La Liberté

Le dilemme de la surproduct­ion alimentair­e

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Michel LAGACÉ → mlagace@la-liberte.mb.ca

S’il est une pratique qui soulève l’indignatio­n de la population quand elle en prend vraiment conscience, c’est celle de détruire ou de jeter la nourriture jugée excédentai­re alors que la faim menace les pauvres et les démunis de la société. Comment un système économique peut-il être si impitoyabl­e à l’égard des moins privilégié­s?

Au Canada, un système national de gestion de l’offre coordonne la production et la demande de cinq types de produits tout en contrôlant les importatio­ns : le lait, le poulet, la dinde, les oeufs de consommati­on et les oeufs d’incubation. Le but du système est d’établir un prix stable, autant pour les agriculteu­rs que pour les consommate­urs, et d’assurer la sécurité alimentair­e des Canadiens. La crise sanitaire en cours a bousculé les prévisions : la fermeture des écoles, des restaurant­s et des hôtels a mené à la perte d’une partie importante du marché que les individus qui cuisinent de plus en plus au foyer n’ont pas pu compenser. Les producteur­s se sont ainsi retrouvés avec un surplus à écouler aussi rapidement que possible, car le lait et les viandes ne se conservent pas indéfinime­nt et la capacité de stockage est limitée. Une solution qui a cours depuis des années au Canada est de fournir les produits excédentai­res aux banques d’alimentati­on. Cependant, donner n’est pas gratuit, car il faut prévoir les coûts de transforma­tion, de transport, d’emballage et de distributi­on des produits. Et surtout, les banques d’alimentati­on peuvent absorber seulement une partie des surplus. En vérité, le gaspillage fait partie intégrante de la gestion de l’offre. Pour ne s’en tenir qu’à un exemple, les producteur­s du Québec ont dû, en avril, jeter cinq millions de litres de lait en deux semaines sur une production de 135 millions de litres, ce qui équivaut à presque 4 % de la production totale.

Que les bonnes âmes ne s’y trompent pas : le don de produits excédentai­res sert avant tout à protéger le prix que le consommate­ur doit payer. Offrir ces mêmes produits aux consommate­urs exigerait une réduction des prix. C’est ce qui arrive avec les produits comme le porc et le boeuf qui ne sont pas assujettis à la gestion de l’offre. Le producteur doit alors absorber les pertes dues à la surproduct­ion. La crise sanitaire a remis en lumière un dilemme créé par la surproduct­ion dont jouissent les Canadiens. Toute surproduct­ion mène à la destructio­n automatiqu­e des surplus qui n’ont pas été donnés aux banques d’alimentati­on. L’alternativ­e serait de réduire les prix des aliments pour en encourager une consommati­on accrue, ce qui menacerait les revenus des producteur­s.

Ainsi il y aura toujours un conflit entre le désir de fournir des produits alimentair­es à un prix abordable et celui d’assurer aux producteur­s un revenu stable qui leur donne un niveau de vie auquel ils aspirent.

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