Un bilan très mitigé
Pour la troisième année consécutive, le Secrétariat aux affaires francophones publie son rapport annuel sur l’état des services provinciaux en français. Il évoque de nouvelles contraintes liées à la pandémie ainsi que des problématiques antérieures comme le recrutement et le maintien en postes de fonctionnaires bilingues.
Le mot pandémie revient souvent à l’intérieur du rapport 2020-2021 du Secrétariat aux affaires francophones sur les services en français.
En effet, la directrice générale du Secrétariat aux affaires francophones, Teresa Collins, n’hésite pas à dire que la pandémie a ralenti la progression des services provinciaux en français : « La pandémie a mis des bâtons dans les roues dans la livraison des services en français. Lorsqu’il y a des priorités de santé publique, c’est difficile de faire reconnaître l’importance des services en français. »
La pandémie a posé tout d’abord un défi de communication. Teresa Collins explique qu’il a fallu s’adapter à une information en constante évolution :
« La langue du gouvernement, c’est l’anglais donc il fallait toujours traduire. Mais comme on est en train de communiquer de façon incessante et immédiate, le temps de traduire fait qu’on ne peut pas fournir l’information simultanément et ça c’était un problème. »
| La question de la traduction
En 2018, des changements avaient été opérés par la Province dans le domaine de la traduction. Comme l’écrivait La Liberté dans son édition du 5 au 11 décembre 2018, onze postes de traducteurs avaient été supprimés au sein du Service de traduction de la Province. La ministre responsable des Affaires francophones, Rochelle Squires évoquait à l’époque la recherche d’efficacité pour justifier la restructuration : « L’emploi de plus de pigistes permettra d’augmenter le volume de documents traduits de 10 %. Ainsi, nous pourrons traduire entre 13 000 et 13 500 documents par an. »
Le rapport 2020-2021 sur les services en français indique le volume des textes traduits en français a augmenté de 52 % par rapport à l’exercice précédent. Une augmentation qui ne doit pas faire illusion pour Jean-michel Beaudry, directeur général adjoint de la Société de la francophonie manitobaine (SFM). Il argue que faire appel à des traducteurs pigistes n’est pas adapté à une situation de crise, comme l’est la pandémie du coronavirus.
« Bien que le volume de traduction ait augmenté, on ne serait pas surpris que la baisse en capacité en interne, avec des traducteurs qui s’y connaissent très spécifiquement dans les communications gouvernementales, ait eu un impact sur le volume et la qualité des traductions », laisse entendre le directeur général adjoint de la SFM.
Il poursuit : « Bien que les pigistes peuvent remplir certaines fonctions, quand ce sont des communications de très haute importance, on ne peut que se demander si les traductions auraient pu être effectuées plus rapidement et peut-être mieux avec des ressources humaines en interne plus importantes. »
Teresa Collins défend la réorganisation engagée par le gouvernement en 2018 :
« C’était la bonne décision parce que je pense que ça aurait été encore plus difficile si on avait travaillé avec des traducteurs en interne. Les difficultés ne sont pas liées à un manque de traducteurs mais au fait que les documents ne sont approuvés qu’au moment de la publication. »
La Province est actuellement en contrat avec 27 traducteurs, individuels ou en cabinet. Teresa Collins fait valoir leur rapidité :
« Une fois que les documents ont été publiés et envoyés à la pige, ils ont été traduits très rapidement. »
| Ressources humaines et obligations linguistiques
Un deuxième défi que Teresa Collins identifie, est la réaffectation des effectifs : « Certaines personnes qui offraient des services en français sur des postes désignés bilingues, étaient mutées ailleurs et n’ont plus eu l’occasion de proposer ce type de service. »
La pandémie a aussi occasionné la situation inverse. « Parfois quelqu’un qui n’avait jamais fait un travail de première ligne était appelé à le faire. Mais cette personne n’était pas informée sur les obligations de la Province envers sa population francophone », expose Teresa Collins. La directrice générale du Secrétariat aux affaires francophones donne l’exemple d’un préposé comptable, ne travaillant pas d’ordinaire avec le public, qui aurait été muté pour travailler avec les équipes de vaccination dans un centre des congrès.
La capacité bilingue, qui répertorie l’ensemble des titulaires bilingues, est en baisse par rapport à 20192020. Dans les ministères, elle s’élève à 647 contre 678, et dans les sociétés d’état, bureaux de l’assemblée législative et organismes extraministériels, 1 396 titulaires contre 1 444. Toutefois, Teresa Collins exclut tout lien direct avec la pandémie : « Je pense que c’est une tendance à part. On ne sait pas pourquoi les gens quittent leur poste. »
Cette évolution invite à considérer l’enjeu du recrutement et de la rétention des ressources humaines pour les services en français. Teresa Collins insiste sur la nécessité de développer des stratégies compréhensives.
