MATT ALLARD
La a vente et le processus de vente de l’ancien hôtel de ville au 219 Provencher et de l’ancienne caserne de pompiers au 212 Dumoulin ont suscité colère et critiques sur les réseaux sociaux depuis le 12 février dernier, date à laquelle le Comité d’orientation permanent des biens et de l’aménagement, du patrimoine et du développement du Centre Ville (ci après nommé le Comité) a voté en faveur de l’acquisition des deux édifices par Manitoba Possible pour une somme de 10 000 $.
Questions-réponses avec Matt Allard, conseiller de Saint-boniface depuis 2014. Le prix du 219 Provencher a été évalué par la Ville de Winnipeg à 2,4 millions $. Le prix de vente accordé à Manitoba Possible est de 10 000 $, y compris l’ancienne caserne de pompiers. Avezvous le sentiment que la Ville ait bradé ce patrimoine francophone?
Je comprends que certaines personnes soient indignées lorsqu’elles apprennent que la Ville a vendu notre patrimoine pour seulement 10 000 $.
Ça me frustre quand je pense qu’une organisation francophone aurait pu se présenter et offrir une somme d’argent similaire et aurait eu de bonnes chances d’être recommandée par l’administration publique.
Justement, c’était fait exprès que la Ville n’ait pas établi de prix minimum. C’était conforme à la demande que j’avais faite auprès de l’administration publique de privilégier l’intérêt de la collectivité par rapport aux considérations financières lorsqu’on m’a dit qu’un appel d’offres allait être lancé et lorsqu’on m’a demandé mon avis.
Les actuels locataires de l’ancien l’hôtel de ville de SaintBoniface payent ensemble au-delà de 120 000 $ par année. Ce qui permet de constater que les frais d’entretien réguliers étaient couverts... Pourquoi le vendre?
Le conseil municipal a déterminé en 2007 que l’ensemble du campus civique (ancien hôtel de ville, caserne de pompiers, station de police et bureau du
Festival du Voyageur) était excédentaire par rapport aux besoins de la Ville. Ce n’est pas moi qui ai pris cette décision.
La raison pour laquelle l’administration publique cherchait à vendre le 219 Provencher et le 212 Dumoulin est que les bâtiments ont des millions de frais d’entretien différés. Ces coûts sont soutenus par la Ville et non par les locataires. Par exemple, lorsque le toit doit être remplacé, les locataires ne sont pas facturés.
Les coûts se chiffrent en millions... Selon quelles évaluations?
Je n’ai pas connaissance d’évaluations à cet effet. Mais c’est ce que l’administration publique m’a indiqué.
L’évaluation de l’état des installations de la Ville prévoit des coûts sur une période de dix ans, car certains éléments du bâtiment arrivent en fin de vie et doivent être remplacés pour assurer un entretien adéquat. Les coûts d’entretien différés ne sont qu’un aspect de l’évaluation des installations.
En millions $... Pourtant une évaluation par la firme HLC Consulting pour le compte d’entreprises Riel en date de septembre 2020 parle plutôt de 282 000 $ sur 10 ans. Une notable différence...
L’administration publique ne peut pas commenter le rapport de la firme HLC, car il n’a pas été communiqué à la Ville.
Avez-vous signé un quelconque document donnant votre approbation sur la vente de l’ancien hôtel de ville ou de l’ancienne caserne de pompiers?
Non.
Avez-vous été consulté?
J’ai été consulté par l’administration publique le 18 septembre 2019.
J’ai appris que l’appel d’offres était imminent lorsque j’ai été contacté par la Maison des artistes, qui avait reçu une correspondance les informant que leur bail pourrait être modifié à la suite d’une demande de propositions qui serait publiée prochainement.
J’ai alors fait une présentation à l’assemblée générale annuelle de la SFM en octobre 2019 pour faire savoir à la communauté ce qui se passait et que ce serait notre chance, en tant que communauté francophone, de prendre le contrôle des bâtiments.
