Rude réconciliation : Quand David (Chartrand) défie Goliath (Pallister)
Le mouvement de réconciliation entre les Métis et la Couronne a stagné durant le mandat des progressistes-conservateurs de Brian Pallister. Une fracture est survenue lorsque la Province a rejeté une entente historique, signée par Hydro Manitoba en 2017, portant sur des mesures compensatoires de 67 millions $ visant les terres domaniales et humides réclamées par les communautés d’origine. Depuis, le torchon brûle. La cause est devant les tribunaux.
Durant la campagne électorale de 2019, le premier ministre Brian Pallister a boudé la compagnie des autres chefs politiques en refusant de participer au forum public de l’assembly of Manitoba
Chiefs, tenu à Winnipeg en août. Début septembre, il accusait le chef néo-démocrate, Wab Kinew,
d’avoir promis 70 millions ( hush money) pour soudoyer le président de la Manitoba Metis Federation (MMF), David Chartrand, et s’approprier le vote métis.
Selon le conservateur, l’accord permettrait à un gouvernement néo-démocrate de violer les droits des communautés autochtones et métisses en les excluant des consultations à venir sur les projets hydroélectriques. Le NPD a rejeté ces accusations.
Avant leur élection en 2016, les conservateurs s’étaient montrés plutôt inclusifs, répondant positivement au questionnaire présenté par la MMF aux quatre formations en lice. Dans ce document dont La
Liberté a obtenu copie, le chef Pallister s’était engagé à consulter la MMF sur plusieurs questions relatives aux Métis et à collaborer pleinement avec l’organisme.
D’abord, le futur premier ministre avait promis d’élaborer un protocole général pour formuler « le devoir de consulter » du gouvernement face aux Premières Nations et Métis. Il garantissait de s’attaquer aux obstacles à leur pleine participation en éducation et en économie. Le chef s’engageait à explorer des mécanismes pour le partage des revenus des ressources et à soutenir les populations vivant de chasse et de pêche. Il avait aussi promis de « tenir parole » sur ses engagements.
Une question clé visait le partage des revenus entre Hydro Manitoba et la MMF sur le projet de transmission Manitoba-Minnesota. Brian Pallister n’avait pas répondu à la question. Début 2018, son gouvernement annulait l’entente de 67 millions $ d’hydro Manitoba et remplaçait le conseil d’administration de la société suivant sa démission en bloc.
La Liberté a également reçu copie en août d’un message portant sur le nouveau questionnaire de la MMF adressé aux partis politiques. La note résumait ainsi les engagements passés de Brian Pallister : « À date, nous n’avons pas reçu un semblant des promesses listées dans le document de 2016. »
Pour le scrutin de septembre, le questionnaire expédié aux partis comprenait de nouvelles questions. L’une d’elles porte sur la décision en mai de la Commission nationale de l’énergie, favorable à la MMF, précisant les conditions à réunir pour construire la ligne d’électricité Manitoba-minnesota.
« Si vous êtes élu, comment votre gouvernement entend-il régler la question de l’engagement de 67 millions en souffrance et les obligations de la Turning the Page Agreement? Allez-vous mettre en oeuvre des mesures pour assurer que les instigateurs de projets deressources engagent pleinement la participation du Gouvernement Métis du Manitoba afin de garantir leur devoir de consulter? »
Interrogé sur la réaction de Brian Pallister au questionnaire, le quartier général du parti a fait savoir, qu’à l’heure d’écrire ces lignes, le sondage était « en voie de traitement ». Était-il possible d’obtenir une copie de la réponse? On a demandé un courriel pour l’expédier. Mais le suivi n’a pas été fait, malgré une 2e requête. Le service des communications de la MMF a confirmé, le 6 septembre, ne pas avoir obtenu de réponse du Parti conservateur.
