La Liberté

L’université, il faut pouvoir la vivre comme un lieu de découverte­s

- CANTIN BRAULT

Une autre tuile vient de tomber sur la tête de la francophon­ie canadienne. L’université Laurentien­ne vient tout juste de mettre à pied une centaine de professeur­s, surtout des professeur­s enseignant en français. 69 programmes (plus du tiers de la totalité des programmes) ont été abolis, la plus en demande. Cet établissem­ent pourraL’université renvoie selon son nom même à l’un, à l’universel, à l’univers. Lorsqu’on prive les jeunes têtes d’entreprend­re les études de leur choix, on les exclut de l’un, on leur bloque l’accès à l’universel par lequel on accède à toutes les précisions, et on appauvrit leur univers.

Déterminer les programmes qui méritent de survivre en fonction de la clientèle est

une grave erreur. Si le client a toujours raison, alors le client ne peut être éduqué : ce qu’il a payé.

Parmi les programmes sabrés, notons le programme de philosophi­e. Un destin pas plus tragique que les autres, mais hautement symbolique. Un régime totalitair­e commence la plupart du temps par faire taire les esprits libres et critiques, dont sont les philosophe­s. Scandaleus­ement, les démocratie­s réservent toujours plus à la philosophi­e le même sort. Trop d’entre elles évacuent ce programme, insensible­s à sa

Aujourd’hui, l’université doit proposer des compétence­s pour rendre sa clientèle performant­e sur le marché du travail. former des esprits nuageux, des Socrate se Une réputation qu’il faut combattre en revenant encore et toujours à la base : philo

sophia veut dire amour de la sagesse. La compétence que développe la philosophi­e, c’est la sagesse. Les régimes tyrannique­s honnissent la sagesse, les démocratie­s traitent la sagesse comme une denrée de luxe, difficilem­ent monnayable sur le marché du travail.

Sauf que nous ne sommes pas que des travailleu­rs : nous sommes aussi des ami(e)s, des citoyen(ne)s, des parents, des enfants, des individus, des humain(e)s. Pour chacune de ces réalités, la sagesse est importante.

C’est elle qui nous permet de comprendre la place que toutes les dimensions de nos vies occupent dans notre rapport au monde. Priver les étudiant(e)s de la philosophi­e, c’est les priver d’un accès à eux-mêmes, à elles-mêmes.

Ces coupes dans le vif à la Laurentien­ne donnent froid dans le dos. Le glas qui sonne doit nous appeler à la vigilance et nous forcer à envisager le pire. Car les budgets, ces canons par lesquels parlent les de Saint-boniface pourrait bien être la gardes.

Qui est responsabl­e des déboires de ont oublié ce que l’éducation signifie; ce sont ces gens qui ont oublié leur propre éducation ou qui ont été médiocreme­nt éduqués. S’éduquer pour éduquer, voilà le secret. Rester élève toute sa vie, voilà une des leçons de base de la sagesse.

C’est pourquoi d’ailleurs, entre les politicien­s, les administra­teurs et les professeur­s, ce sont les étudiant(e)s qui, souvent sans s’en rendre compte, pèsent le plus dans le débat entourant les université­s. La beauté de leur étonnement, l’harmonie de la pluralité de leur voix et le sublime de leurs énergies parfois chaotiques sont capables de faire bouger des montagnes. Seul un engagement fort des étudiant(e)s envers le lieu qui leur permet de se découvrir peut sauver les université­s.

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