GARDERIE À L’USB : ILS Y ONT CRU, ILS L’ONT EUE
Une partie du noyau de convaincus. De gauche à droite, assis : Dominique Arbez, David Alper, Angélique Dauriac. Debout : Aïcha Youssouf, Ben Marega et Katrina Morden.
Le gouvernement fédéral a annoncé l’octroi de 2,1 millions $ envers une garderie sur le campus de l’Université de Saint-Boniface (USB) le 15 février dernier. Après des années d’efforts, c’est une percée accomplie. La garderie devrait voir le jour en juin 2021. Les acteurs clés rêvaient d’un Centre d’excellence. Ils ne renoncent pas au rêve. Rencontre avec Dominique Arbez, la coordonnatrice du programme Éducation de la jeune enfance de l’USB, et le professeur en travail social, David Alper.
Le feu vert pour la garderie de l’USB est, vous l’avez dit, « l’aboutissement de décennies d’efforts collectifs ». À quand remontent les premières initiatives?
Dominique Arbez : On a des documents qui indiquent que le syndicat du personnel de l’USB avait déjà identifié le besoin d’une garderie en 1982. Depuis, face à de nombreux refus, il a fallu restructurer la demande à plusieurs reprises.
Pourquoi tant de refus, d’obstacles?
David Alper : Je vais être très franc. On vit encore dans une société teintée de sexisme, une société patriarcale. Le problème se résume à ça. Il y a eu énormément de résistance de la part de l’administration de l’USB. Je sais qu’il y a aussi beaucoup de gens qui appuient le projet, mais si on remonte à la haute administration, une certaine mentalité prévaut encore aujourd’hui.
En septembre 2015, le Bureau des gouverneurs a mis fin au projet de Centre d’excellence enfant, famille et communauté…
Dominique Arbez : À ce moment-là, on pensait qu’il serait trop difficile d’aller chercher des fonds. Qu’il n’y avait pas assez d’intérêt dans la communauté, malgré le fait que c’était déjà un très grand besoin. Ce qui était aussi souligné, c’est que la province n’était pas prête à approuver le projet pour cette année-là. Malheureusement, la décision du Bureau des gouverneurs était définitive : on arrêtait totalement le projet.
Ça a dû être un coup dur…
Dominique Arbez : C’était désastreux pour nous. Ce projet, on en rêvait. C’était vraiment audelà d’un service de garde éducatif. Il y avait une composante de recherche, des salles de classe, des salles d’observation. L’ambition était de créer un modèle de petite enfance qui servirait autant à l’enseignement et à la recherche qu’à offrir un service de garde éducatif de très haute qualité. On visualisait cet établissement de rêve et tout ce qu’il pouvait apporter à la communauté. Après ce refus, on a décidé de se mobiliser pour dire : Non, c’est un besoin criant, c’est trop important.
C’est à ce moment que l’Association des étudiants a joué un rôle déterminant…
David Alper : Tout à fait. Pendant des années, le syndicat revendiquait la garderie, mais rien ne se passait. Lorsque les étudiants se sont mobilisés, on a pu renverser la décision de l’administration. Ils ont fait un énorme travail de mobilisation à l’intérieur des murs de l’USB, mais aussi dans la communauté, lors de trois AGA de la Société de la francophonie manitobaine, dans les organismes, dans les salles de classe. Ils se sont engagés pour faire comprendre l’importance de ce projet. Des étudiants chefs de file ont passé le flambeau et ont fait en sorte que le combat continue de 2015 à aujourd’hui, même après leur départ de l’USB.
David Alper : Surtout qu’on a dit aux étudiants qu’il ne fallait pas avoir trop d’ambition, que le projet était irréaliste. Ils ont répondu avec un slogan : Soyez réalistes, demandez l’impossible. Le fait que les étudiants aient voté pour donner 750 000 $ pour la création de la garderie a vraiment mis l’administration dans l’embarras. Comment refuser un projet quand les étudiants sont si mobilisés?
Dominique Arbez : Les membres du personnel, nous avons eu un rôle pour appuyer, certes, mais c’est un fait que la force, l’énergie, venaient des étudiants. J’en parle avec émotion. Parce que trop souvent, on néglige le domaine de la petite enfance, les aspects éducatifs et socioéconomiques qu’ils procurent à notre société. C’est vu comme un problème individuel, or c’est un enjeu collectif.
