La Liberté

La vie dans le « ici et maintenant »

- Marie-élaine

J’ai la chance d’avoir un frère exceptionn­el, Olivier, qui a une trisomie 21. Notre quotidien est chargé d’une exceptionn­alité qui m’invite à voir le monde autrement. C’est ce que je souhaite partager.

Vivre avec une personne exceptionn­elle invite à revoir certaines représenta­tions de concepts pour lesquels on n’envisage aucune ambiguïté. Le rapport au temps en est un exemple.

Mon frère, Olivier, vit à Québec, alors que je vis à Winnipeg depuis quatre ans. Oli et moi sommes très proches. Au cours des dernières années, nous avons trouvé des façons de rester « connectés ».

Par exemple, nous déjeunons sur jouons à Mariokart pendant un appel vidéo.

Nous vivons désormais dans deux fuseaux horaires différents, ce qui est complexe. Oli sait lire l’heure avec une montre digitale. Il sait quelle heure il est ici et maintenant, mais pas quelle heure il sera dans une heure. Sa compréhens­ion de l’heure est limitée au moment où il la lit. on dîne et que le soir on soupe. S’il appelle pour jouer à Mariokart, c’est parce qu’il en a envie ici et maintenant.

Si je ne suis pas disponible, je ne peux pas lui dire : Je vais jouer avec

toi dans une heure, puisque ça ne veut rien dire pour lui. Je dois utiliser un des repères qui lui sont familiers :

Je te rappelle juste après le souper, en gardant en tête qu’on parle de son heure du souper et pas de la mienne.

Oli comprend que le soleil indique la journée et que la lune indique la nuit. Il comprend qu’on est aujourd’hui, qu’il y a eu hier et qu’il y aura demain. Mais, en dehors de ces balises, il a peu de repères. Que quelque chose soit arrivé il y a un an ou la semaine dernière, c’est arrivé « hier passé », et que quelque chose soit prévue dans une semaine ou un mois, cela arrivera « un jour ».

Avec la pandémie, ça fait un an qu’il ne m’a pas vue. Un an, dans un monde où seul « hier passé » est l’unité de mesure pour se repérer dans l’espace-temps et où la seule réponse compréhens­ible à la question : Quand on va se voir? est : Un

jour, ça devient long. Ça devient même insécurisa­nt! me reverra, puisqu’au fond c’est ça « un jour ». Il s’agit d’une marque de temps si abstraite qu’on ne sait pas ce que ça veut dire.

Comment rassurer quelqu’un qui n’a pas les mots pour comprendre? Comment que la réponse ne sera pas comprise? Nous avons trouvé notre réponse à la question : Quand on va se voir? Après le stupide virus, Oli. Parce que oui, la COVID est devenue un nouveau repère. Il y avait un avant, il y a un pendant et nous avons tous hâte à l’après, même Oli.

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