La force de reprendre son identité francophone
L’anglais est la langue maternelle de David Dandeneau et le français, sa langue de choix, de culture. Une langue qui lui a permis de se reconnecter avec ses racines, ses ancêtres.
Crise linguistique et obstacles familiaux
Le 27 décembre 1972, David Dandeneau devenait papa. Sa langue maternelle était l’anglais. Sa femme, Huguette Mulaire, est francométisse. Le septuagénaire replonge dans ses souvenirs : « On regardait tous les deux notre fils Christian dans son petit lit, quand Huguette m’a demandé : Est-ce qu’il va t’appeler Dad, comme toi tu nommes ton père, ou Papa, comme moi j’appelle mon père? »
David Dandeneau marque une pause, comme pour mieux se remémorer cet évènement qui a changé sa vie. « Avant sa naissance, le français était juste une aventure pour moi. Je le considérais encore comme une seconde langue. Ce jour-là, j’ai vraiment pris conscience de mon bilinguisme et j’ai pris la décision que mon fils allait parler français. J’ai repensé à tous les efforts que j’avais dû faire pour devenir francophone. Je ne voulais pas qu’il vive les mêmes épreuves que moi. » Il a suivi le même choix pour ses trois enfants nés ensuite, Stéphane et les jumelles, Andréanne et Marie-josée.
Une soixantaine d’années auparavant, le père de David Dandeneau, Gérard Dandeneau, francophone, avait pris la décision inverse pour ses enfants, avec sa femme, Margaret, anglophone, de père hollandais.
Malgré ses racines profondément ancrées dans le français, Gérard Dandeneau, qui est décédé en 2017, a décidé que sa famille ne parlerait pas français. Le français avait perduré dans la famille de Gérard Dandeneau, depuis l’arrivée au Canada en 1647 de Pierre Dandeneau, noble et protestant de La Rochelle en France.
Le climat anti-francophone dans leur village, Fisher Branch, y était pour beaucoup. Les francophones, minoritaires, ne rentraient pas dans les cases
établies et étaient rejetés par la société. David Dandeneau se souvient : « Speak White!, lançaient dans le village certaines personnes qui ne voulaient pas que mon père parle français. Ça pouvait même être des Polonais, des Ukrainiens ou encore des Irlandais. Ils avaient emprunté cette expression aux anti-français. »
Son père, commissaire d’école, a pris la décision de couper les ponts avec le français après une réunion de l’association d’éducation des Canadiens français du Manitoba à Winnipeg. David Dandeneau raconte : « Mon père, dans son français métis, avait signalé qu’il avait du mal à recruter des enseignants francophones dans ses écoles. Les autres membres lui ont répondu : Pourquoi on t’aiderait alors que tu ne parles même pas correctement français? Il s’est senti insulté. »
| Retour à son héritage
Puis, les francophones ont quitté progressivement Fisher Branch vers des villages francophones. « Mon père, lui, devait rester pour s’occuper de ses parents. »
Avec le recul, David Dandeneau comprend le choix de son père. « C’était une question de survie. Il ne voulait pas être mis à l’écart et être celui qui se voit refuser de l’aide de la part des voisins parce qu’il parlait français. Et avec mes frères et soeurs, on n’a pas souffert d’être la minorité. À l’école, je voyais les enfants d’une famille francophone se faire harceler, picosser et appeler par tous les noms. Moi, anglophone, j’étais tranquille. Mais j’ignorais tout de mon héritage francophone. »
Son parcours vers la francophonie, son héritage, a représenté pour David Dandeneau un effort constant qui a débuté à ses 15 ans.
« Je voulais devenir prêtre. Alors, j’ai intégré le Petit séminaire à Saint-boniface. Sur les 80 garçons, on était cinq ou six anglophones. Pour la première fois, je me retrouvais dans la minorité. Je recevais des brimades ou on me versait de l’eau dans mon lit. Mais je ne comprenais pas pourquoi on se moquait de moi. »
Pendant un mois, il a étudié à l’école Provencher. Il a rapidement changé pour le Collège de Saint-boniface, où il a étudié de l’âge de 15 à 20 ans. « Je voulais être du bon côté, avec les francophones. »
Apprendre une nouvelle langue n’a pas été chose facile. « Au séminaire, comme tout le monde parlait français, je ramassais rapidement des mots. Mais l’écriture était difficile. Cette langue m’était totalement inconnue. J’essayais d’écrire en phonétique. En dictée, c’était ridicule. Parfois mes notes étaient -240 sur 100! Encore aujourd’hui, écrire reste un peu difficile. »
Si écrire était une corvée pour le jeune élève, le chant, en revanche, « m’a fait aimer le français ». Ce n’est pas étonnant. David Dandeneau est né dans une famille de musiciens et de chanteurs. « Ma mère adorait chanter. Au début des années 1970, on allait chanter en famille dans le programme Good Times sur CBC. » David Dandeneau déclare même que « la chanson a été l’outil primordial pour mon assimilation du français ».