« Parfois ça peut être que des gens bilingues ne maîtrisent pas un vocabulaire technique, remarque-t-elle, d’autres fois, les gens ont les compétences techniques mais ils n’ont pas les compétences linguistiques. Et on sait qu’apprendre une langue à partir de zéro en tant qu’adulte ce n’est pas évident. »
| Les bons élèves
En la matière, les offices régionaux de la santé constituent un exemple à suivre. « Ils ont continué à faire des efforts sur la question du recrutement et du maintien des effectifs », souligne Teresa Collins.
Certains offices de la santé ont encouragé l’autoapprentissage grâce aux outils numériques : « L’office d’entre-les-lacs, par exemple, a commencé un projet pilote avec l’utilisation d’une plateforme pour appuyer l’apprentissage des gens qui ont des bases de français et qui manquent de confiance », rapporte Teresa Collins. Les quatre offices régionaux de santé pris en compte dans le rapport affichent ainsi une hausse de leur capacité bilingue totale par rapport à 2019-2020. (1)
Au sujet de l’apprentissage, la directrice générale du Secrétariat aux affaires francophones met également en évidence les avantages des cours de français en virtuel proposés par l’alliance française et par l’université de Saint-boniface. « Le virtuel a fait en sorte que les gens qui n’auraient pas pu y assister parce qu’ils résident à l’extérieur de Winnipeg ou à cause d’un emploi du temps chargé, ont pu participer », analyse Teresa Collins.
| 86 plaintes reçues en 2020-2021
En 2016, la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine
a été adoptée à l’unanimité. Teresa Collins situe un apport notable : « La loi a formé le cadre pour développer des plans et par la suite évaluer les plans et évaluer les impacts ». Chacune des entités de la Province doit établir un plan stratégique pluriannuel sur les services en français et en rapporter les résultats au Secrétariat aux affaires francophones dans un rapport annuel d’évaluation.
Teresa Collins loue des efforts déployés par les sociétés d’état durant l’année 2020-2021, dont une en particulier : « La société de l’assurance publique par exemple a vraiment mis en place des analyses très détaillées des services en français. Quels sont les services qui sont offerts, quels sont les services qui doivent être offerts en français, comment je peux arrimer mes ressources, que ce soit des ressources humaines, en traduction ou en outils. »
À l’auto-évaluation s’ajoute aussi la rétroaction. « L’évaluation des services par les gens qui utilisent les services est aussi très importante », ajoute Teresa Collins. Avec 86 plaintes relevées contre 29 plaintes l’année dernière, le rapport 2020-2021 donne à penser que l’évaluation des services en français des usagers est justement négative. Teresa Collins livre une autre interprétation : « Il n’y a pas forcément de relation entre le nombre de plaintes et le niveau de qualité des services. C’est juste que les gens sont plus engagés. »
| De vives inquiétudes
La Société de la francophonie manitobaine (SFM) a également été la destinataire de plaintes durant l’année écoulée. Angela Cassie, la présidente de la SFM témoigne de vives inquiétudes :
« Des membres de la communauté ont communiqué régulièrement avec nous l’an dernier et encore aujourd’hui pour signaler des lacunes dans l’offre de service. C’est très inquiétant, surtout lorsque la santé et la sécurité des francophones ne sont pas prises en compte et que certaines directives en matière de santé arrivent en retard ou pas du tout. C’est notamment ce que nous indiquent encore certaines garderies ou certains centres d’apprentissage. C’est pourquoi les conclusions de ce rapport demeurent extrêmement préoccupantes. »
Au-delà de l’investissement des services, Angela Cassie questionne l’investissement des instances dirigeantes :
« On remarque d’ailleurs dans le rapport que la Province convient qu’il n’y a pas suffisamment de soutien de la part de la haute direction pour progresser sur l’offre de service. Ce manque d’engagement a un effet d’entraînement qui explique les manquements systémiques quant aux services en français. »
Angela Cassie informe que la SFM et le Conseil consultatif des affaires francophones ont été en communication régulière avec la Province et le Secrétariat aux affaires francophones. C’est pourquoi elle veut croire à une prise de conscience : « Nous nous attendons à ce que le gouvernement du Manitoba prenne davantage les mesures nécessaires pour corriger la situation et faire amende honorable pour éviter ces problèmes dans un avenir proche. »
(1) Entre-les-lacs et Est : 100 titulaires et 75 équivalents temps plein (2020-2021) contre 88 titulaires et 69 équivalents temps plein (2019-2020)
Prairie Mountain : 18 titulaires (2020-2021) contre 14 (2019-2020)
Santé Sud : 475 titulaires (20202021) contre 427 (2019-2020)
Winnipeg : 1 281 titulaires équivalents temps plein (20202021) contre 1 200 (2019-2020)
« C’est très inquiétant, surtout lorsque la santé et la sécurité des francophones ne sont pas prises en compte et que certaines directives en matière de santé arrivent en retard ou pas du tout. » - Angela CASSIE