Un ministre économiste veut faire de la pauvreté un enjeu électoral fédéral
Le Deutéronome, un des livres de la Torah, commandait ainsi le comportement à adopter envers la pauvreté : « Les pauvres ne disparaîtront point de ce pays; aussi je te donne ce commandement : Tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays. » Depuis deux siècles, des révolutions industrielles et technologiques ont permis à l’humanité de produire des biens à un rythme autrefois inimaginable, permettant à des populations entières d’échapper à la pauvreté.
Un des grands économistes du vingtième siècle, John Kenneth Galbraith, affirmait, dans son best-seller de 1958
The Affluent Society, que la capacité de production des sociétés riches pouvait répondre à leurs besoins pour la première fois dans l’histoire humaine. La pauvreté généralisée de ces sociétés ayant été éliminée, seule une minorité se trouvait dans le besoin. Galbraith, comme bien d’autres après lui, dénonçait alors la persistance de la pauvreté dans les sociétés où régnait l’abondance. Plus récemment, en 2013, l’économiste français Thomas Piketty documentait, dans son livre Le capital au
XXIe siècle, la tendance d’une minorité de très riches à s’approprier la quasi-totalité des richesses planétaires.
Nombreux sont les économistes qui ont réfléchi sur la pauvreté au fil des ans. L’économiste canadien JeanYves
Duclos, un ancien professeur et directeur du département d’économie de l’Université Laval, est de ceux-là.
Devenu ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social en 2015, il annonçait le
mois dernier la première stratégie canadienne de réduction de la pauvreté. Économiste rigoureux, il proposait des cibles quantifiables : 850 000 personnes sortiraient de la pauvreté d’ici 2020, et 2,1 millions d’ici 2030.
Pour atteindre ces cibles, le gouvernement compte sur des budgets déjà annoncés qui s’échelonneront sur plusieurs années, comme la stratégie nationale de logement, un plan de dix ans et de 40 milliards de dollars annoncé dans le budget de 2017. On aura compris qu’à défaut de nouveau financement, le gouvernement mise sur la coordination de programmes existants qui, d’eux-mêmes, sont censés réaliser des objectifs ambitieux.
Malgré l’absence de fonds additionnels, la stratégie de réduction de la pauvreté présente quelques éléments nouveaux. Elle établit pour la première fois un seuil officiel de pauvreté basé sur le coût d’un « panier » de biens et de services adapté à 50 régions et villes différentes, et à différentes tailles de familles. La stratégie comprend aussi la mise sur pied d’un conseil consultatif, et tout progrès sera décrit dans un rapport annuel déposé au Parlement.
Ainsi, le gouvernement envisage de faire de la pauvreté un enjeu politique. D’année en année, les Canadiens pourraient donc porter un jugement sur sa performance et évaluer jusqu’à quel point ils ont collectivement respecté la loi énoncée dans le Deutéronome.