Le jeune homme s’est de plus en plus investi dans la communauté francophone au moment où elle a commencé à prendre son envol. « Le 100 NONS avait été créé quand j’étais en 11e ou 12e année. J’y interprétais des chansons avec Daniel Lavoie à la guitare. Je me suis aussi impliqué dans le Festival du Voyageur dès les travaux préparatifs de la première édition, en 1969. »
David Dandeneau est sorti du Collège universitaire de SaintBoniface avec un bac ès Arts en philosophie. L’étudiant était par ailleurs impliqué dans le conseil d’administration du Collège universitaire.
« J’entends encore tout ce monde autour de la table parler de la préservation du français. J’étais bombardé de tous ces sujets. Ça a été un déclic. Plein de questions sur mon passé me sont venues et j’ai fait des recherches à la Société historique de SaintBoniface. »
Sa femme et sa belle-famille ont été des personnes clés dans son cheminement vers la francophonie. Par elles, il s’est glissé dans la culture francophone. Il affirme même qu’il a « repris son identité » grâce à elles.
« C’étaient des petits gestes au quotidien. Huguette me disait : Écris tes chèques en français. Commence tes lettres par Bonjour. Elle lisait des livres et écoutait la radio en français. Alors que moi, par réflexe, j’allumais la télévision sur la chaîne anglaise. Maintenant, la radio chez nous est toujours allumée sur CKSB. »
Il ajoute avec un sourire fier : « Quand les anglophones me disent maintenant que je parle anglais avec un accent français, là je me dis qu’il y a eu définitivement un changement! »
Au début des années 1980, lors de la crise linguistique, David Dandeneau est un francophone parmi les francophones. « Mes deux garçons, Christian et Stéphane, étaient inscrits à l’école Taché. On était fiers de faire partie de cette communauté pendant ces moments-là.
« Pour qu’un peuple résiste, il faut des organismes pour l’appuyer et lui donner de la force. À ce moment-là, on possédait une vraie force culturelle et économique, avec CKSB, le Festival du Voyageur, La Liberté, la Société franco-manitobaine, le Cercle Molière et la Chambre de commerce francophone. »
Subsiste un point sombre dans l’histoire de David Dandeneau : « Ma mère, Margaret, ne voulait pas qu’on parle en français devant elle. Quand on allait lui rendre visite à Fisher Branch, elle disait que ce n’était pas poli parce que mes soeurs ne parlaient qu’anglais. »
David Dandeneau était perçu comme l’original de la famille. « Souvent, mes frères et soeurs me taquinent : T’es différent, toi! » Il est effectivement le seul à avoir fait le choix de vivre en français.
Quant à son père, David Dandeneau se souvient d’un évènement qui a dévoilé la situation complexe qu’il vivait vis-à-vis du français : « C’était lors d’un repas de famille, certainement pour l’anniversaire d’une tante francophone. J’avais chanté une chanson en français, Bal chez Jos Brûlé, en hommage à mon arrière grand-mère métisse, Julie Brûlé. Mon père s’est mis à pleurer.
« Mon père était rentré dans le jeu des anglophones, mais c’était sans doute difficile pour lui. À ce moment-là, j’ai pris conscience que peut-être, il regrettait sa décision d’avoir coupé les ponts avec le français. Je ne lui ai jamais posé la question. C’était juste un sentiment que j’avais. »
Après cet évènement, Gérard Dandeneau a commencé à parler quelque fois en français avec son fils, « un peu en cachette. Il ne parlait jamais en français devant ma mère ».
À l’inverse de son père, David Dandeneau a transmis et transmet toujours le désir du français à ses enfants et ses petits-enfants, qui vivent aujourd’hui en français. « Chaque occasion qui se présente est bonne pour leur parler du français. Je souhaite que mes petits-enfants reprennent le flambeau. C’est tellement fragile. En voiture, par exemple, quand mes petits-enfants veulent mettre la musique en anglais, je dis : Non! »