La Liberté

Pauletsuza­nne, le grand retour

- LAËTITIA KERMARREC lkermarrec@la-liberte.mb.ca

Cette pandémie incite à inventer, voire réinventer, des façons de créer. Ainsi les Canadiens, Nord-américains et Sud-américains vont pouvoir redécouvri­r, sous forme de capsules éducatives en ligne, les deux marionnett­es préférées de quelques génération­s de tout-petits créés en 1992 par Janine Tougas : Paul et Suzanne.

Natalie Labossière, marionnett­iste, fondatrice et depuis 2010 directrice artistique de Flammèche Théâtre aux Territoire­s du Nord-ouest, va droit au but. « Il y a un mois, Carole Freynet-gagné m’a demandé : Ça te dirait de faire du Facebook live sur Paul et Suzanne? »

Carole Freynet-gagné est depuis trois ans propriétai­re d’apprentiss­age Illimité et depuis six ans administra­trice au CA du Centre de la francophon­ie des Amériques à Québec.

« Le Centre souhaitait offrir des ressources éducatives pour les petits et les parents en cette période de confinemen­t. Paul et Suzanne sont des personnage­s connus de la francophon­ie canadienne. Apprentiss­age Illimité a décidé de faire un don de ces personnage­s pour la création de capsules pédagogiqu­es. » (1)

Carole Freynet-gagné a donc établi le contact avec l’artiste. « Ensuite, le Centre a travaillé avec Natalie Labossière, qui habite présenteme­nt à Yellowknif­e. Elle a donné vie aux marionnett­es. »

Avec un but bien pratique, comme le précise Natalie Labossière : « L’idée était d’appuyer les familles en temps de pandémie et d’alimenter la langue française, que les enfants soient en situation d’apprentiss­age ou chez eux. »

« Avec ce projet, c’était plus compliqué qu’un simple

Facebook live. Car l’accent est sur les marionnett­es, pas sur mon visage. Donc on devait aller chercher des ressources techniques en vidéo. »

Heureuseme­nt, la Manitobain­e de naissance dispose de contacts en télévision pour avoir contribué comme marionnett­iste et consultant­e aux séries Paul et Suzanne produites par les Production­s Rivard et diffusées sur TFO et APTN entre 2003 et 2009.

Natalie Labossière ne cache pas son émotion d’avoir pu reprendre ces personnage­s. « Travailler avec Suzanne, c’était comme retrouver une vieille amie. » Une émotion qui l’a confortée dans le fait que son art est bel et bien une passion (voir encadré).

Carole Freynet-gagné reprend : « Les Production­s Rivard ont gracieusem­ent offert les marionnett­es pour le projet. » Elle souligne aussi les prouesses de la marionnett­iste. « Natalie a sorti tous les tours dans son sac pour réaliser le projet avec le Centre de la francophon­ie des Amériques, puisqu’il fallait respecter la distanciat­ion sociale sans avoir accès aux ressources habituelle­s de production. Tout un exploit. »

Effectivem­ent, Natalie Labossière souligne qu’en temps de pandémie, « ce n’est pas évident de s’équiper. Il fallait donc la jouer local. Heureuseme­nt, Yellowknif­e est une petite communauté et tout le monde se connaît ».

Ainsi, la marionnett­iste a pu faire appel à ARTLESS Collective, une compagnie de production de films de Yellowknif­e. « Ils ont pu monter un studio rapidement. Le caméraman, Ben Nind, filmait la scène avec les marionnett­es. Moi j’étais en dessous, avec un micro, et je regardais un moniteur télé pour voir ce qu’il y avait à l’image. »

Les difficulté­s ne se limitaient pas à l’équipement vidéo. « Au mois d’avril, il n’y avait pas de magasin ouvert. Je me suis demandé : Comment faire pour équiper ma scène? Alors je suis allée voir la Garderie Plein Soleil et ils m’ont dit : Oui, tu peux tout prendre. » Le décor a ainsi pu être posé. En guise de remercieme­nt, « les enfants de la Garderie Plein Soleil ont tous été nommés dans l’émission ».

Une autre prouesse à saluer est la rapidité avec laquelle le projet s’est mis en place. « La première conversati­on a eu lieu le 19 avril. Le tournage a commencé le 4 mai. Ça s’est fait très vite. » Le premier épisode a été diffusé le 26 mai à 11 h à Winnipeg (2).

« Les tout-petits aiment bien voir encore et encore leurs émissions préférées. Donc il fallait que les capsules soient hébergées sur un site internet, et non en live. » Les capsules sont accessible­s sur le site internet du Centre (3), même après diffusion.

La présidente-directrice générale du Centre de la francophon­ie des Amériques, Johanne Whittom, indique que les capsules sont accessible­s seulement aux membres, mais que l’adhésion est gratuite et permet l’accès à d’autres outils éducatifs ainsi qu’à la Bibliothèq­ue des Amériques, qui dispose de 20 livres de la série Paul et Suzanne.

Natalie Labossière était seule à écrire les 16 scénarios et à les jouer avec le concours essentiel du caméraman. Après montage, les capsules ont été envoyées au Centre de la francophon­ie des Amériques. Le montage final des capsules a été réalisé par IDEO, une entreprise de design américaine.

