La Liberté

La précarité menstruell­e : une réalité sociale mal connue

Au Canada, un million de femmes auraient de la difficulté à accéder à des protection­s hygiénique­s. (1) Cette réalité encore trop taboue porte le nom de précarité menstruell­e. Pourtant, elle implique des enjeux sociaux, médicaux et environnem­entaux.

- Ophélie DOIREAU odoireau@la-liberte.mb.ca

La plus récente tentative de lever le tabou est venue du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF), qui a lancé il y a plus d’un an sa Campagne rouge. Objectif : sensibilis­er au sujet des menstruati­ons, dont un des volets est la précarité menstruell­e.

Victoria Doudenkova, chargée de projet de la Campagne rouge, met ainsi la situation en lumière :

« Dans le monde, 500 millions de femmes n’ont pas accès à des protection­s hygiénique­s. Au Québec, une femme sur sept s’est absentée de l’école à cause de ce manque.

« L’automne dernier, le RQASF a mené un sondage assez large sur les menstruati­ons. Deux questions portaient sur la précarité menstruell­e. La première : Est-ce que vous trouvez que les protection­s hygiénique­s sont abordables? Sur 2 500 répondante­s, environ 50 % estimaient que ce n’était pas abordable.

« La deuxième question était : En raison des coûts, est-ce que vous avez déjà eu recours à des alternativ­es comme de l’essuie-tout ou encore des mouchoirs? 20 % ont répondu occasionne­llement et 3 % ont indiqué le faire de manière régulière. Pour un pays riche comme le Canada, c’est assez alarmant. »

Si des données existent sur le nombre de personnes touchées, il est par contre difficile de chiffrer précisémen­t le coût des menstruati­ons sur une année.

« On l’estime à plusieurs milliers $ dans une vie. De plus, le budget va dépendre du flux de la personne, de son choix de protection­s. (2)

« Il y a aussi les dépenses connexes : il faut penser au rachat des culottes qui peuvent être tachées ou encore du linge de lit. Sans oublier les médicament­s pour apaiser les douleurs. »

Au Canada, depuis le 1er juillet 2015, les produits hygiénique­s menstruels sont détaxés, un premier pas positif pour Victoria Doudenkova. « La taxe fédérale n’est plus en vigueur. Ce qui en fait un produit essentiel. C’est une belle reconnaiss­ance, qui va dans le sens de nos démarches contre la précarité menstruell­e. »

Mais pour obtenir cette reconnaiss­ance, il a fallu une mobilisati­on d’organismes qui se dédient à la santé des femmes. « Dans les espaces décisionna­ires, il y a peu de femmes. Alors la question de la précarité menstruell­e n’est pas une priorité. Il faut donc sans cesse sensibilis­er. »

| Une affaire de dignité

« Il est important de souligner qu’il n’y a pas qu’une seule façon de régler la question de la précarité menstruell­e. Il serait possible de mettre en place des politiques comme en Écosse. (3) Ou bien comme dans certaines municipali­tés canadienne­s, qui les rendent accessible­s par des subvention­s.

« Ce genre d’action est nécessaire puisqu’on le sait, les femmes sont plus sujettes à la précarité économique. Et si on est une femme autochtone, les facteurs de précarité jouent encore plus. C’est une question de dignité d’avoir accès à des protection­s hygiénique­s.

« À la fin du mois, certaines femmes se disent : Est-ce que je mange, ou bien est-ce que je me paie des protection­s? Cette question peut devenir rapidement une pression psychologi­que, puisque tous les mois des femmes vont se la poser. Il y a un réel facteur stress. »

À la question financière, s’ajoute la préoccupat­ion de la santé. « Si on n’a déjà pas assez d’argent pour se payer des protection­s, on aura tendance à garder plus longtemps la protection qu’on a. Sauf qu’alors, il y a des risques pour la santé, comme le choc toxique.

« La zone vaginale est une zone poreuse. Le danger existe d’absorber les toxines des protection­s, qui peuvent ensuite se loger dans les graisses du corps.

« Même si les fabricants utilisent de meilleures matières, encore faut-il être capable de se payer leurs produits. Le coton biologique a un coût. Les culottes menstruell­es aussi, tout comme les serviettes réutilisab­les.

Victoria Doudenkova fait aussi valoir l’importance de l’environnem­ent de vie. « Et puis, il y a une autre réalité à considérer : si on a des protection­s réutilisab­les, estce qu’on a accès à de l’eau pour les nettoyer? Là encore, il y a un véritable enjeu qu’il faut considérer urgemment. »

(1) https://plancanada. ca/ media-centre/plan-internatio­nalcanada-research-showcases-gap-ingender-equality

(2) Il existe différents types de protection­s : tampons, serviettes jetables, serviettes réutilisab­les, cups menstruell­es, et culottes menstruell­es.

(3) L’écosse a rendu gratuites les protection­s hygiénique­s dispensées par des institutio­ns publiques. https:// ici.radio-canada.ca/nouvelle/1752426/ s serviettes-tampons-menstruati­onse edimbourg-pauvrete

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Photo : Gracieuset­é Victoria Doudenkova Victoria Doudenkova.

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