RÉMI GOSSELIN
Le Comité d'orientation permanent des biens et de l'aménagement, du patrimoine et du développement du Centre Ville a voté le 12 février 2021 en faveur de l'acquisition de l'ancien hôtel de ville et de l'ancienne caserne de pompiers à l'organisme Manitoba Possible pour une somme de 10 000 $.
Mais pour le comité ad hoc qui tentait jusquelà des négociations en coulisses pour faire comprendre l'importance de ce patrimoine francophone aux élus municipaux, le 12 février 2021 a marqué le début d'une lutte plus frontale.
Questions-réponses avec Rémi Gosselin, membre du conseil d'administration des Amis des arts visuels du Manitoba et membre du comité ad hoc mis sur pied par la SFM. Quand et comment votre groupe communautaire s’est-il formé pour lutter contre la vente de ce patrimoine historique pour la francophonie? Parlez-nous de son objectif...
À son AGA le 19 octobre 2019, la SFM a reçu le mandat de jouer « un rôle de leadership dans le dossier du 219 Provencher afin de favoriser le maintien de l’édifice au service de la collectivité de la francophonie manitobaine ».
La SFM a donc formé un regroupement des principales parties prenantes du dossier : la SFM, les locataires ( le World Trade Centre Winnipeg, Entreprises Riel, la Maison des artistes visuels du Manitoba et les Amis des arts visuels du Manitoba) ainsi qu’héritage Saint-boniface.
L’objectif est de s’assurer que les intérêts et désirs de la communauté francophone sont respectés dans le processus de vente du 219 Provencher et du 212 Dumoulin et y compris l’évaluation des soumissions.
En reconnaissance de la divergence d’intérêts et d’opinions dans la communauté francophone ainsi qu’à SaintBoniface, nous réclamons depuis novembre 2019 un processus plus transparent, participatif et consultatif.
Depuis octobre 2019, les membres du regroupement ont signé deux lettres ouvertes (27 novembre 2019 et 10 février 2021), ont rencontré plusieurs fois le conseiller Mathieu Allard, ont fait des présentations en délégation à 7 rencontres municipales publiques pour manifester leurs préoccupations, soit au Comité communautaire Riel, au Comité d’orientation permanent des biens et de l’aménagement, du patrimoine et du développement du centreville, au Comité exécutif ou au
Conseil municipal de Winnipeg.
De plus, le groupe a organisé des rencontres individuelles avec 12 des 16 conseillers municipaux, ainsi qu’avec une représentante du bureau du maire pour les sensibiliser à l’importance du carré civique pour la communauté francophone et les mettre au courant de nos préoccupations.
La communauté francophone sait que le carré civique est sur la liste des propriétés excédentaires depuis 2007. Cet appel d’offres n’est donc pas une surprise...
En 2007, la Ville de Winnipeg a posé des gestes contradictoires : au moment où elle déclarait le carré civique excédentaire, elle signait une entente tripartite avec les gouvernements provincial et fédéral avec les appuis de La Maison des artistes et Entreprises Riel pour la création du Jardin de sculptures, où la communauté a investi 1,5 million de dollars à ce jour.
Les locataires du 219 Provencher paient non seulement des loyers, mais aussi des impôts fonciers, des améliorations locatives et des frais d’assurances.
Entreprises Riel avait trouvé preneur pour transformer la caserne de pompiers en auberge jeunesse et gastro-pub. La Ville de Winnipeg a pris 4 ans à négocier un contrat et l’entente est tombée à l’eau en raison des délais.
Il y a environ 5 ans, la Ville de Winnipeg a mis les verrous au 212 Dumoulin et a coupé le chauffage sans avertir les bénévoles qui y opéraient un musée.
L’édifice tombe vite en désuétude dans les mains de l’administration municipale. C’est à se demander si la désignation patrimoniale de la Ville offre réellement de la protection aux édifices patrimoniaux quand l’administration elle-même ne la considère pas.
La Ville de Winnipeg semble tenir responsables les groupes communautaires pour ses propres échecs. C’est tout le contraire. La communauté a rempli le vide laissé et donné vie au campus civique, de bonne foi.
Ce n’est pas raisonnable de croire qu’on aurait dû deviner les intentions de la Ville durant 14 ans de relations comme locataire et comme partenaire.
Un cahier spécial pour Héritage Saint-boniface intitulé Mobilisons-nous pour notrepatrimoine avait même été encarté dans La Liberté en novembre 2019. Cet appel à la mobilisation semble ne pas avoir été entendu…
La communauté n’a pas dit son dernier mot sur la question. Nous dévoilerons sous peu un projet de mobilisation publique. Nous n’avons aucun doute que la communauté répondra à l’appel.
