Eric Plamondon, un peu plus Lucas que Théo
Eric Plamondon sort sa première pièce, Inédit, qui est aussi le premier ouvrage de la Nouvelle Collection Rouge aux Éditions du Blé. L’artiste multidisciplinaire parle de son livre, qui s’ancre à Winnipeg dans le thème queer.
Eric Plamondon s’adonne aux arts à temps plein depuis près de dix ans. Il partage son temps entre la direction générale du centre winnipégois d’art et de culture Artspace et sa pratique artistique multidisciplinaire, qui inclut le théâtre, le cinéma et l’art visuel.
Depuis cinq bonnes années, l’artiste travaille sur sa pièce de théâtre Inédit. Un titre à deux niveaux de réflexion. Le premier niveau concerne les personnages. « Les deux sont dans la vingtaine, à un âge où on est motivé par des instincts, des curiosités. S’y ajoute une composante gay qui fait que les personnages doivent s’apprivoiser et se comprendre. Autrement dit, ils doivent s’éditer dans le monde. »
Pour les créer, Eric Plamondon s’est inspiré de ce qu’il connaît. « Au théâtre, contrairement aux romans ou aux films, on est limité par le nombre de personnages que l’on peut avoir. Chacun d’eux devient donc naturellement une combinaison de gens. Par exemple, il y a plusieurs Théo dans ma vie. » Théo étant l’un des personnages de son histoire et l’autre, Lucas. On peut parfois être soi-même une source d’inspiration. « Moi je suis un peu plus Lucas que Théo. »
Toutefois, au fil du travail d’écriture, les personnages ont évolué. « Au début, on est plus inspiré par certaines personnes, car il faut bien commencer quelque part. Puis ça évolue, on modifie, mais il reste toujours des traces des origines de ces personnes. »
La perception des personnages s’approfondit aussi à mesure que les lecteurs découvrent la pièce. « Aucun des deux n’est une caricature, chacun a une certaine complexité. Et en une heure et demie, on comprend cette complexité-là. »
La caricature, le dramaturge tenait à l’éviter. « Dans l’art queer, on pense souvent aux drag queens, très colorées, très poussées. » Dans sa pièce, il a choisi un rythme particulier pour rester davantage dans la subtilité, en insérant régulièrement des pauses dans la narration, pour donner un beat. Des pauses qui se veulent « de trois à six temps, comme à l’époque où les poètes étaient influencés par le jazz.
« Dans la pièce, je voulais jouer sur ce temps inhabituel, non standardisé. Ce qui caractérise l’art et la culture queer est que l’on sent le poids de la situation. On sait ce qui existe derrière elle. On a besoin de ce temps-là pour se rattraper et comprendre le drame au lieu de glisser vers la caricature. » Eric Plamondon invite ainsi l’auditoire à approfondir.
Le deuxième niveau de réflexion de Inédit touche à la composante francophone, sa langue maternelle. « Il y a un peu un jeu sur le fait qu’un français parlé au Manitoba, comme partout où ce n’est pas la langue majoritaire, est très différent d’un français écrit. On utilise des mots anglais quand ça convient mieux, c’est beaucoup moins édité. »
Pour l’auteur, « le double langage français-anglais était un choix naturel pour refléter la façon dont les personnes parlent ici. Une de mes motivations était d’ancrer les personnages sur le territoire de la rivière Rouge. On reconnaît Winnipeg ».
Un enracinement qui ne limiterait pas pour autant la compréhension de l’histoire au seul Manitoba. « J’ai fait une résidence d’artiste au printemps dernier à l’école nationale de théâtre à Montréal. Cinq étudiants ont lu mon texte français-anglais. Ils ont trouvé l’histoire approchable et aussi qu’elle reflétait leur réalité. C’est un dialogue naturel et non académique. »
Une belle surprise pour l’auteur. « L’école nationale était
un point tournant pour moi, un premier test. Car j’écrivais ma pièce surtout pour Saint-Boniface. Mais cette expérience m’a permis de la tester ailleurs. À l’école nationale, ils n’ont aucune obligation sociale à encourager quelqu’un de Saint-boniface. Donc ça démontre qu’il y a un vrai potentiel pour un public hors de Winnipeg. »
Un tournant d’autant plus important pour Eric Plamondon que son oeuvre est publiée. « Je devais comprendre qu’en bout de ligne on allait publier un livre. L’expérience littéraire est moins éphémère qu’une pièce de théâtre. Donc la question à résoudre était : Sous quelle forme ça doit être pour qu’une personne à Saskatoon, à Paris ou ailleurs puisse prendre le livre et le comprendre? »
Un premier livre qui pourrait bien ne pas être le dernier. « L’écrit fait partie de ma production artistique. Mes films ont souvent un narratif poétique. Je vais continuer à écrire dans ce genre, car ça me motive, je trouve ça intéressant. Mais reste à voir s’il y a des opportunités, de l’intérêt. On verra ce que le futur permettra. »
Ainsi, Eric Plamondon attend la réaction des gens à son livre : « J’espère que les gens liront le livre de théâtre de la même manière qu’un autre livre et qu’ils pourront y voir une opportunité, un reflet contemporain de notre communauté francophone au Manitoba. »