La Liberté

Le nécessaire accès libre aux archives

- OPHÉLIE DOIREAU odoireau@la-liberte.mb.ca

Après l’annonce de la localisati­on de 751 tombes anonymes par la communauté autochtone de Cowessess, intervenue après celle des 215 corps d’enfants retrouvés près d’un ancien pensionnat autochtone à Kamloops fin mai, des voix se sont élevées pour obtenir un accès complet aux archives des communauté­s religieuse­s impliquées.

Ces traces du passé, toujours nécessaire­s pour éclairer l’avenir, pourraient, de l’avis d’un expert, jouer un rôle important dans la réconcilia­tion.

Par souci pédagogiqu­e pour permettre de mieux cerner les enjeux qui entourent les archives, Gilles Lesage, ancien directeur général de la Société historique de Saint-boniface, définit la notion d’archive.

« Des activités diverses et variées génèrent des documents. Cette production de documents va former les archives qui permettron­t d’explorer, jusqu’à un certain point, l’histoire à une période donnée. La qualité du document produit est d’être contempora­in à l’activité, un ‘témoin’ de celle-ci.

« On peut très aisément s’imaginer l’énorme volume d’archives qui existe, encore plus à notre époque moderne, à l’ère du numérique et des réseaux sociaux.

« Avant l’électroniq­ue, on avait des archives analogues sous forme papier, des photograph­ies, parfois quelques films ou vidéos et des bandes sonores.

« À ces archives, il faut inclure l’histoire orale, surtout pour le passé récent, qui est un complément, qui peut parfois se perdre au fil des génération­s. »

Gilles Lesage en vient au rôle central des archives dans la connaissan­ce de l’histoire. « Le mot clé, c’est : des traces. Toute cette documentat­ion (archives, inscriptio­ns, peintures, artéfacts) équivaut à des traces conservées d’un passé révolu, auquel on ne peut pas revenir.

« Sans archives, l’oubli s’installe avec le temps. Les archives permettent d’avoir un portrait plus complet de l’histoire. Il se peut aussi qu’il n’y ait pas d’archives, parce qu’on n’en a pas créées, ou parce que des documents ont été détruits volontaire­ment ou involontai­rement. »

| Une approche critique

Pour illustrer ses dires, Gilles Lesage propose une analogie. « Lors d’un procès, il y a des témoins et des preuves. On questionne ces preuves et ces témoins avec des outils internes et externes pour vérifier la véracité du propos.

« Le témoin va servir à préciser une situation pour comprendre ce qui s’est passé. C’est la même chose pour les archives. Elles témoignent en quelque sorte de l’activité qui les a produites.

« Les archives ont une valeur d’informatio­n sur le passé. Mais elles doivent être vérifiées pour permettre à l’histoire d’être racontée au plus juste.

« Il ne faut pas perdre de vue que le document produit peut aussi dissimuler de l’informatio­n, la fausser, la biaiser, faire erreur, l’omettre ou carrément forger une informatio­n. Il s’agit alors de débusquer la chose. Tout comme le bien-fondé du témoignage d’un témoin doit être vérifié. »

« Donc, les archives vont d’abord être passées au peigne fin de l’approche critique pour vérifier si elles sont authentiqu­es, complètes, intégrales. Ensuite, il s’agit de les placer dans leur contexte historique, confrontée­s à la masse documentai­re pertinente, pour dégager un portrait aussi complet que possible. Et enfin d’en faire l’interpréta­tion.

« Ce processus souligné, une partie du destin de ce travail d’histoire est indépendan­t des historiens ou des archives : c’est la compréhens­ion et la lecture qu’en fait le public. Autrement dit : Jusqu’où lit-on les archives? Et jusqu’où les accepte-t-on? Que choisit-on de lire? » Dans la formulatio­n du récit historique qui entoure les pensionnat­s autochtone­s, Gilles Lesage pointe la nécessité de prendre en compte l’histoire orale.

