneme­nt de mentalité : adhérer à l’anglais ouvertemen­t et sans complexes pour mieux vivre libre en français.

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