La Ville a emprunté un processus opaque et inaccessible aux citoyens et aux résidents.
Contrairement à des projets comme le réaménagement du bâtiment de la sécurité publique où la Ville a mené 2 ans de consultations publiques et qui a donné comme résultat un projet auquel tout le monde adhère.
Le processus choisi par l’administration publique et la Ville pour cette demande de proposition n’inclut aucune demande de commentaires publics, n’inclut aucun sondage d’opinion, n’inclut aucune audience publique, et ne divulgue aucun détail de l’évaluation.
De plus, il ne tient pas compte de la pandémie COVID-19 qui a nécessité l’attention de la communauté, et de tous, pendant la majeure partie de l’année 2020.
La Ville prend des mesures plus transparentes et participatives quand elle décide d’asphalter une ruelle que quand elle a décidé de l’avenir d’un monument historique national.
Certains évoquent même un manque de ‘’leadership’’ depuis ce moment-là dans ce dossier...
Jusqu’à présent, notre travail s’est fait principalement en coulisse et dans les salles du conseil municipal.
Les membres du public qui ont suivi les délibérations des comités municipaux en ligne savent que la SFM et ses partenaires ont fièrement représenté leur communauté et ont fait valoir les préoccupations des francophones et des résidents de Saint-boniface.
Malheureusement, en raison de la COVID-19, il a été impossible d’inviter les membres du public à nous appuyer en personne.
Depuis le début, notre approche a été positive et collaborative dans l’espoir d’arriver à une solution juste et raisonnable. Nous avons suivi le processus administratif de la Ville de bonne foi. Maintenant, nous passons à la prochaine étape.
La Ville explique que la bâtisse au 219 Provencher pèse lourd dans le budget municipal en raison des coûts d’entretien différés qui se chiffreraient à plusieurs millions de $. Pourtant, dans une évaluation, HLC Consulting a émis, pour le compte d’entreprises Riel, un rapport qui chiffre ces coûts à 280 000 $... Comment expliquez-vous cette différence?
Il faudrait plutôt poser la question à la Ville de Winnipeg; nous souhaitons comprendre leurs calculs. Selon cette évaluation indépendante, le 219 Provencher est en très bon état.
Aucune réparation immédiate importante n’est prévue ou recommandée. Le coût total de réserve pour l’entretien et le remplacement recommandé pour cette propriété est de 282 209 $ sur une période d’évaluation de 10 ans, soit environ 28 000$ par année. Les locataires actuels paient bien au-delà de 100 000 $ par année pour occuper l’édifice.
Nous reconnaissons qu’il est coûteux d’entretenir un bâtiment historique.
Mais, les locataires du 219 Provencher contribuent mensuellement à l’entretien de l’édifice et la Ville a refusé d’explorer avec nous un nouveau plan de gestion qui pourrait réduire les coûts d’entretien à venir.
« La Ville prend des mesures plus transparentes et participatives quand elle décide d’asphalter une ruelle que quand elle a décidé de l’avenir d’un monument historique national. »
Savez-vous si la Ville de Winnipeg a donné un premier droit de refus aux locataires de l’ancien hôtel de ville pour l’achat de la bâtisse?
Aucun premier droit de refus n’a été accordé aux locataires du 219 Provencher. En fait, excepté l’annonce du conseiller Mathieu Allard à L’AGA de la SFM en octobre 2019, les locataires ont seulement reçu une confirmation par écrit le 15 novembre 2019 que la propriété serait mise en vente, soit après que l’appel d’offres a été lancé.
Comment expliquez-vous le refus de la Ville d’accorder un délai supplémentaire pour cet appel d’offres? Pensez-vous qu’un autre groupe francophone se serait manifesté (autre que La Crémerie)?
Nous sommes restés étonnés du refus d’accorder un délai supplémentaire pour nous permettre de terminer les consultations publiques.
Partout sur la planète, des projets ont été annulés, reportés ou prolongés en raison de la COVID-19. La Ville de Winnipeg a même retardé le processus de recrutement pour un nouveau chef de l’administration; alors pourquoi pas dans ce cas? La consultation publique et la transparence sont essentielles pour un projet comme celui-ci!
Depuis le lancement de l’appel d’offres, la Ville a accéléré le processus, n’a pas respecté son propre calendrier et a tout fait pour réduire la possibilité pour la communauté d’intervenir.
