Le nécessaire accès libre aux archives
Après l’annonce de la localisation de 751 tombes anonymes par la communauté autochtone de Cowessess, intervenue après celle des 215 corps d’enfants retrouvés près d’un ancien pensionnat autochtone à Kamloops fin mai, des voix se sont élevées pour obtenir un accès complet aux archives des communautés religieuses impliquées.
Ces traces du passé, toujours nécessaires pour éclairer l’avenir, pourraient, de l’avis d’un expert, jouer un rôle important dans la réconciliation.
Par souci pédagogique pour permettre de mieux cerner les enjeux qui entourent les archives, Gilles Lesage, ancien directeur général de la Société historique de Saint-boniface, définit la notion d’archive.
« Des activités diverses et variées génèrent des documents. Cette production de documents va former les archives qui permettront d’explorer, jusqu’à un certain point, l’histoire à une période donnée. La qualité du document produit est d’être contemporain à l’activité, un ‘témoin’ de celle-ci.
« On peut très aisément s’imaginer l’énorme volume d’archives qui existe, encore plus à notre époque moderne, à l’ère du numérique et des réseaux sociaux.
« Avant l’électronique, on avait des archives analogues sous forme papier, des photographies, parfois quelques films ou vidéos et des bandes sonores.
« À ces archives, il faut inclure l’histoire orale, surtout pour le passé récent, qui est un complément, qui peut parfois se perdre au fil des générations. »
Gilles Lesage en vient au rôle central des archives dans la connaissance de l’histoire. « Le mot clé, c’est : des traces. Toute cette documentation (archives, inscriptions, peintures, artéfacts) équivaut à des traces conservées d’un passé révolu, auquel on ne peut pas revenir.
« Sans archives, l’oubli s’installe avec le temps. Les archives permettent d’avoir un portrait plus complet de l’histoire. Il se peut aussi qu’il n’y ait pas d’archives, parce qu’on n’en a pas créées, ou parce que des documents ont été détruits volontairement ou involontairement. »
| Une approche critique
Pour illustrer ses dires, Gilles Lesage propose une analogie. « Lors d’un procès, il y a des témoins et des preuves. On questionne ces preuves et ces témoins avec des outils internes et externes pour vérifier la véracité du propos.
« Le témoin va servir à préciser une situation pour comprendre ce qui s’est passé. C’est la même chose pour les archives. Elles témoignent en quelque sorte de l’activité qui les a produites.
« Les archives ont une valeur d’information sur le passé. Mais elles doivent être vérifiées pour permettre à l’histoire d’être racontée au plus juste.
« Il ne faut pas perdre de vue que le document produit peut aussi dissimuler de l’information, la fausser, la biaiser, faire erreur, l’omettre ou carrément forger une information. Il s’agit alors de débusquer la chose. Tout comme le bien-fondé du témoignage d’un témoin doit être vérifié. »
« Donc, les archives vont d’abord être passées au peigne fin de l’approche critique pour vérifier si elles sont authentiques, complètes, intégrales. Ensuite, il s’agit de les placer dans leur contexte historique, confrontées à la masse documentaire pertinente, pour dégager un portrait aussi complet que possible. Et enfin d’en faire l’interprétation.
« Ce processus souligné, une partie du destin de ce travail d’histoire est indépendant des historiens ou des archives : c’est la compréhension et la lecture qu’en fait le public. Autrement dit : Jusqu’où lit-on les archives? Et jusqu’où les accepte-t-on? Que choisit-on de lire? » Dans la formulation du récit historique qui entoure les pensionnats autochtones, Gilles Lesage pointe la nécessité de prendre en compte l’histoire orale.
« Les activités de ces écoles ont été massivement documentées dans la perspective de ceux qui les dirigeaient. Alors il tombe sous le sens que disposer des témoignages de personnes qui ont vécu dans les pensionnats est plus que primordial.
« C’est pourquoi la Commission de vérité et réconciliation a pu donner un meilleur portrait de cette histoire en recueillant les histoires orales de survivants des pensionnats.
« De plus, il faut bien comprendre du point de vue des archives que tout n’est pas consigné et retenu. Surtout sur une période de plus d’une centaine d’années. Il revenait aux responsables de décider ce qui allait être conservé ou non. D’où une certaine limite du portrait historique qu’on peut esquisser de ce passé.
« Un point historique est certain : la raison d’être de ces écoles a été documentée. Déterminer la manière dont ce but devait être atteint et s’il l’a été, c’est autre chose. »
| Un accès sans restriction
« On sait qu’il y a des documents des années 1940-1950 qui posaient déjà des questions sur ce qui se passait dans les pensionnats autochtones. »
Quelles que soient les limites des archives, Gilles Lesage pense qu’un accès sans restrictions est nécessaire dans une logique de réconciliation. « Pour être dans la réconciliation, l’idée, c’est de pouvoir mesurer autant que possible ce qui s’est passé. Alors un accès libre aux archives, c’est un pas dans ce sens. »
« En particulier, en ce qui a trait à la documentation photographique », estime-t-il.
« Des photos se sont avérées déterminantes pour stimuler la mémoire des personnes. Elles ont pu mieux livrer leur témoignage et partager leur histoire personnelle dans les pensionnats autochtones.
« Je me rappelle, lors d’une exposition de documents d’archives en Saskatchewan, la photo d’un petit garçon devant une église. Un homme était venu à l’exposition et s’était reconnu sur la photo. Au-delà de l’intérêt collectif, il y a d’évidence un intérêt individuel à accéder aux archives.
« Bien sûr, pour être capable de produire une histoire sur les pensionnats autochtones élaborée à partir de ces archives, il faudra des gens bien formés.
« J’ajoute que le danger de ne pas donner accès aux archives, c’est que les personnes peuvent s’imaginer le pire : On essaye de nous cacher des évènements encore plus graves.
« Le fait de ne pas motiver la décision de restreindre l’accès aux archives peut aussi être un problème, parce qu’elle peut être comprise comme un manque de transparence, ou tout simplement l’être. Ne pas donner de justification ne peut pas faire avancer la réconciliation. Même s’il peut parfois y avoir de bonnes raisons. »