La route, c’est l’art du présent
Ilana Pichon, l’artiste visuelle québecoise, avait laissé une murale haute en couleur sur la rue Sherbrook lors de sa dernière résidence à Winnipeg en 2017. De retour pour une exposition au Martha Street Studio, elle s’appuie sur la route, son éternelle inspiration. (1)
Ilana Pichon avait conduit de Québec à Winnipeg une première fois en 2015, en séparant les 2 600 kilomètres en sections de 101 kilomètres. « Je ne voulais pas comprendre ce trajet comme un grand ensemble d’un point A vers un point B. J’avais envie de la vivre, la route. Je me suis forcée à m’arrêter et j’ai documenté ces étapes en photos.
« En juin 2017, j’ai repris cette même route, cette fois-ci en essayant de me rappeler de chaque endroit où je m’étais arrêtée. Sur 25 points, je m’en suis souvenue de 17. Pas pire. Et aujourd’hui je reconnais vraiment ces paysages, ils s’ancrent encore plus dans mon esprit. »
Cette fascination face à la route prend tout son relief quand on sait qu’ilana Pichon a grandi en Europe, là où les distances se font pourtant peu sentir, comparées au Canada. « C’est vraiment deux mondes différents. En fait, le voyage, c’est une expérience. La distance, ça ne me fait pas peur, parce que je ne la vois pas. Je n’anticipe pas. Je séquence en petites sections. Je vois les petites boucles dans la grande boucle. »
Pour un nouveau projet avec le Martha Street Studio, Ilana Pichon honore le même itinéraire, qui donne à peu près : Québec > Montréal > Parc La Vérendrye > Abitibi > Cochrane > Kapuskasing > Hearst > Longlac > Thunder Bay > Upsala > Kenora > Winnipeg.
« Quand j’en parle aux gens, ils me disent : Wow, ça paraît tellement loin. Il y a juste des sapins, ils ne comprennent pas. Mais c’est parfait. C’est ma route. Elle m’appartient. Je l’ai comme apprivoisée. (Rires) Si on me demandait d’aller à Winnipeg en passant par le Sud, j’aurais un petit pincement au coeur. » Son exposition Sequences of
Territories va regrouper des pièces tirées de deux séries de sérigraphie (de 2015 et 2017), une création vidéo, de l’art imprimé (si le temps lui permet) et une murale inspirée de sa troisième traversée. « Je conçois l’oeuvre pendant que je roule. Je prends des notes sur les couleurs que je vois dans le paysage, sur des formes spécifiques. Je m’arrête, je filme, je prends du son. Je vois que je ne note pas les mêmes choses que les autres fois, je découvre de nouveaux aspects qui m’inspirent de nouveaux patterns.
« Cette route, j’en fais un moment présent. J’en ai besoin. Ça me force à écouter ce que je suis capable d’extraire de moimême, dans l’instant. Cette démarche fait du résultat quelque chose de secondaire. Voir les choses dans le moment présent, c’est dur à faire. Mais c’est un cadeau que je me fais. »
L’in situ, encore et toujours, transparait dans l’art d’ilana Pichon, qui a étudié en architecture. « L’in situ, c’est l’environnement immédiat, le fait de l’observer et de le considérer. C’est ce qu’on fait en architecture. On prend en compte tout ce qu’il y a autour. On l’intègre. Quand je voyage, j’ai tellement envie de m’approprier ce que je vois. Et ça doit marcher. On me dit souvent qu’on arrive à voyager avec mes oeuvres. »
Avis aux artistes curieux et amateurs de voyage : le samedi 11mai, de 14 h à 17 h, Ilana animera un atelier au Martha Street Studio. « J’expliquerai comment je vis face à cette route. On va aussi créer des patterns que je construis face à la route, et imprimer des petites cartes postales avec lesquelles les gens vont pouvoir repartir et qu’ils pourront envoyer. Et comme ça, les gens sont sûrs qu’ils pourront voyager aussi. »
(1) Sequences of Territories, du 10 mai au 14 juin 2019 au Martha Street Studio, 11 Martha Street, à Winnipeg. Vernissage le vendredi 10 mai, de 17 h à 20 h, en présence de l’artiste. Évènement gratuit et ouvert au public. Informations supplémentaires au 204-779-6253.