Un petit mot qui fait grand bruit
L’entrée du néologisme « iel » dans le dictionnaire Robert en ligne en novembre 2021 a eu l’effet d’un coup de tonnerre. Issu de la contraction des pronoms il et elle, « iel » introduit le neutre dans la langue française pour permettre de désigner des personnes sans distinction de genre, à l’instar de « they » en anglais.
Cette innovation sans précédent a déclenché une mini-tempête politique. Des idéologues conservateurs ont dénoncé un assaut mortel du « wokisme » contre la langue française, laquelle est fondée sur deux genres seulement : le masculin et le féminin. À l’inverse, beaucoup de progressistes ont salué ce qu’ils considèrent comme une évolution naturelle du langage qui tient compte de la diversité de genre dans la population.
Quoi qu’on en pense sur le fond, le pronom neutre « iel », comme tous les nouveaux mots, sera soumis à un impitoyable processus de sélection naturelle, à savoir l’usage. Et sa survie est loin d’être assurée. Certes, à première vue, son intégration dans la grammaire française ne semble pas trop difficile. « Iel arrive par avion aujourd’hui », « Iels partiront par le train demain » : nul besoin d’être docteur en linguistique pour écrire et comprendre ces simples phrases. Mais dès qu’il faut accorder un adjectif ou un participe passé, les choses se compliquent : Iel est belle ou beau? Iel est venu, venue ou venu·e? Pour l’instant, on se gratte la tête.
Les partisans de « iel » estiment que la langue française est suffisamment souple et inventive pour surmonter ces difficultés. Ils rappellent qu’elle a constamment évolué en intégrant des nouveautés souvent contestées au départ. Un exemple récent : la féminisation des noms de professions. C’est une bataille qui a duré 30 ans. Elle a commencé au Québec, a gagné progressivement le reste de la francophonie et s’est achevée par une victoire définitive en France, lorsque l’académie française a accepté officiellement la féminisation des noms de professions… en 2019 seulement! Évidemment, cette évolution vers la féminisation est la conséquence directe de l’accession progressive des femmes à pratiquement toutes les activités professionnelles au cours du 20e siècle. Difficile de maintenir les expressions vieillottes « Madame le Magistrat » ou « Madame le Ministre » quand ces professions sont aujourd’hui exercées par autant de femmes que d’hommes. Sans parler des plombières, des bûcheronnes et des pompières chaque année plus nombreuses!
De la même manière, la survie de « iel » dépendra de la place et de l’influence des personnes non binaires dans notre société. Si la demande de changement est durable et soutenue par une large partie de la population, on trouvera des solutions aux problèmes linguistiques posés par le pronom neutre et on enseignera les nouvelles règles à l’école. L’outil de conversion de texte en langage inclusif
Incluzor·e (1) propose déjà des solutions. Dans le cas contraire, « iel » finira au musée des néologismes éphémères, aux côtés des mél (courriel), chien-chaud (hot-dog) et autres
gaminets (tee-shirts).