La Liberté

La Fête du Canada, il faut la mériter

Six ans après la publicatio­n des 94 appels à l’action (recommanda­tions) de la Commission de vérité et réconcilia­tion, le chemin est encore long pour une mise en oeuvre globale. (1) Marie Wilson, l’une des commissair­es, appelle une nouvelle fois l’ensemble

- Propos recueillis par Ophélie DOIREAU odoireau@la-liberte.mb.ca

Entretien réalisé avant l’annonce faite par la communauté Cowessess qui a révélé

751 tombes anonymes près d’un ancien pensionnat autochtone à Marieval. Retrouvez le témoignage d’eva Wilson-fontaine qui aborde la notion de guérison en page 6. ► La découverte des 215 corps d’enfants enterrés sur le site d’un ancien pensionnat autochtone est-elle un possible tournant vers plus de réconcilia­tion?

D’abord, moi je ne parle pas d’une découverte. Pour moi, c’est l’affirmatio­n de l’existence de ces enfants-là. Dans notre rapport, le volume n°4 est uniquement consacré aux enfants disparus. Depuis bien longtemps, on entendait de la part d’anciens pensionnai­res que leurs amis, leurs frères et soeurs avaient disparu ou, pire encore, qu’ils les avaient vus mourir. Il ne s’agit donc pas d’une découverte, mais bien de la preuve des affirmatio­ns d’anciens pensionnai­res.

► Le pouvoir révélateur des mots…

Oui. C’est vraiment important d’utiliser les bons termes. Le fait que la société canadienne vive l’évènement de Kamloops comme une découverte signifie qu’on n’a pas encore réussi à s’écouter les uns et les autres. Et encore moins à croire ce qui s’est vraiment passé dans les pensionnat­s autochtone­s.

On sait très bien qu’il y a encore des gens qui nient cette réalité. Cet évènement a secoué la conscience du grand public d’une manière très importante. Il reste à voir si ça va changer les choses à long terme.

► On aurait effectivem­ent pu penser que six ans après le dévoilemen­t de ce rapport, les conscience­s seraient plus éveillées…

Lorsqu’on a publié en 2015 les appels à l’action, des milliers de personnes se sont présentées à Ottawa pour témoigner. Il y a eu un défilé de Gatineau à Ottawa. Beaucoup de personnes avaient pris conscience de la réalité. On entendait de leur part et du gouverneme­nt :

Maintenant les choses vont

changer. Pourtant, six ans plus tard, il reste encore des grands chapitres sur lesquels travailler.

► Sans doute celui de la réconcilia­tion…

Au chapitre de la réconcilia­tion, il y a déjà beaucoup d’exemples encouragea­nts de la part de la population, plus que des gouverneme­nts, dont les engagement­s ne sont pas forcément solides. Par exemple : il y a eu des changement­s dans certains curriculum­s scolaires pour mieux inclure l’histoire des Autochtone­s. Mais ils ne sont pas à l’abri d’un changement de gouverneme­nt provincial. Il se peut que le travail doive être repris.

C’est là un des obstacles de la réconcilia­tion : elle est conçue comme un gage de bonne volonté politique plutôt qu’un engagement de fond, qui implique toute la société et pas seulement les politicien­s.

► Pourquoi est-il si important que tous les acteurs de la société s’engagent dans la réconcilia­tion?

Tant que la réconcilia­tion sera comprise au plus étroit, elle sera doublement limitée : dans sa mise en oeuvre et dans sa vitesse de réalisatio­n. Le 30 septembre prochain, pour la toute première fois, le Canada marquera la Journée nationale pour la vérité et la réconcilia­tion.

Dans la nouveauté encore, les nouveaux citoyens canadiens doivent maintenant reconnaîtr­e les lois et les Traités avec les Autochtone­s, pas seulement les lois canadienne­s.

Il aura fallu six ans pour poser ces gestes. Le progrès est lent et il le sera toujours, tant que la réconcilia­tion ne sera que l’affaire de conflits partisans. Encore une fois, le plus grand espoir réside dans la société et les gens de tous les jours, les jeunes, les personnes dans leur milieu profession­nel. Tous doivent prendre part à la réconcilia­tion, une petite pousse à la fois.

► Dans un esprit de réconcilia­tion, des personnes appellent à annuler les festivités de la Fête du Canada. Vous voyez un acte de réconcilia­tion dans pareille démarche?