La réponse du NPD a été reçue. Après lecture, il s’avère que l’intérêt du document n’est pas dans les bonnes intentions exprimées par le chef Wab Kinew, lui-même Autochtone et engagé au sein du processus de réconciliation.
La révélation du document se trouve parmi les questions posées par la MMF. Elles révèlent l’évolution du statut que s’accorde l’organisme dans ses rapports avec la Province. En 2016, c’était une Fédération qui parlait au nom de ses membres; en 2019, c’est le “Manitoba Metis Government”. Pour se faire expliquer le changement, une demande d’entrevue a été faite, en vain.
Selon l’économiste Julio Lucchesi, chercheur à l’université de Saint-boniface, les accords conclus au cours de l’histoire du Manitoba ont été mal conçus. « Chaque groupe métis ou autochtone a reçu des promesses différentes et nous restons éternellement bloqués en discussions ad hoc. Ce type de situation génère un stress juridique et financier, chaque négociation crée le besoin de continuer sans fin. »
Le professeur vient de terminer un postdoctorat à l’université du Manitoba en études autochtones. « Avec Hydro Manitoba, par exemple, nous payons à la fin quatre, 40 ou 400 millions, mais est-ce que c’est un bon achat? Le pouvoir de négociation de chaque côté est tellement différent. Je viens du Brésil, je sais comment ça se passe. »
Selon lui, il serait utile de développer « un modèle unifié de négociation dans un document technique établi démocratiquement » et accessible à toutes les parties. Ce type d’outil n’étant pas en place, les positionnements demeurent partisans.
La MMF est dirigée par un président national et un conseil exécutif de 15 ministres. Son rapport financier de 2018 affiche un revenu de 32,5 M $, des salaires de 12 millions $ (comparativement à 9,7 millions $ en 2017) et des actifs de 16,7 M $, sans compter les opérations de neuf sociétés affiliées oeuvrant dans divers secteurs. Depuis son accession à la présidence en 1997, David Chartrand a conduit l’organisme dans un développement fulgurant.
La victoire de 2013 en Cour suprême dans une cause historique sur les terres promises aux Métis de la Rivière-rouge au 19e siècle et extorquées par la Couronne, marque le point tournant du mouvement. Selon le tribunal, il s’agissait de « la plus grande machine d’extorsion de haut niveau de l’histoire du Canada ».
L’arrêt a procuré à la MMF la légitimité pour ses revendications territoriales. Grâce à l’aide financière de gouvernements successifs à Winnipeg et Ottawa, le lobby a développé des expertises politiques et juridiques inégalables en milieu autochtone au Canada.
Dans ce contexte, le gouvernement métis tenterait de négocier d’égal à égal avec la Province. Son président se présenterait comme le vis-à-vis du premier ministre. Mais Brian Pallister rejetterait ce positionnement et refuserait de céder à David Chartrand. Le quartier général du chef conservateur n’a pas donné suite à une demande d’entrevue sur cet enjeu.
« On tente de se placer dans la position la plus forte possible quand on négocie, remarque Julio Lucchesi. Tout le monde veut bénéficier des accords et les groupes se battent pour obtenir leur part. Mais si on veut vraiment établir une gouvernance démocratique, il faut être transparent. »
Le Brésilien se dit préoccupé par la cannibalisation des ressources naturelles, forcément limitées. « Pour la gouvernance du territoire, il faudrait constituer une espèce d’alliance trans versale et avancer conjointement. Dans un système négocié et unifié, on sait d’avance comment chacun des acteurs est affecté. »
Un autre chapitre de la dispute entre la Province et la MMF s’écrira à partir d’un jugement attendu incessamment. En avril, les Métis auraient contesté devant la justice les pouvoirs du gouvernement d’intervenir directement dans les affaires d’hydro Manitoba. En 2018, l’administration Pallister aurait instruit l’organisme de ne pas procéder avec l’entente de compensation, après avoir modifié la loi sur la gouvernance des sociétés d’état.