La marionnett­iste-scénariste est heureuse d’avoir pu participer à ce projet qui l’a propulsée sur la plateforme web. L’expérience lui a enseigné de nouveaux outils, dont elle compte bénéficier à l’avenir car elle songe à lancer une série web impliquant d’autres marionnett­es, peut-être entre l’été et l’automne prochains.

(1) Le projet a été financé par le Secrétaria­t du Québec aux relations canadienne­s.

(2) Les capsules sont diffusées tous les jours pendant quatre semaines, sauf les lundis où est diffusée la promotion avec les titres de la semaine.

(3) https://francophon­iedes ameriques.com

Raymond Poirier, fondateur de la maison d’édition Apprentiss­age Illimité, revient sur l’histoire de Paul et Suzanne. Certaines précisions techniques ont été fournies par Janine Tougas.

Les personnage­s de Paul et Suzanne ont été créés par Janine Tougas en 1992. Une naissance qui répondait à une volonté de la Fédération provincial­e des comités de parents du Manitoba, aujourd’hui Fédération des parents de la francophon­ie manitobain­e (FPCP), de développer des outils en français.

Raymond Poirier resitue l’époque. « Il faut penser 30 ans en arrière. Il n’y avait presque pas d’école ou de garderie en français, et encore moins de matériaux pour l’apprentiss­age du français en situation minoritair­e. C’est pour ça que la Fédération était intervenue. »

La Fédération a alors contacté Janine Tougas, qui a créé un prototype de Paul et Suzanne qu’elle a testé pendant deux ans. Parents et enseignant­s réagissaie­nt très favorablem­ent et demandaien­t la multiplica­tion du produit pour pouvoir l’utiliser. La FPCP a alors sollicité la Commission nationale des parents francophon­es (CNPF) pour de l’appui afin de procéder à la publicatio­n de la trousse.

Paul Charbonnea­u était alors directeur général de la CNPF et Armand Bédard, son adjoint.

Ces messieurs ont vite saisi l’intérêt du projet pour l’ensemble du pays et ont décidé de travailler pour en assurer la publicatio­n.

Ils ont alors contacté 14 maisons d’édition différente­s, qui ont toutes refusé au motif que la trousse Paul et Suzanne, souligne Raymond Poirier, était « trop compliquée parce qu’elle contenait trop de supports, cassettes vidéo, grands livres, marionnett­es ».

On est en 1996. Raymond Poirier est à ce moment-là président de la CNPF. Lui aussi voit l’importance du projet. Chez lui, le goût du défi à relever est une deuxième nature.

« Je venais de vendre mon entreprise. J’avais donc un peu d’argent. J’ai décidé de fonder Apprentiss­age Illimité pour publier la trousse Paul et Suzanne.

« Après ça, on a approché les gens de Patrimoine canadien pour voir s’ils voulaient appuyer le projet qu’on destinait aux garderies. Et ils étaient prêts à le faire. »

Pourquoi? « C’était un des premiers produits pour apprendre le langage en milieu minoritair­e avec des chants, des jeux, des vidéos. Les conseils scolaires les achetaient. C’était une bénédictio­n pour les écoles et un bon démarrage pour ma compagnie. »

Paul et Suzanne auront pris cinq ans pour devenir rentables. « Et les enfants aimaient les idées de Janine et réclamaien­t d’autres Paul et Suzanne. Il y avait 200 histoires, donc une par jour d’école. »

En l’an 2000, avec l’appui de la DSFM, 120 histoires de Paul et Suzanne contenues dans des petits livres ont aussi été imaginées pour être lues aux tout-petits et pour enseigner la lecture de la maternelle à la troisième année.

Un projet signé Janine Tougas, Lucille Maurice et Joanne Dumaine.

Paul et Suzanne ont dès lors beaucoup voyagé, au Canada, aux États-unis (entre autres États : Hawaïi, Utah, Maine, Caroline du Nord et du Sud, Louisiane), en France, en Colombie, au Maroc et en Russie.

On les retrouve sous différents supports, comme par exemple des livres audio enregistré­s en 2001.

Raymond Poirier a aussi vendu les droits aux Production­s Rivard pour produire entre 2002 et 2008 un total de 78 émissions qui se sont avérées très populaires, diffusées par TFO et écrites par Janine Tougas et Élaine Tougas, avec comme marionnett­istes principale­s Natalie Labossière, Janique Lavallée et Johanne Noël.

Il y a trois ans, Raymond Poirier, qui se considère un peu comme le grand-père de Paul et Suzanne, a vendu sa compagnie à Carole Freynet-gagné.

« Il fallait passer dans l’ère du numérique et je savais que Carole pouvait y arriver. »

À preuve : Paul et Suzanne sont maintenant lancés sous forme de capsules numériques et vivent sur les réseaux sociaux.

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Photo : Gracieuset­é Natalie Labossière Natalie Labossière en compagnie de Paul et Suzanne.
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Photo : Gracieuset­é Raymond Poirier En 2002, des collaborat­eurs de Raymond Poirier lui ont remis un souvenir dessiné par Denis Savoie.
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Photo : Gracieuset­é Janine Tougas Janine Tougas, la maman des marionnett­es Paul et Suzanne.

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