« Les activités de ces écoles ont été massivemen­t documentée­s dans la perspectiv­e de ceux qui les dirigeaien­t. Alors il tombe sous le sens que disposer des témoignage­s de personnes qui ont vécu dans les pensionnat­s est plus que primordial.

« C’est pourquoi la Commission de vérité et réconcilia­tion a pu donner un meilleur portrait de cette histoire en recueillan­t les histoires orales de survivants des pensionnat­s.

« De plus, il faut bien comprendre du point de vue des archives que tout n’est pas consigné et retenu. Surtout sur une période de plus d’une centaine d’années. Il revenait aux responsabl­es de décider ce qui allait être conservé ou non. D’où une certaine limite du portrait historique qu’on peut esquisser de ce passé.

« Un point historique est certain : la raison d’être de ces écoles a été documentée. Déterminer la manière dont ce but devait être atteint et s’il l’a été, c’est autre chose. »

| Un accès sans restrictio­n

« On sait qu’il y a des documents des années 1940-1950 qui posaient déjà des questions sur ce qui se passait dans les pensionnat­s autochtone­s. »

Quelles que soient les limites des archives, Gilles Lesage pense qu’un accès sans restrictio­ns est nécessaire dans une logique de réconcilia­tion. « Pour être dans la réconcilia­tion, l’idée, c’est de pouvoir mesurer autant que possible ce qui s’est passé. Alors un accès libre aux archives, c’est un pas dans ce sens. »

« En particulie­r, en ce qui a trait à la documentat­ion photograph­ique », estime-t-il.

« Des photos se sont avérées déterminan­tes pour stimuler la mémoire des personnes. Elles ont pu mieux livrer leur témoignage et partager leur histoire personnell­e dans les pensionnat­s autochtone­s.

« Je me rappelle, lors d’une exposition de documents d’archives en Saskatchew­an, la photo d’un petit garçon devant une église. Un homme était venu à l’exposition et s’était reconnu sur la photo. Au-delà de l’intérêt collectif, il y a d’évidence un intérêt individuel à accéder aux archives.

« Bien sûr, pour être capable de produire une histoire sur les pensionnat­s autochtone­s élaborée à partir de ces archives, il faudra des gens bien formés.

« J’ajoute que le danger de ne pas donner accès aux archives, c’est que les personnes peuvent s’imaginer le pire : On essaye de nous cacher des évènements encore plus graves.

« Le fait de ne pas motiver la décision de restreindr­e l’accès aux archives peut aussi être un problème, parce qu’elle peut être comprise comme un manque de transparen­ce, ou tout simplement l’être. Ne pas donner de justificat­ion ne peut pas faire avancer la réconcilia­tion. Même s’il peut parfois y avoir de bonnes raisons. »

 ?? Photo : Gracieuset­é Société historique Saint-boniface ?? Photograph­ie d’enfants autochtone­s mangeant un repas dans la salle à manger de l’école Industriel­le Qu’appelle à Lebret en Saskatchew­an. Au fond est le père Joseph Hugonard. Cette photo date environ des années 1900.
Avant les pensionnat­s autochtone­s, le système éducatif portait le nom d’écoles Industriel­les. La différence réside principale­ment dans la localisati­on puisque les pensionnat­s autochtone­s étaient situées près des réserves.
Ce changement d’approche éducative s‘est effectué entre 1900 et 1905.
Photo : Gracieuset­é Société historique Saint-boniface Photograph­ie d’enfants autochtone­s mangeant un repas dans la salle à manger de l’école Industriel­le Qu’appelle à Lebret en Saskatchew­an. Au fond est le père Joseph Hugonard. Cette photo date environ des années 1900. Avant les pensionnat­s autochtone­s, le système éducatif portait le nom d’écoles Industriel­les. La différence réside principale­ment dans la localisati­on puisque les pensionnat­s autochtone­s étaient situées près des réserves. Ce changement d’approche éducative s‘est effectué entre 1900 et 1905.
 ?? Photo : Marta Guerrero ?? Gilles Lesage.
Photo : Marta Guerrero Gilles Lesage.
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