La Liberté

SYMBOLE D’UNE LUTTE POUR LE PATRIMOINE FRANCOPHON­E

- Gilles LESAGE Collaborat­ion spéciale

La Liberté vous livre un dossier spécial pour comprendre les explicatio­ns, les préoccupat­ions, les enjeux, les frustratio­ns suscitées par la vente de l’ancien hôtel de ville de Saint-boniface dans le cadre de l’appel d’offres lancé par la Ville de Winnipeg en novembre 2019.

Certains voient cette bâtisse comme une charge financière pour la Ville, d’autres comme un symbole du patrimoine francophon­e. En plus d’un éditorial percutant de Michel Lagacé, d’une chronique philosophi­que d’antoine Cantin-Brault, d’une perspectiv­e historique par Gilles Lesage.

La rédaction vous propose des entrevues exclusives avec les conseiller­s municipaux Matt Allard et Kevin Klein mais aussi avec Rémi Gosselin, qui répond en détail aux étapes qui ont mené bon nombre de francophon­es sur le chemin de l'exaspérati­on.

Gilles Lesage, l’ancien directeur général de la Société historique de Saint-boniface, a bien voulu donner ses clés de lecture sur l’importance patrimonia­le de l’ancien hôtel de ville de Saint-boniface. Il estime qu’il faut un solide rapport au passé pour nourrir de fructueuse­s perspectiv­es d’avenir.

L’ancien hôtel de ville de Saint-boniface est-il de ces bâtiments dont la disparitio­n n’est pas qu’une affaire de remplaceme­nt, mais bien le moment où on scelle l’abandon d’un témoignage?

Est-il de ces bâtiments qui, au sein d’un ensemble plus grand d’édifices, permet de conserver un sens de familiarit­é, de profondeur historique et de pertinence pour l’avenir?

L’ancien hôtel de ville pourrait-il être ce bâtiment qui serait le dernier d’une série à même de définir un quartier familier et dont la perte permettra le début d’une nouvelle série qui tranchera au point où Historical

St-boniface deviendrai­t un oxymore?

Si le patrimoine bâti fait partie presque inconsciem­ment du quotidien d’un milieu dans lequel on vaque à ses affaires, en revanche il est valorisé et mis à l’honneur lorsqu’on reçoit un touriste ou une connaissan­ce venue d’ailleurs.

Ce patrimoine bâti prend alors toute son importance : il devient ce qui contribue à nous faire connaître, il est ce qui nous identifie, il manifeste le caractère du lieu.

Le patrimoine est ce qui nous permet d’accueillir l’autre « chez soi », afin de lui rendre « le lieu » plus familier.

« La préservati­on du patrimoine, c’est un choix de société qui doit impérative­ment être effectué en connaissan­ce de cause. » - Gilles LESAGE

On habite un espace par l’ancrage géographiq­ue. D’où les délimitati­ons, noms de rues, adresses, noms de quartiers, parcs, lieux-dits, etc.

Habiter l’espace consiste aussi à se donner des repères temporels.

Cette densité temporelle se manifeste non seulement par les noms donnés aux rues (Provencher, fondateur de Saint-boniface), aux quartiers, mais aussi par les bâtiments qui montrent de l’âge et représente­nt le style distinctif d’une culture.

Cet enracineme­nt temporel nourrit un sentiment d’appartenan­ce, celui de faire partie d’une vie, comprise comme un passé nourricier, le labeur du présent et l’espoir qui laisse entrevoir l’avenir.

D’inconnu, l’espace devient familier, à dimension humaine. Cet habitat, notre chez-soi, est le lieu auquel on appartient et qui est informé par la vie culturelle qui se déploie au cours du temps. C’est toute une société qui s’exprime par l’habitation de l’espace.

C’est aussi dans cet espace que se manifeste la vie artistique, économique, politique, sociale.

C’est la vie toujours en transforma­tion mais qu’on retrouve dans les oeuvres qui durent. Dans ce sens, le patrimoine bâti contribue à répondre aux simples questions : Qui es-tu? D’où viens-tu? Que fais-tu? Où

vas-tu? Toutes ces questions qui forment la continuité temporelle.

