La Liberté

Les devoirs du fou du roi

- Propos recueillis par Bernard BOCQUEL bbocquel@mymts.net

Semaine après semaine depuis 1982, Réal Bérard dit Cayouche participe au grand brassage d’idées propre à toute société ouverte. Rencontre avec l’âme du journal, en sachant que le Cayouche de cette semaine en page 2 qui met en scène une grande toupie bleue victorieus­e a été conçu avant le résultat des élections provincial­es, La Libertépar­tant à l’imprimeur le lundi.

On ne le dira jamais assez : On sait jamais!

Mais des fois, il faut prendre une chance. De toutes façons, il y a toujours moyen de s’en sortir en patentant une histoire la semaine suivante. Parce qu’à Joualville, il y a des fois des grosses fêtes où des drôles de gageures se prennent entre des jouals qui sont tombés un peu trop fort dans le buvage. Alors pas étonnant qu’ils avaient vu des toupies de toutes les couleurs…

Il faut dire que depuis que

La Liberté est publiée tout en couleur, je prends plaisir à me servir de ma boîte de couleurs. J’aime jouer avec la couleur. Que tu passes une heure en plus ou en moins sur un Cayouche, ça n’a pas d’importance. L’important, c’est d’essayer. Et on essaie toujours. Le compositeu­r cherche des idées avec des sons en pianotant. Dans mon cas je ne cherche pas avec les oreilles, mais avec les yeux. Des fois ça réussit, des fois pas.

Je me souviens dans ma jeunesse de Rodolphe Préfontain­e. La revue Chante-clair de CKSB à la fin des années 1940 avait publié de ses dessins : des caricature­s des annonceurs Henri Bergeron, Léo Rémillard et d’autres encore. À la

salle des Chevaliers de Colomb de Saint-pierre, qui a plus tard brûlé, il demandait à quelqu’un dans l’assistance de venir tracer une ligne sur un tableau. Et à partir de là, il faisait apparaître une caricature. C’était vraiment fascinant à voir. Il devait être gonflé d’imaginatio­n.

Je continue de me pratiquer. Pour le choix des lignes, j’ai un penchant pour le hachuré. Dans les cours de gravure aux beaux-arts à Winnipeg on travaillai­t sur des plaques de cuivre. Ensuite il fallait laver nos plaques avec du brin de scie et du solvant. Je fais encore de la gravure sur du bois. Ça me rappelle des souvenirs. Le monde des souvenirs, c’est un beau monde. Les mauvais souvenirs, tu les mets de côté. Ça finit là.

Les mélanges de crayonnage et d’aquarelle sont aussi bons pour ramener de bons souvenirs. Les Cayouche en couleurs, c’est une carte d’atout supplément­aire pour composer, pour voir comment ça va sortir. Il faut chercher, toujours chercher. On est comme des prospecteu­rs. Dans les années 1950 à Big Whiteshell, j’avais rencontré Monsieur Olson, un vieux Suédois. Tout jeune déjà il voulait venir au Canada pour devenir prospecteu­r. Il m’avait dit : Frenchie, Frenchie. Toute ma vie j’ai cherché, cherché. J’ai rien trouvé. Mais au moins j’ai eu le plaisir de chercher. Ça m’avait frappé. Un coup que tu as trouvé, le plaisir est fini. À tous les jours, je fais ma tournée des journaux. Au Mexique, je consulte toujours El Financiero, ils sont forts en caricature. En Espagne j’écornifle El Pais. En France La Vie et le Courrier internatio­nal. En Angleterre le Guardian. Aux États-unis, au moins le Washington Post et le New York Times. Au Canada, le Globe and Mailet le Toronto Star. Cayouche a besoin de s’informer, de rester au courant des surprises. Parce que des fois il y a des surprises. Je me rappelle que pendant les élections fédérales de 1993, quelqu’un chez les conservate­urs avait fait une remarque sale et pas acceptable sur Jean Chrétien et sa bouche qui part croche quand il parle. Sa réponse n’avait pas été violente du tout. Il avait dit quelque chose du genre : Si le bon Dieu m’a fait

comme ça, j’accepte. Le marteau avait cogné le clou en pleine tête. Ça avait entraîné un revirement complet.

Pendant les campagnes électorale­s, Cayouche reste assez neutre quand même. J’essaie de toute façon de ne pas être vendu sur un parti. Il faut avoir un respect pour les électeurs. C’est ça la démocratie. Mais un coup que les politicien­s sont choisis, qu’importe le parti, c’est le temps que le vieux chien-chien morde ou que le joual rue. C’est le temps de s’amuser à les caricature­r.

L’idée c’est pas de faire mal à l’un ou à l’autre, mais de jouer au fou du roi. Des fois le fou du roi fait des moyens chétis coups, qu’on ne prend quand même pas trop trop au sérieux. La liberté d’expression, c’est la grande force de la démocratie. Pour bien débattre, c’est vraiment important de présenter différents points de vue. Au fond du fond, bien des fois je ne suis pas nécessaire­ment d’accord avec Cayouche. D’ailleurs souvent je me censure jusqu’à un certain point. Parce que je sais bien que tout n’est pas permis. Et c’est bien normal.

Mon privilège de fou du roi c’est d’être à l’abri. J’ai un paratonner­re au-dessus de la tête qui s’appelle la rédaction de La Liberté. C’est la rédaction qui décide ce qui est publiable ou pas. Je sais bien qu’il y a différents angles de voir les choses. Vu du dessus, un éléphant à l’air d’un ballon.

Le monde, je le vois comme une grosse pendule. Des fois elle penche vers la droite, des fois vers la gauche. Mais là, on se demande si la grosse pendule n’est pas en train de pencher lourdement à droite en direction de l’extrême droite. Il y a des drôles de choses qui arrivent au niveau planétaire : la pollution est hors de contrôle, c’est un vrai tsunami. Par chez nous ça veut dire que le lac Winnipeg est en train d’étouffer.

L’autre jour je lisais une réflexion de Stephen Hawkins : L’humanité va assurer son extinction par sa cupidité et sa

stupidité. Il va falloir que j’en fasse un Cayouche. Ensuite il passera ou il passera pas. Comme toujours, la rédaction décidera.

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