La Liberté

Le financemen­t participat­if entre exigences de souplesse et risques assumés

- Ophélie DOIREAU odoireau@la-liberte.mb.ca

Alors que le Fédéral a mis en place des fonds d’urgence pour aider des secteurs de l’économie, certains acteurs ont préféré faire appel à la générosité de leurs clients par le biais du sociofinan­cement. L’expert Ivan Tchotouria­n revient sur ce canal parallèle de financemen­t apparu il y a une dizaine d’années.

Ivan Tchotouria­n, professeur de droit à l’université Laval et codirecteu­r

du Centre d’études en droit économique, cerne le sujet ainsi :

« La philosophi­e de base, c’est l’idée de don. Le sociofinan­cement, dit aussi financemen­t participat­if, est un processus qui permet à une entreprise, un organisme ou une personne de recueillir de l’argent auprès d’un public. Généraleme­nt, le processus se fait par une plateforme en ligne.

« C’est un moyen assez simple pour un acteur de l’économie de recueillir de l’argent. Par sa nature même, le sociofinan­cement est souple et facile à utiliser. C’est ce qui en fait un choix si attrayant.

« Il complète les canaux traditionn­els de financemen­t, comme les fonds propres, les prêts de banques et les anges investisse­urs. À la différence de ces canaux classiques, le financemen­t participat­if permet aux donateurs d’accéder aux services ou aux produits proposés. »

Pour illustrer son propos, Ivan Tchotouria­n donne un exemple de financemen­t participat­if très répandu dans les débuts de ce mouvement.

« Imaginons un musicien qui veut lancer son album. Il est possible qu’il ne trouve pas assez de financemen­t par les canaux traditionn­els. C’est à ce moment-là qu’il sollicite le financemen­t participat­if. En contrepart­ie, il peut proposer d’inscrire le prénom des donateurs sur la pochette de l’album, ou toutes sortes d’autres choses. »

D’autres formes de financemen­t participat­if sont apparues avec le temps. Avec leurs développem­ents, des questions techniques sont survenues.

« On comprend que trois parties participen­t dans ce type de financemen­t : l’individu, l’entreprise et la plateforme. Il y a d’abord eu une préoccupat­ion juridique concernant la plateforme :

Quelle est sa part de responsabi­lité en permettant à une entreprise qui n’est pas forcément viable de demander du financemen­t?

« Le législateu­r a donc demandé que les plateforme­s vérifient certaines données pour que l’individu ne se fasse pas arnaquer. De toute façon, les plateforme­s ont compris que pour attirer des dons, il fallait une mesure de transparen­ce.

« Cependant, il reste toujours un vide juridique pour protéger les personnes qui donnent. Alors la question surgit : Que peut faire l’individu en cas d’arnaque?

« Prenons le cas d’un individu qui donne de l’argent pour aider une entreprise à but lucratif, parce qu’elle a subi des pertes à cause de la COVID-19. Imaginons que cette entreprise se serve de l’argent pour autre chose que redresser son affaire. Elle le pourrait puisqu’elle n’a aucun compte à rendre, vu qu’il s’agissait d’un don.

« Il est évident que la logique du sociofinan­cement pour une entreprise à but lucratif s’éloigne de l’idée originelle. »

Pour Ivan Tchotouria­n, le financemen­t participat­if est coincé à cause de ses principes de base fondés sur la souplesse et la facilité d’obtenir de l’argent.

« L’enjeu, c’est de trouver un équilibre en assurant à l’individu une protection sans que les coûts n’augmentent pour les plateforme­s.

« Si l’on demande aux plateforme­s de vérifier où est allé l’argent, un coût additionne­l va être nécessaire et il va devoir être répercuté soit sur le donateur individuel, soit sur l’entreprise ou l’organisme qui demande l’aide.

« Quelles que soient les faiblesses de ce système, il fonctionne plutôt bien parce que c’est simple, contrairem­ent aux canaux traditionn­els comme les banques qui sont rigides.

« C’est un type financemen­t assez récent. Tous les acteurs de l’économie ont intérêt à surveiller son évolution dans l’avenir, à commencer par l’autorité des marchés financiers, les législateu­rs, et les entreprise­s. »

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photo : Archives La Liberté Ivan Tchotouria­n est professeur de droit et codirecteu­r du Centre d’études en droit économique.

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