La Liberté

Le temps des Grecs, la forêt et le carré civique de Saint-boniface

- Antoine CANTIN BRAULT

Les anciens Grecs vivaient avec trois sortes de temps, trois temporalit­és qui se mélangeaie­nt et cohabitaie­nt dans un même monde.

Le temps s’appelait d’abord chronos, en référence lointaine à ce Titan qui dévorait ses enfants. Ce nom met en avant le caractère destructeu­r du temps : le tempschron­os emporte tout, rien ne lui résiste.

Le temps était aussi nommé aiôn, pour l’épaisseur l’emporte sur le passé et le futur et les remplit de son contenu.

Avec le kairos, le temps devenait celui de l’opportunit­é, le temps de l’évènement qui marque une rupture avec le passé et qui instaure un nouveau futur. Le temps- kairos est ce moment propice qu’il faut savoir discerner grâce à la prudence. et à l’occasion duquel il faut poser un geste fondateur. Cette triplicité du temps offre une grille l’ancienne caserne de pompiers ainsi que l’ancien hôtel de ville de Saint-boniface. Depuis longtemps déjà, ces deux édifices oscillent entre deux temporalit­és.

Pour plusieurs, ils font partie du tempsaiôn : ils appartienn­ent au patrimoine éternel de cette francophon­ie qui a su établir ses droits et sa sécurité. Mais pour la Ville de Winnipeg, et pour bien d’autres encore, ces structures font très clairement chronos : celui qui les érode toujours un peu plus d’année en année et dont l’usure doit être contrée par des coûts Leur vente, qui n’est d’ailleurs pas encore assurée, à l’organisme Manitoba Possible, s’avère une formidable provocatio­n. Car au-delà d’une provocatio­n envers une communauté, c’est le temps lui-même qui est convoqué. Les choses bougent : il y aura un avant et un après. Le temps est mûr pour le kairos. Ce kairos qui n’arrive pas toujours de la manière dont on l’aurait souhaitée. Mais il arrive, peu importe.

Le carré civique de Saint-boniface a été élevé marquants. Mais comme le temps- chronos tout à fait bénéfique que son éternité soit refaçonnée par ce nouveau kairos il ne faudrait surtout pas céder à la nostalgie d’un moment idéalisé.

La culture francophon­e de Winnipeg a changé. Si bien que pour plusieurs francophon­es arrivés plus récemment à Winnipeg, le carré civique, au-delà de son précise.

L’actuelle provocatio­n a au moins l’avantage de sensibilis­er plusieurs citoyens et citoyennes quant à la valeur symbolique de l’ancienne caserne et de l’ancien hôtel de ville. Et, surtout, de nous rappeler l’importance de ne pas les livrer complèteme­nt au temps- chronos, c’est-à

Que commande la prudence lorsque se présente le kairos? Elle commande de retourner le kairos à notre avantage, à le dompter pour qu’il nous serve. Au stade où les choses en sont, des pourparler­s avec Manitoba Possible ne peuvent pas être exclus. Ces gens représente­nt aussi des intérêts importants, ceux d’un autre groupe vulnérable, encore plus vulnérable que la francophon­ie au Manitoba sous bien des aspects. Il est certain que plusieurs francophon­es en situation de handicap

Le carré civique de Saint-boniface ne doit pas devenir l’arbre qui cache la forêt. La forêt, c’est bien la culture francophon­e de Winnipeg et c’est elle qui doit primer et se perpétuer au travers des gens qui la font futures.

La bureaucrat­ie municipale aura bien plus de mal à couper un arbre si elle sait qu’il diversifié­e. Être une forêt, penser comme une forêt, trouver la façon de participer à sa biodiversi­té et savoir aussi inclure ce qui vient de l’extérieur et qui pourra y contribuer, voilà ce qu’exige le kairos.

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