Il est possible qu’il y ait eu vice de procédure et nous soutenons qu’il y a eu un effort pour éviter que le public ait l’occasion de participer pleinement dans le processus.
L’option de louer des espaces dans cette bâtisse a été évoquée par plusieurs personnes, y compris le président-directeur général de Manitoba Possible... est-ce envisageable pour vous?
Nous avons un profond respect pour Manitoba Possible, leur initiative et leur vision inclusive extraordinaire.
Cela dit, l’idée de payer un loyer à un organisme privé est ahurissante pour la communauté parce que nous croyons fermement que le 219 Provencher est un bien public construit par la communauté pour la communauté.
Quand le propriétaire est la Ville de Winnipeg, les résidents le sont également; quand ce sont des intérêts privés, on n’est plus maître chez nous.
La Ville a refusé d’explorer un plan de gestion avec la communauté, mais elle demande maintenant à Manitoba Possible de négocier avec les locataires.
La Ville se déresponsabilise complètement. Elle a fermé la porte à tout dialogue significatif et a fait preuve de mépris envers la communauté francophone du Manitoba et envers les résidents de Saint-boniface.
Un processus plus transparent, plus participatif et plus consultatif aurait permis à tous, y compris à Manitoba Possible, de développer un projet auquel tout le monde adhère.
Qu’aimeriez-vous voir dans ce lieu patrimonial? À qui devrait-il appartenir si la Ville ne le veut pas?
Les locataires actuels du 219 Provencher contribuent au développement économique, touristique, culturel et artistique de la francophonie et de Winnipeg. On ne pourrait demander mieux!
Nous voulons que la Ville de Winnipeg demeure propriétaire du 219. Les responsables de la Ville de Saint-boniface ont très certainement légué le 219 Provencher à la Ville de Winnipeg avec l’espoir qu’il demeure à jamais un bâtiment public.
Dans cette optique, nous aimerions voir la création d’un organisme à but non lucratif pour gérer le 219 Provencher. La ville contribuerait à un fonds de travaux d’entretien reportés et les locataires paieraient des frais mensuels, semblables aux frais de condos pour contribuer aux travaux d’entretien.
On entend que cette décision suscite colère et frustrations...
Il est normal que la situation soulève les passions. Pourquoi? Parce que le 219 Provencher est beaucoup plus qu’un bâtiment historique, il fait partie de notre tissu social.
Il est un symbole puissant de près de 300 ans de présence francophone et de l’importante contribution civique des francophones et Métis. De plus, l’hôtel de ville constitue un point de repère pour l’ensemble de la francophonie canadienne. Notre patrimoine n’est pas à vendre!
La Ville de Winnipeg a choisi un processus opaque qui met en question les motifs de l’administration quant à l’avenir d’un monument historique national.
D’autant plus que la décision a été rendue de manière précipitée, neuf mois plus tôt que la date prévue par la demande de proposition.
Ni les rencontres ni les rapports concernant ce dossier n’ont été traduits en français. Un simple oubli selon vous ou la preuve d’un manque de considération de la part de la Ville de Winnipeg?
C’est un manque de considération de la part de la Ville de Winnipeg.
Comme le confirme un récent rapport interne, la Ville de Winnipeg respecte moins de la moitié des obligations de sa Charte sur les services en français. Cela semble représenter une culture organisationnelle.
Lors des premières portes ouvertes des édifices, la Ville n’a pas offert de services en français. La Ville a aussi occasionné d’importants retards dans ses communications à cause de lacunes importantes des services en français dans son service immobilier.
Certaines requêtes de la SFM ont tout simplement été ignorées, jusqu’à aujourd’hui. À plusieurs reprises, le bureau du greffier a répondu à nos communications adressées en français en anglais seulement.
Depuis le début des restrictions sanitaires, le Bureau du greffier a indiqué qu’ils ne pouvaient pas garantir que tous les conseillers puissent comprendre les interventions en français à cause de limites technologiques de leur service de traduction simultanée.
La Ville a donc imposé aux francophones le choix de ne pas se faire comprendre ou de présenter en anglais. La communauté a transigé avec la Ville de bonne foi malgré un non-respect flagrant de ses obligations en français selon sa Charte.
Pour les jeunes, les sites du patrimoine nous donnent un connaissance de notre histoire. L’hôtel de ville de Saint-boniface est un monument qui nous aide à prendre conscience des problèmes ville, notre province et notre pays. C’est pourquoi les jeunes doivent se
- Ariane Freynet- Gagné