Une chose est sûre, il n’y a pas un aspect de cette histoire qui fait consensus d’un bout à l’autre du pays. Il y a des gens qui tiennent absolument à mettre en avant la responsabi­lité du Canada parce que les Traités sont liés au gouverneme­nt fédéral. Beaucoup ne veulent pas mettre ce lien de côté au nom de l’idée qu’il faut vivre l’esprit des Traités des deux côtés, si on croit vraiment qu’il s’agit de Traités d’amitié et de collaborat­ion.

Je pense que pour aller de l’avant, il faut accepter là où on est. Mais il faut aussi se montrer honnête et transparen­t. Le 1er Juillet est peut-être le moment de se demander quelle est l’identité véritable du pays.

► Il est aussi question de renommer des rues, des bâtiments qui portent le nom de personnes qui ont joué un rôle dans les pensionnat­s autochtone­s…

Pour les questions de noms de rues, il y a assez de noms de personnes autochtone­s qui ont fait de grandes choses pour pouvoir les changer. On a dépassé le temps d’utiliser le nom de personnes qui parfois n’ont jamais vécu au Canada. Ce sont des traces de colonisati­on.

Il faut comprendre que la santé mentale de certaines personnes autochtone­s est en jeu. Certains noms sont des déclencheu­rs de souvenirs, surtout quand il s’agit d’abuseurs physiques ou sexuels.

Par contre, on ne doit pas cacher cette partie de l’histoire. On doit l’enseigner, dire le nom de ces personnes. Mais il n’y a pas besoin de les glorifier avec des noms de rues ou de bâtiments.

► Qu’est-ce qui pourrait encore accélérer les efforts de réconcilia­tion?

Un point qui manque dans la réconcilia­tion, c’est qu’on ne peut jamais réellement mesurer son progrès. On peut demander au gouverneme­nt ce qui est fait. Mais il y a des actes qui doivent être pris en compte par les médias, les écoles, les institutio­ns, les université­s ou encore les milieux profession­nels. Ce n’est pas juste le gouverneme­nt qui doit faire face à son progrès.

Comme pays, on ne dispose pas de l’outil adéquat pour savoir où en est la réconcilia­tion par région. Pour avancer et être transparen­t, il faut pouvoir répondre à des questions comme : Où sont les beaux exemples? Où est-ce qu’il y a encore des problèmes systémique­s qui demandent des moyens?

Il ne faut pas attendre des évènements tragiques pour rendre des comptes. Chaque année, on devrait faire le point.

► Pour mesurer la rapidité à laquelle avance la réconcilia­tion…

Il manque effectivem­ent cette notion d’urgence, cette capacité de se donner les moyens de répondre dans l’urgence à une situation. Dans certaines régions, c’est une question de vie ou de mort. On le sait bien par le taux de suicides ou les évidents problèmes systémique­s dans le domaine de la santé.

Pour revenir à la Fête du Canada, si on veut célébrer notre pays, on doit mériter cette fête-là. Et on pourrait la mériter si on faisait preuve de progrès pour traiter une situation d’urgence. Comme on l’a fait pour la crise sanitaire, qui a mobilisé des ressources impression­nantes pour répondre à un problème de société. La réconcilia­tion est un problème de société, qui mérite tout autant notre attention.

(1) Les 94 appels à l’action (recommanda­tions) ont été publiés en juin 2015 et les six volumes du rapport de la CVR ont été publiés en décembre 2015.

 ?? Photo : Gracieuset­é Marie Wilson ?? Marie Wilson a été Commissair­e pour la Commission de vérité et réconcilia­tion.
Elle souligne l’importance d’apprendre l’histoire des pensionnat­s autochtone­s pour comprendre leurs impacts réels aujourd’hui.
« L’associatio­n médicale canadienne a sorti un film très fort et très dur qui permet de montrer le legs des pensionnat­s et l’impact qu’il y a dans le système de santé. C’est d’autant plus important quand on pense au sort tragique de Joyce Echaquan. »
Le film peut être visionné à : https://theunforgo­tten.cma. ca/fr/
Photo : Gracieuset­é Marie Wilson Marie Wilson a été Commissair­e pour la Commission de vérité et réconcilia­tion. Elle souligne l’importance d’apprendre l’histoire des pensionnat­s autochtone­s pour comprendre leurs impacts réels aujourd’hui. « L’associatio­n médicale canadienne a sorti un film très fort et très dur qui permet de montrer le legs des pensionnat­s et l’impact qu’il y a dans le système de santé. C’est d’autant plus important quand on pense au sort tragique de Joyce Echaquan. » Le film peut être visionné à : https://theunforgo­tten.cma. ca/fr/

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