Comment expliquez-vous que le Comité d’orientation permanent des biens et de l’aménagement, du patrimoine et du développement du Centre Ville n’ait pas retenu votre demande de séparer les deux bâtisses 219 Provencher et 212 Dumoulin?
Je suis déçu. J’ai pourtant fait pression sur eux, au téléphone et en personne. Il y avait une option qui avait été soumise par Manitoba Possible pour acheter uniquement la caserne de pompiers. Ce Comité avait le pouvoir de faire ce qu’il voulait avec l’offre d’achat.
Ayant suivi de près les délibérations du Comité avant sa décision, il me semble que ses membres ont choisi de soutenir la proposition de Manitoba Possible par crainte de compromettre leur vision de l’ensemble du campus.
Cependant, il faudrait discuter avec chaque conseiller du Comité (Santos, Lukes, Gilroy, Klein) pour mieux comprendre pourquoi ils ont voté comme ils l’ont fait et pourquoi aucune motion n’a été présentée pour ordonner à la Ville de procéder à la vente, avec ma demande de séparer l’ancien hôtel de ville.
Comme le conseil municipal est l’instance suprême, rien ne les empêchait de donner des directives plus précises sur ce dossier à l’administration publique.
C’est ce même Comité qui a rejeté ma demande de prolongation d’un an de la durée de l’appel d’offres, conformément à la demande de la SFM.
Une demande formelle de la SFM qui vous avait été envoyée le 15 septembre 2020 et à laquelle votre bureau a répondu en octobre 2020...
La SFM avait demandé une réunion spéciale pour examiner le 219 Provencher. C’était une mauvaise idée à mon avis, car elle n’aurait pas été bien accueillie par mes collègues.
J’ai préféré faire la demande à mes collègues lors d’une réunion régulière du Comité permanent, puisqu’il s’agissait d’une deuxième demande de prolongation.
Par respect pour leur temps, j’ai pensé que c’était notre meilleure chance d’obtenir une autre prolongation. Le Comité avait le pouvoir de décision ultime et je les ai encouragés à aller dans ce sens.
J’ai même prévenu le Comité que l’administration publique allait certainement faire valoir que ce serait contraignant pour la Ville. Pourtant, en répondant à cet appel d’offres, les soumissionnaires acceptaient expressément que la Ville n’avait aucune obligation d’entamer des négociations ou d’établir un contrat avec un soumissionnaire. Il est clair que la Ville aurait pu prolonger l’appel d’offres, mais mes collègues ont choisi de ne pas le faire.
Dans l’appel d’offres, on peut voir l’échéancier établi par l’administration publique. On voit bien qu’il a été raccourci de façon drastique. Comment expliquer cette précipitation?
L’administration publique a expliqué que la raison pour laquelle le processus a été accéléré était que Manitoba Possible était le seul soumissionnaire qu’elle pouvait recommander - que l’offre de Manitoba Possible avait obtenu une note “nettement plus élevée” que les autres offres. La suivante était de 53/100 contre 81/100.
Le Comité avait connaissance des autres propositions soumises. Ainsi, le Comité a non seulement agi sur la recommandation de l’administration publique, mais il l’a fait en toute connaissance de la valeur des autres offres.
En 2007, vous étiez l’assistant exécutif du conseiller de SaintBoniface Dan Vandal, année même où la propriété a été placée en excédent et où il y a eu négociation avec la Ville pour la création du Jardin de sculptures. D’un côté la propriété est mise sur la liste excédentaire et de l’autre on permet un investissement de plus de 500 000 $, selon une entente tripartite où la Ville a elle même investi de l’argent...
À l’époque, mon rôle d’assistant du conseiller municipal était davantage axé sur la correspondance avec la communauté et non sur les affaires du conseil municipal. Je ne me souviens d’aucune discussion concernant cette question à l’époque. Je reconnais qu’il est incohérent d’investir dans une propriété de la Ville tout en la déclarant presque simultanément excédentaire.
Dans l’appel d’offres de la Ville pour les deux bâtisses, aucun critère ne fait spécifiquement mention de la francophonie...
