À la défense du service personnalisé
Avec la multiplication des services en ligne, on constate un recul des services personnalisés. Une tendance qui, en contexte minoritaire, peut influencer sur la vitalité de la langue. Au moins, la démocratisation d’internet a permis d’accéder à une vaste variété de contenus en français.
La récente relocalisation des bureaux de Service Canada de Saint-vital dans le quartier de River Heights a soulevé toute l’importance des services personnalisés que l’on peut obtenir soit en se rendant dans les bureaux, soit en appelant un agent.
Interrogés informellement par La Liberté, plusieurs résidents francophones de Saint-vital ont, par ailleurs, souligné qu’ils utilisaient surtout les services en ligne.
Patrick White, professeur de journalisme à l’école des médias de L’UQAM, trouve qu’il incombe au Fédéral d’assurer un service de qualité personnalisé.
« Je peux comprendre qu’un bureau régional ferme ses portes. D’ailleurs, à Montréal, il y en a plusieurs qui ont fermé dans les dernières années. Mais c’est vraiment important que les citoyens soient capables de parler à un être humain en tout temps et sans trop de délais.
« Il va donc falloir conserver un minimum de service à la clientèle au téléphone. Parce que des gens se sentent plus à l’aise de faire affaire avec le gouvernement par téléphone.
« C’est pour ça que c’est inacceptable de faire subir des attentes d’une, deux, voire trois heures au téléphone comme c’est le cas en ce moment avec un grand nombre de services fédéraux.
« Le Fédéral va devoir mettre les bouchées doubles pour pouvoir offrir un excellent service à la clientèle aux citoyens francophones et anglophones. L’attente ne devrait pas dépasser une quinzaine de minutes. »
| Plus rapide en anglais
« Ces derniers temps, la pandémie a permis de justifier ou d’excuser les délais d’attente. Il reste que les francophones hors Québec ont le droit aux mêmes services que les anglophones au Québec, qui reçoivent d’excellents services. »
L’attente est telle que trop souvent, les francophones hors Québec renoncent à demander le service en français pour obtenir un service plus rapide en anglais.
Avec pour conséquence, estime Patrick White, de risquer de créer une société à double vitesse.
« Si on continue de renvoyer les gens à des services en ligne, il y aura d’un côté ceux qui sont branchés, ceux qui ont plus de facilités à accéder à des services, ou en tout cas à les obtenir de manière plus rapide.
« Et de l’autre côté, il y aura ceux qui n’ont pas internet ou qui ne se sentent pas à l’aise de faire des transactions en ligne et qui doivent passer par ce service téléphonique, obligés de patienter des heures.
« Il va donc falloir que le Fédéral embauche un grand nombre de fonctionnaires pour répondre à la demande des Canadiens. Car à mon sens, par rapport au montant d’impôts qu’ils payent, les citoyens canadiens sont en droit d’attendre des services impeccables. »
Qui dit service en ligne, dit intelligence artificielle, dit de plus en plus obligation d’interagir avec un robot. Un développement qui pourrait entraîner la disparition du service téléphonique, et donc un affaiblissement de la langue française.
« C’est pour contrer l’affaiblissement de la langue que c’est totalement inacceptable, quand ça se produit, que le gouvernement fédéral ne soit pas capable de livrer simultanément des informations de qualité en français et en anglais.
« On le voit même dans les médias sociaux : les ministères, les sociétés de la Couronne et d’autres encore, diffusent du contenu qui n’est absolument pas bien traduit. Il faut absolument se mettre dans la tête que les Google translations ne sont pas en mesure de penser un message en français.
« Les députés vont devoir se tenir debout pour préserver des services téléphoniques. Il va toujours y avoir des gens qui préféreront parler à quelqu’un de réel plutôt qu’à des robots conversationnels, qui parfois – c’est un comble - nous renvoient au site web.
« Alors ça suffit! On veut des services au téléphone en bonne et due forme. Il faut régler le problème d’accès aux services gouvernementaux qui est en train d’apparaître, en plus du fossé numérique qui se creuse. »
Pour Patrick White, dans le monde numérique dans les prochaines années, le gouvernement fédéral a d’autres enjeux sérieux à relever.
« Il va falloir limiter l’usage de l’intelligence artificielle, à cause des biais énormes dans les algorithmes qui favorisent du contenu ciblé et du contenu payé par des compagnies.
« Il va aussi falloir développer une solide stratégie en cybersécurité pour protéger les données qui sont sans cesse menacées par des pays étrangers comme la Chine, l’iran, ou encore la Russie.
« On l’a aussi vu, depuis maintenant plus d’un an, il y a des fraudes massives à la Prestation canadienne d’urgence ou encore des cyber attaques comme celle vécue chez Desjardins au Québec.
« Et enfin, il va falloir développer une meilleure infrastructure téléphonique avec des services en français et en anglais partout au Canada pour respecter la Loi sur les langues officielles. »
La concrétisation des convictions de Patrick White est tributaire des citoyens canadiens, qui ont un rôle à jouer dans ces enjeux.
« Il ne faut pas hésiter à écrire sur les médias sociaux, dans les journaux. Ce sont des commentaires qui peuvent rapidement revenir aux oreilles des ministres, qui sont généralement sensibles aux critiques.
« On peut aussi se plaindre auprès du Commissariat aux langues officielles, ou encore auprès des ombudsmans de différentes entités publiques. Il faut se servir de tous les outils qu’on a à notre disposition. La clé, c’est de se faire entendre. »
Toutefois, la médaille numérique a sa face positive : la francophonie a été renforcée par du contenu en français diversifié et largement diffusé.
Patrick White étoffe. « On a accès au contenu en français de 55 pays membres de la Francophonie, par le biais de leur site web. Il y a des échanges de contenus entre les radios publiques et les médias dans le monde francophone.
« Au Canada, on a plus facilement accès à plusieurs médias locaux francophones, en plus du diffuseur public. Maintenant, on est capable de savoir quasiment en direct ce qui se fait dans la francophonie à Vancouver, dans les Territoires du Nord-ouest ou ailleurs.
| Une ouverture d’esprit
« Le numérique a donc permis une facilité d’accès à tous ces contenus. Et n’oublions pas les personnes qui souhaitent apprendre le français : il est dorénavant beaucoup plus facile de s’exercer avec du contenu en rapport avec une communauté à laquelle on veut s’intéresser. En lisant sur les réalités francophones partout au Canada, on peut entretenir une ouverture d’esprit. »
Patrick White apporte cependant un bémol au tableau de l’accessibilité.
« Si les contenus ne sont pas répertoriés dans des grandes plateformes comme Apple, Spotify, Microsoft, Netflix, Crave, Club Illico ou TOU.TV, c’est comme si ces contenus n’existaient pas. L’enjeu pour accéder à ces ressources, c’est la découvrabilité : les contenus sur des sites web qui ne sont pas accessibles, c’est autant de ressources perdues.
« La gratuité est une chose. Mais il reste qu’on a tout intérêt à payer pour que ces contenus se retrouvent sur des plateformes mondiales ou nordaméricaines, pour permettre le plein épanouissement de la francophonie canadienne. »