Que restera-t-il de la pandémie?
Un temps viendra où la pandémie de la COVID-19 ne sera plus qu’un chapitre dans les livres d’histoire, au même titre que la pandémie de grippe de 1918 ou l’épidémie de rougeole au Québec en 1989. Pour aboutir dans les livres, un travail d’archivage est nécessaire, pour s’assurer que le récit qui sera fait de la pandémie, collera au plus près de la réalité.
Ce travail a d’ores et déjà commencé. Laurence Monnais, professeure titulaire au département d’histoire de l’université de Montréal et Natalie Vielfaure, archiviste responsable de la conservation numérique au service de recherche et des stratégies de l’université du Manitoba, présentent quelques aspects concrets.
« T out est important, mais il est bien évident qu’on n’a jamais une archive complète d’une pandémie. On n’a jamais d’ailleurs des archives complètes pour aucun évènement pour toutes sortes de raisons. »
Pour la professeure titulaire au département d’histoire et directrice du Centre d’études asiatiques à l’université de Montréal, Laurence Monnais, la question des archives de la pandémie se pose dès à présent. D’autant que la pandémie de la COVID-19 est survenue à l’ère d’internet, du numérique et des réseaux sociaux, ce qui implique une quantité d’information beaucoup plus importante à traiter que les précédentes pandémies.
« Je ne voudrais pas être historienne de la pandémie de COVID-19 dans 20 ans. On a des outils, des moyens de collecte, de gestion de base de données, qui vont rendre le travail des historiens énorme, presque impossible et puis il va falloir qu’ils fassent des choix », commente Laurence Monnais.
Dans le cas d’une pandémie comme celle du coronavirus, le choix des archivistes et des historiens va tout d’abord se porter sur les archives publiques comme celles des ministères par exemple.
« C’est la base du travail de l’historien, aller chercher ces archives-là, qui sont polissées, détournées, incomplètes, qui sont le discours officiel », explique Laurence Monnais.
Elle explicite : « Il n’y a pas tout dans les archives publiques, tous les documents ne sont pas accessibles comme par exemple les échanges de courriels entre les services des administrations. Or, c’est justement ce type de documents qui peut informer sur les dessous d’une décision. »
La professeure d’histoire raconte qu’elle a notamment été confrontée à ce type d’archives lors de ses recherches sur l’épidémie de rougeole de 1989 à 1991 qui a touché le Québec.
« Ce sont des choses avec lesquelles et sur lesquelles il faut faire un exercice de traduction », explique Laurence Monnais au sujet des archives publiques.
La littérature médicale et scientifique, la presse écrite, les contenus des médias ou encore la publicité constituent également des archives clés, qui permettront d’étudier la pandémie, d’après Laurence Monnais.
« Dans quelques années, on travaillera beaucoup avec l’histoire orale : les entrevues, avec les gens qui ont été les acteurs de la pandémie, les experts, mais aussi les activistes, les gens qui se sont impliqués pour certaines décisions, contre certaines décisions, pour le développement des traitements, des vaccins... »
Pour comprendre la pandémie actuelle, la professeure d’histoire insiste aussi sur la nécessité de la situer dans un contexte historique plus large : « Les archives de la pandémie COVID-19 débutent bien avant 2020 ou 2019 ».
Elle détaille : « La santé publique est en pleine déliquescence depuis les années 1960-1970, on n’y met ni les ressources humaines ni les moyens financiers. Et surtout depuis les années 1970, on a fait comprendre à l’individu qu’il était en charge de sa santé et de sa prévention, parce que ça coûte moins cher pour les systèmes de santé. »
| Un programme d’archives d’internet à l’université du Manitoba
Natalie Vielfaure, archiviste responsable de la conservation numérique au service de recherche et des stratégies de l’université du Manitoba, a commencé un travail d’archives des sites internet qui traitent avec la COVID-19 au Manitoba. Depuis mars 2020, elle et son équipe ont déjà archivé près de 500 sites internet et huit millions de documents, pour un total de 1,2 téraoctet.
« On est persuadé qu’on ne peut pas vraiment tout préserver, alors on a essayé de capter un échantillon assez représentatif de l’histoire de la pandémie pour s’assurer que dans le futur des chercheurs peuvent bien comprendre qu’est-ce que c’était de vivre dans une pandémie », explique Natalie Vielfaure. « On veut aussi offrir aux chercheurs la chance de tirer les leçons de la pandémie », ajoute l’archiviste.
Des secteurs impactés par la pandémie, comme les services de santé au Manitoba, les services hospitaliers, l’éducation, le commerce ont ainsi été identifiés par le programme, tout comme le gouvernement provincial, les syndicats ou les organisations autochtones.
En revanche, les médias sociaux n’ont pas été considérés. Deux raisons principales s’y opposaient pour Natalie Vielfaure. La première était tout d’abord d’éviter de faire des doublons : « On a trouvé que si on essayait de se limiter aux réseaux sociaux qui ont affaire avec le Manitoba, la meilleure façon c’était de suivre des hashtags comme #MB #Covid. Mais c’était souvent des organisations qu’on avait déjà dans les sites web qu’on avait archivés. »
La seconde est d’ordre qualitatif. « Il y a beaucoup de choses qu’on trouvait sur les médias sociaux qui n’étaient pas de l’information », explique Natalie Vielfaure, faisant allusion à la multitude d’opinions mais aussi à la désinformation.
Natalie Vielfaure précise d’ailleurs qu’il s’agit d’un phénomène déjà observé lors de la pandémie de grippe de 1918 (voir encadré).
| Les archives, une question éthique
Laurence Monnais abonde dans son sens tout en se démarquant :
« La désinformation ça a toujours existé, c’est quelque chose qu’il faut étudier justement et ne pas juste écarter. On ne hiérarchise pas les archives en fonction de leur validité scientifique. C’est très compliqué et puis ce n’est pas le travail de l’historien. »
La professeure d’histoire cite à nouveau l’exemple de l’épidémie de rougeole au Québec :
« En 1989, on n’était pas à l’ère des réseaux sociaux, il y avait quand même de la désinformation, il y avait des manifestations dans les rues, il y avait dans la presse des gens qui s’exprimaient en disant Je suis anti-vaccin.»
Enfin, une dernière catégorie d’archives est problématique : celles qui n’existent pas. Laurence Monnais explique qu’il s’agit notamment des archives des personnes marginalisées ou des minorités qui n’ont pas accès à la parole.
« Il faut que les voix invisibles et minoritaires soient présentes, pour qu’on s’assure de faire une histoire de la pandémie qui soit la plus riche, la plus complète et la plus nuancée possible », souligne l’historienne.
Les historiens et historiennes ont donc une responsabilité au présent, celle de créer des archives manquantes. Laurence Monnais avoue avoir récemment pris conscience de cet enjeu à travers sa participation au programme Covivre à Montréal (1). Chacune de ses interventions auprès de professionnels de santé, d’acteurs communautaires ou de personnes réticentes à la vaccination (2) constituent aussi pour elle des archives en devenir sur la COVID-19 :
« En faisant ça je m’interroge aussi sur ma propre participation d’historienne à la construction des archives, ce qui me pose problème parce que je n’ai pas l’habitude d’en être un acteur. »
Les archives de la pandémie COVID-19 débutent bien avant 2020 ou 2019. [...] La santé publique est en pleine déliquescence depuis les années 1960-1970, on n’y met ni les ressources humaines ni les moyens ƂPCPEKGTU - Laurence MONNAIS