L’administration publique m’a consulté le 18 septembre 2019 lors d’une réunion avec Gord Campbell et Marc Pittet ; je leur ai répondu que je voulais que le critère francophone pèse lourd dans la décision afin que ça joue en faveur de la communauté.
Je leur ai aussi demandé un grand laps de temps pour que les organisations à but non lucratif comme Entreprises Riel puissent faire une proposition, comme elles l’avaient d’ailleurs fait pour la caserne de pompiers auparavant.
Vous comprendrez alors que des membres de la communauté francophone se sentent frustrés quant au peu de considération de la Ville de Winnipeg, et du Comité en particulier, à l’égard du caractère unique que représente l’ancien hôtel de ville de Saint-boniface, haut symbole du patrimoine francophone à leurs yeux...
Je partage cette frustration avec ceux qui espéraient voir un francophone prendre le contrôle de notre patrimoine. J’avais fait la demande aux membres du Comité de ne vendre que l’ancienne caserne de pompiers et non l’ancien hôtel de ville de Saint-boniface. Cela aurait été faisable. Cette situation aurait été idéale, puisque nous aurions trouvé une solution pour restaurer notre caserne historique qui est vacante depuis 13 ans, tout en répondant aux attentes de la communauté francophone à l’égard de l’ancien hôtel de ville de Saint-boniface.
Il y a eu aussi l’absence totale de services d’interprète lors de réunions comme celle du 12 février. N’était-ce pas nécessaire dans un tel dossier sur Saint-boniface, sachant qu’il s’agit d’un bastion de la francophonie?
J’ai exprimé ma très grande déception et j’ai remis en question la légalité de l’absence de services d’interprétation en français. J’ai même suggéré que si le Comité allait de l’avant, il pourrait faire face à un défi juridique en raison du manque d’équité procédurale chez les personnes qui préfèrent communiquer en français à Saint-boniface et où les citoyens ont droit à des services municipaux en français.
J’ai été déçu que mes collègues n’aient pas accepté ma demande de report de la décision au mois prochain, afin que les délégations puissent être autorisées à communiquer en français.
Le rapport de recommandation de l’administration publique n’a pas non plus été publié en français...
Les rapports ne sont généralement pas traduits en français dans la Ville de Winnipeg, mais il y a eu au moins une exception : le Rapport administratif sur la revue des services en français (1)
C’est regrettable et c’est l’une des choses que nous devrions continuer à viser comme communauté bilingue.
Il est clair qu’il y a beaucoup de travail à faire pour que le français reçoive un statut vraiment égal en tant que langue officielle à Winnipeg et au Manitoba.
Enfin, que pensez-vous de la décision du Comité? Êtes-vous satisfait du résultat final de cet appel d’offres?
Je ne suis pas satisfait du résultat final. J’espérais que dans ce processus, une organisation francophone aurait fait une offre qui aurait pu être soutenue par l’administration publique et qui aurait assuré une longue durée de vie aux bâtiments, qui auraient été sous le contrôle de la communauté de langue française.
Je félicite Héritage SaintBoniface et la Coop La Crémerie pour avoir pris le temps et fait l’effort de mettre en avant leurs meilleurs atouts.
Répondre à un appel d’offres de cette ampleur représente une énorme quantité de travail.
Cependant, un candidat idéal pour avoir fait ce type de demande aurait été notre corporation économique communautaire, Entreprises Riel.
J’ai été surpris qu’entreprises Riel - qui, à mon avis, a déclenché le processus d’appel d’offres- ne se soit pas prononcée au Comité le 12 février.
J’espère que Manitoba Possible sera en mesure d’élaborer un plan pour sauver la caserne historique qui est inoccupée depuis maintenant 13 ans et qui aurait été démolie par négligence si elle n’avait pas trouvé d’acquéreur.
Si leur plan est couronné de succès, ils parraineront nos bâtiments patrimoniaux en investissant des millions de dollars et en s’assurant qu’ils resteront debout pendant les 100 prochaines années.
(1) https://winnipeg.ca/francais/Frenchlanguageservices/pdfs/ Rapport- administrativesur- la- revue- des- services- enfrancais.pdf