Dans cette perspective, la détermination des étudiants paraît évidente…
David Alper : Effectivement, ils se sont rendu compte que les services de garde, c’est une question d’équité entre les genres. C’est aussi un synonyme de réconciliation famille-travail et ça permet, surtout aux femmes, de retourner aux études et d’intégrer le marché du travail. D’un point de vue social ou bien économique, c’est logique d’avoir des services de garde de qualité. En fait, ce qui est anormal, c’est de ne pas en avoir! Encore plus dans un milieu minoritaire. On est vraiment la dernière institution postsecondaire du Manitoba à ne pas avoir de service de garde sur le campus.
La décision de renoncer à un Centre d’excellence n’a tout de même pas été renversée…
Dominique Arbez : Non, mais le projet a été modifié de sorte à ce qu’on étudie la possibilité de mise sur pied d’un service de garde éducatif sur campus. L’aspect recherche n’est pas compris dans le projet. Mais je pense qu’il y a toujours le potentiel de le rajouter. Nous travaillons en ce moment sur un projet de recherche qui a pour but de mettre en place une série d’activités intergénérationnelles au niveau de la communauté francophone du Manitoba. On attend encore le financement pour commencer ce projet pilote à l’automne, qui sera réalisé pour la première fois en milieu minoritaire. Il y a toujours moyen d’avoir des collaborations comme celle-ci.
Il reste encore beaucoup d’éléments à déterminer pour la concrétisation de ce projet…
Dominique Arbez : Mon souhait serait qu’on construise un deuxième étage par la suite. On sait déjà qu’on va probablement vouloir agrandir plus tard. En tout cas, ce serait l’idéal. Peut-être avec des salles de classes.
David Alper : Cette avancée ouvre des portes à toutes sortes de possibilités. On espère fortement que ce sera un modèle de référence. Non seulement un centre de formation pour les éducatrices de la jeune enfance, mais aussi pour les étudiants d’autres domaines.
Angélique Dauriac, une étudiante qui s’est beaucoup impliquée dans le projet de garderie, a dit un jour : Il ne faut pas s’arrêter ici, à la garderie de l’USB, mais il faut continuer de travailler pour un réseau universel de services de garde éducatifs abordables partout au pays. Je crois que c’est bien cette vision que l’on devrait promouvoir. Ces besoins existent partout au pays.
On peut le voir avec les longues listes d’attente…
David Alper : Absolument. Au Manitoba, il y a à peu près 1000personnes sur la liste d’attente pour une place en garderie francophone. Sur la liste d’attente provinciale, on est autour de 18000. On parle maintenant de “désert” en terme de service de garde. Les besoins sont incroyables.
Pour qui seront les 80 places de la garderie de l’USB?
Dominique Arbez : Les critères d’admissibilité restent à déterminer. La priorité ira aux étudiants et aux membres du personnel. Ensuite, ce sera ouvert à la communauté. Mais la proportion n’est pas encore décidée.
Quel genre de défi aurez-vous à relever?
David Alper : Il y a un gros problème de rétention de personnel en garderie parce que les salaires ne sont pas suffisamment élevés. 95 % des employés sont des femmes. Éducatrice est un emploi qui est malheureusement très dévalorisé. Ce qu’on entend du milieu, c’est que les gens ne restent pas, parce qu’un emploi dans un restaurant rapide va souvent payer plus qu’un emploi en garderie.
Pourtant, la qualité du service de garde est beaucoup liée au salaire des éducatrices. Si les salaires sont plus élevés, on peut exiger une formation, les éducatrices restent, entretiennent de bonnes relations avec les enfants et la qualité est là. Mais si on ne retient pas le personnel, la qualité souffre.
C’est souvent le cas au Manitoba, quand les éducatrices sont payées 12 ou 13 $ de l’heure. Ce n’est pas un manque de volonté d’offrir des salaires plus alléchants, mais c’est tout simplement qu’il n’y a pas d’argent. Le financement vient en partie du gouvernement provincial. Il faudrait que la province réinvestisse davantage dans les services de garde. Il ne faut pas en parler en terme de dépense, mais d’investissements payants à long-terme pour tout le monde, pour la société.
L’USB s’engage à recueillir 1 million $ en dons…
David Alper : Il y aura une campagne interne et externe. Pour moi, ce n’est pas compliqué. Je pense qu’il faut s’adresser aux personnes plus âgées, les grandsparents, et leur poser la question : Voulez-vous que vos petits-enfants parlent français? On sait que l’assimilation menace les communautés en milieu minoritaire. Il faut commencer dès la jeune enfance. C’est la survie de la communauté même qui est en jeu.
Quelle est la prochaine étape?
Dominique Arbez : Refaire tout le plan qui avait été élaboré dans le cadre du Centre d’excellence. Il faut tout reprendre : le budget, les dépenses, la structure des ressources humaines, l’évaluation des coûts de l’architecture…