Audrey Gordon : toujours la personne avant la couleur
L’année 2020 a été secouée en Amérique du Nord par des mouvements de lutte contre les discriminations. Pour la députée progressisteconservatrice de Southdale Audrey Gordon, elle a aussi été marquée par sa nomination au nouveau ministère axé sur la santé mentale et sur la lutte contre les dépendances.
Audrey Gordon veut avant tout être vue comme un humain parmi d’autres humains. D’où son souci de donner des clés de compréhension sur sa personne et son parcours en politique.
« Je viens d’un milieu très modeste. J’ai passé les cinq premières années de ma vie dans les Caraïbes, surtout en Jamaïque. Je suis venue au Canada et au Manitoba très tôt dans ma jeunesse. J’ai grandi ici. C’est pourquoi j’aime tant cette province.
« J’ai fait toute ma scolarité au Manitoba. Pendant 25 ans, j’ai travaillé pour le gouvernement manitobain au sein de différents ministères. Les dix dernières années, j’ai travaillé dans le domaine de la santé.
« Longtemps je n’avais pas pensé entrer en politique. Je voulais être architecte. J’ai toujours aimé les arts. Mais mon père a toujours voulu que je devienne docteure. Et comme je ne suis pas devenue docteure en médecine, il m’a dit qu’avec mon doctorat, il pourrait toujours m’appeler docteure! »
| Racines
« Mon père est décédé il y a trois ans, et j’ai terminé mon doctorat. Ce que je veux que les gens sachent aussi de moi, c’est que je suis très attachée à mes racines familiales. J’aime m’engager dans le développement communautaire et dans la construction communautaire. »
Un et demi après son élection, elle dresse un premier bilan.
« Pour le dire bien franchement, j’ai trouvé la communauté de Southdale très chaleureuse et accueillante. Je ne suis pas particulièrement critiquée parce que je suis noire.
« En fait, les critiques que je reçois sont directement adressées à mon parti politique et je ne me sens pas spécialement visée. Il y a quand même eu un acte de discrimination et de haine contre moi, l’été dernier : un de mes bancs de bus a été vandalisé. Pour moi, c’est l’acte d’un seul individu qui veut séparer, diviser. Ce n’est pas une indication du sentiment de la communauté. »
En septembre 2019, Audrey Gordon rentrait dans l’histoire politique du Manitoba en devenant l’une des trois premières personnes noires élues députés. À cette occasion, elle déclarait déjà : « J’ai été élue parce que j’ai porté le meilleur message au nom de mon parti, et non pas parce que je suis noire. » (1)
Une analyse à laquelle l’élue tient particulièrement. « Bien sûr, c’est important de se rappeler de son histoire pour ne pas refaire les mêmes erreurs, comme marginaliser des personnes. Si un effort est entrepris ou une politique mise en oeuvre pour redresser des erreurs du passé, je n’y vois pas d’inconvénient.
« Par contre, j’ai toujours pensé que les personnes doivent être promues sur la base de leurs compétences et leurs mérites, peu importe leur milieu d’origine. Il doit y avoir une obligation d’être à la hauteur des compétences demandées. »
Sur les récents débats autour du mot en N et du racisme systémique, Audrey Gordon se veut particulièrement nette. « J’ai souvent été sujette au mot en N, à l’école élémentaire et même encore au secondaire. Il n’y aucun endroit où il est tolérable d’appeler les personnes noires par ce mot.
« Pour moi l’attitude à adopter est claire. Il en va de la question noire comme de cette pandémie, les deux nous donnent une occasion d’enseigner l’espoir et de transmettre de l’espoir. C’est le moment de bouger vers un monde meilleur. Et des mots comme le mot en N n’ont aucune place dans notre société.
« Sur le racisme systémique, on sait bien qu’il existe. Il doit être dénoncé, il doit être éliminé et éradiqué. Parce que les personnes doivent bénéficier d’occasions professionnelles en fonction de leurs mérites et leurs qualifications. Quand il y a des barrières dans notre société qui empêchent la pleine participation de tous les citoyens, alors il faut absolument y mettre un terme.
« Ce qu’a fait le mouvement Black Lives Matter, c’était de sensibiliser notre société à ces problèmes en soulignant comment ils ont impacté la vie des Noirs pendant des siècles.
« Mais ce ne sont pas des problèmes que pour les personnes noires, ce sont des problèmes pour l’ensemble de la société. Si tous, on prend la responsabilité de ne rien laisser passer, alors on peut éradiquer le racisme. »
En sa qualité de députée, Audrey Gordon tente à son niveau de visibilité sociale de lutter contre les préjugés. « Je crois vraiment que les stéréotypes sont le résultat d’une ignorance, et donc d’un manque de sensibilisation. On construit nos pensées à partir de notre famille, de notre communauté environnante.
« Et on a besoin de sortir de sa zone de confort pour comprendre et connaître les autres. C’est seulement là qu’on peut se rendre compte à quel point on se ressemble plus qu’on est différent.
« Toujours, je reviens sur l’importance de la personne. Mon approche est d’être ouverte pour parler de moi. Je prends le temps de partager qui je suis, pour que les gens comprennent d’où je viens, qui je suis et quels sont mes défis.
« Nous sommes très divers dans notre diversité. Récemment, j’ai dit dans une entrevue : « Je ne savais pas que j’étais différente avant de venir au Canada. » Ce nouveau regard que j’ai porté sur moi-même m’a beaucoup impactée dans mes croyances. Longtemps j’ai pensé que j’étais inférieure.
« Maintenant, quand je suis dans l’enceinte du Palais législatif, je ne me pense pas comme une femme noire. Je me concentre sur les personnes que je sers et sur ma raison d’être en politique. Et si je vois du racisme, je mets le doigt dans la plaie. Depuis mon élection voilà un an et demi, j’ai appris à être forte dans l’expression de mes convictions. »
Comme première femme ministre noire au Manitoba, Audrey Gordon souhaite laisser un legs qui dépasse le fait d’histoire. « Je veux avoir servi ma communauté avec intégrité, honnêteté, sincérité et passion. Avec une volonté : apporter le meilleur pour les Manitobains. Je fais de mon mieux. Et quand les occasions se présentent, je les saisis. Je veux que les gens se rappellent de moi pour les avoir servis correctement. »
(1) Les deux autres sont Uzoma Asagwara et Jamie Moses. Voir l’édition de La Liberté du 18 au 24 septembre 2019.
Quand il des barrières dans notre société qui empêchent la pleine participation de tous les citoyens, alors il faut absolument y mettre un terme.
- Audrey GORDON