La Liberté

Winnipeg face à sa francophon­ie et à son patrimoine

- → Michel LAGACÉ mlagace@la-liberte.mb.ca

Quand l’assemblée législativ­e du Manitoba a décidé de fusionner 13 municipali­tés pour former la ville de Winnipeg telle qu’elle existe aujourd’hui, la Ville de Saint-boniface a exprimé son opposition symbolique­ment : son drapeau a été hissé en berne et à l’envers, un signal internatio­nal de détresse. Pour le dernier maire de Saint-boniface, Edward Turner, le geste représenta­it la mort de la Ville. Car en perdant sa charte, elle perdait aussi son individual­ité et son autonomie. Et si les francophon­es étaient minoritair­es à Saint-boniface, ils seraient noyés dans le grand Winnipeg.

Depuis 1972, la Ville de Winnipeg a connu des conflits qui ont fait de la francophon­ie et du patrimoine des sources de divisions importante­s, des lignes de faille dans le tissu social. Déjà en 1983, au milieu de tensions extrêmes, le conseil de Ville a augmenté la discorde en ajoutant une question référendai­re aux élections municipale­s : il demandait aux citoyens si la Province devait laisser tomber sa propositio­n de constituti­onnaliser des services en français. Comme quoi le conseil estimait que les droits de la minorité pouvaient être assujettis à la volonté populaire même sur une question qui ne relevait pas de Winnipeg, mais de la Province.

Quant au patrimoine, la Ville continue de trébucher d’une catastroph­e potentiell­e à l’autre. En 2004, elle a déclaré son intention de vendre un lot situé à côté du site même de l’historique Upper Fort Garry. Lorsqu’elle a choisi un développeu­r qui voulait y construire un condominiu­m, un groupe de bénévoles, les Amis du Upper Fort Garry, s’est soulevé contre la décision. Il s’est entendu avec l’acheteur pour trouver un autre site. Malgré l’opposition soutenue du maire Sam Katz, l’ensemble du site de l’ancien fort est devenu un parc patrimonia­l qui commémore l’endroit où avait siégé le gouverneme­nt provisoire de Louis Riel en 1869-1870. Aujourd’hui, la ville risque de provoquer un désastre patrimonia­l. Les archives des 13 entités fusionnées en 1972 languissen­t depuis 2013 dans un entrepôt difficilem­ent accessible, sans contrôle de la températur­e et de l’humidité, et qui pourrait être détruit par les flammes qui ont déjà causé des dommages deux fois dans le voisinage. Ces archives comprennen­t celles des anciennes villes de Saint-boniface et de Saint-vital.

La controvers­e provoquée par la vente possible de l’ancien hôtel de ville et de l’ancienne caserne des pompiers de Saint-boniface fait ressortir deux des lignes de faille de la Ville, la francophon­ie et le patrimoine. Elle reflète l’incapacité de Winnipeg de se réconcilie­r à la présence francophon­e et de comprendre l’importance que les francophon­es attachent à leur patrimoine.

La disparitio­n de la Ville de Saint-boniface n’a pas fait disparaîtr­e la francophon­ie. Des génération­s de francophon­es ont cherché à se frayer un chemin dans une société manitobain­e tantôt indifféren­te, tantôt hostile. L’hôtel de ville est devenu un symbole de leur résilience. Le plus récent exemple de l’indifféren­ce de la part du conseil de Ville serait une excellente occasion de se sensibilis­er à l’importance de ce symbole et de faire d’une pierre deux coups : résorber la ligne de faille de la francophon­ie et celle du patrimoine.

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