Au Sénégal, élection rime avec passion
Les Sénégalais se rendront aux urnes le 24 février pour élire leur nouveau président parmi cinq candidats en lice. Au Manitoba, 175 ressortissants sénégalais sont inscrits sur les listes électorales. Entretien avec Ibrahima Diallo, consul honoraire du Sénégal à Winnipeg.
À quoi ressemble le paysage politique au Sénégal?
Le Sénégal est un pays très démocratique dans le contexte africain et qui a l’habitude de l’alternance politique, du jeu électoral. On aime l’ambiance, la fièvre électorale. C’est aussi le seul pays dans sa région qui n’a pas connu de coup d’État, certainement parce qu’on a une culture bien ancrée des grands débats et de la démocratie qui nous vient de la colonisation française. Depuis 2016, le pays a changé sa Constitution pour limiter les mandats présidentiels à deux au maximum. C’est une innovation en Afrique. Maintenant, nos présidents sont élus pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois.
Il y a sans doute eu aussi d’autres ajustements…
On a aussi changé les règles pour devenir candidat. Il faut maintenant obtenir 52 000 signatures valides pour se présenter. Ça permet d’avoir un nombre plus raisonnable de candidats. Avant, à chaque élection, on en avait une cinquantaine, même plus!
Pour ce qui est des tendances politiques, il n’y a pas vraiment de différences idéologiques marquées entre les candidats à cette élection. Des cinq candidats retenus, trois proviennent du même parti à l’origine, le Parti démocratique sénégalais (PDS) qui était au pouvoir de 2000 à 2012.
La religion est un facteur dans l’élection?
Non, la religion n’intervient pas directement. Cependant, il est impossible de gouverner sans tenir compte du monde religieux très présent au Sénégal. Le pays compte 94 % de musulmans, 5 % de chrétiens et 1 % de croyances traditionnelles. Ceci dit, pendant 20 ans nous avons été gouvernés par un Chrétien, Léopold Sédar Senghor (1960-1980), puis par deux musulmans dont les femmes étaient chrétiennes, Abdou Diouf (1981-2000) et Abdoulaye Wade (2000-2012). Les Sénégalais sont très ouverts au niveau de la religion.
Quels sont les enjeux les plus importants?
La grande question, c’est le développement des infrastructures : routes, ponts, autoroutes… On parle aussi beaucoup de santé, d’éducation, d’accès aux denrées de première nécessité, de lutte contre la pauvreté. Le Sénégal n’a pas de ressources naturelles aussi développées que la Côte d’Ivoire, par exemple, mais on a beaucoup de potentiel en tourisme avec nos 750 kms de côtes du Nord au Sud, en agriculture avec notre phosphate, et en énergie avec nos barrages au Nord, nos panneaux solaires et bientôt nos éoliennes.
Ces enjeux sont-ils les mêmes pour la diaspora sénégalaise?
Ce qui importe le plus aux Sénégalais en dehors du Sénégal, c’est la gestion de l’État, la conduite de la politique, les questions de corruption. Elles ternissent l’image du Sénégal.
Les Sénégalais sont réputés politisés…
Les Sénégalais ici ne vivent que de ça! Pour la plupart, ils sont branchés 24 heures sur 24 sur le Sénégal. Ils s’achètent des décodeurs pour avoir les chaines de télévision sénégalaises cryptées. Ils sont aussi connectés grâce aux réseaux sociaux. Je constate chez eux un réel intérêt à rester branchés avec le Sénégal.
Ils sont donc véritablement engagés…
Ici comme au Sénégal, il y a un très gros engouement pour les élections. Ça remonte à 2000. On avait le même président pendant presque 20 ans, mais les gens se sont mobilisés et le pouvoir a changé. C’est là qu’ils ont compris la force des urnes. Depuis, au Sénégal, les gens se battent pour avoir leur carte d’électeur! C’est pareil ici. Certains ressortissants Sénégalais n’avaient jamais pris la peine de voter au Sénégal. Mais ici, ils votent. Les élections sont un sujet passionnant pour les Sénégalais. Ils se gavent de politique. Ils aiment en parler, confronter les idées amicalement. Ils n’ont pas peur de s’affronter puis de manger ensemble juste après! C’est très sain.