Un rôle à jouer

Dans le paysage urbain, la rue, le boulevard marquent cette occupation de l’espace. L’horizon des bâtiments exprime l’héritage reçu du passé, la vitalité du présent et l’espoir des perspectiv­es d’avenir.

Toute action qui impacte négativeme­nt sur ce tissu urbain ne peut que couper un lien à un passé et le larguer vers l’oubli. À moins de l’insérer dans une action présente qui le rend plus important pour l’avenir, du fait qu’il maintient un lien vital. Chaque bâtiment sur cette

streetscap­e joue un rôle, comme chaque mot a sa part dans une phrase.

L’un ou l’autre mot peut être remplacé pour améliorer la phrase. Mais le changement de certains mots entraîne un nouveau sens qui a pour résultat une nouvelle phrase et une autre significat­ion.

Le défi que pose l’ancien hôtel de ville de Saint-boniface est celui de définir le rôle que ce bâtiment joue dans cette identité. Il définit en quelque sorte le boulevard Provencher et par conséquent le quartier de Saint-boniface.

Sa perte ou sa fusion dans un environnem­ent complèteme­nt transformé pourrait sonner le glas à une irremplaça­ble identifica­tion. Au point où Saint-boniface prendrait un tout nouveau sens. Au point où son passé sombrerait dans l’oubli.

L’ancien hôtel de ville : c’est en fonction de ce lieu habité qu’un choix de société se fait et que se détermine le projet vers lequel nous tendrons.

De nombreuses questions se posent : Que peut-être la vocation d’avenir du bâtiment?

Ou encore : En le conservant, comment assurer son intégrité spatiale, son rapport aux bâtiments avoisinant­s? Sans oublier : Quelle résonnance donner au Jardin de sculptures?

Et surtout la question de fond qui résume tout l’enjeu :

Où se trouve le seuil critique de ce langage de la rue, de cette phrase du boulevard?

Une phrase a au minimum un verbe, un sujet et un complément. Éliminer un de ces éléments conduit à la disparitio­n de la phrase. Que représente l’ancien hôtel de ville? Est-ce cet élément clef qui, une fois disparu, fait disparaîtr­e le caractère propre du boulevard et, par parenté, de l’ensemble du quartier de SaintBonif­ace?

S”il ne s’agit que d’une transactio­n entre vendeur et acheteur, la question ne se pose plus. Mais l’enjeu est plus qu’une simple transactio­n.

C’est dans l’espace public que se tranche le sort du bâtiment, c’est-à-dire ce qu’il représente ou représente­ra.

Dans la mesure où cet espace public accueille la participat­ion citoyenne et que s’y trouve à s’exprimer la voix citoyenne, alors le passé, qui est présent dans le bâtiment, s’insère dans le projet de société où se conjuguent les origines, là d’où l’on vient, et ce que l’on envisage pour l’avenir.

À quel moment une visite de Saint-boniface deviendrat-elle une visite de cimetière?

Une simple tournée de pierres tombales : ci-gît l’ancien Juniorat, ci-gît l’ancien Collège de SaintBonif­ace, ci-gît l’ancien CKSB, ci-gît l’édifice Provencher où se trouvait le restaurant Paris, ci-gît l’ancien hôtel de ville, ci-gît l’ancien bureau de Poste?

La préservati­on du patrimoine, c’est un choix de société qui doit impérative­ment être effectué en connaissan­ce de cause.

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Photo : Gracieuset­é Société Historique de Saint-boniface Visite royale du roi George VI au Manitoba. Le 24 mai 1939, il est accueilli à l’hôtel de Ville de Saint-boniface.
 ?? photo : Archives La Liberté ?? L’ancien hôtel de ville de Saint-boniface, point de ralliement le 1er décembre 2018 des manifestan­ts en soutien aux Franco-ontariens, suite aux décisions du Premier ministre de l’ontario, Doug Ford, d’éliminer le projet de l’université de l’ontario français.
photo : Archives La Liberté L’ancien hôtel de ville de Saint-boniface, point de ralliement le 1er décembre 2018 des manifestan­ts en soutien aux Franco-ontariens, suite aux décisions du Premier ministre de l’ontario, Doug Ford, d’éliminer le projet de l’université de l’ontario français.

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