La Liberté

L'avortement : inégale accessibil­ité

- Ophélie DOIREAU odoireau@la-liberte.mb.ca Ijl-réseau.presse-la Liberté

La Cour suprême des États-unis pourrait renverser la décision Roe v. Wade du 22 janvier 1973 qui indiquait que le droit au respect de la vie privée garanti par la Constituti­on américaine s’appliquait à l’avortement. Cela rouvre sur la scène politique le débat sur l’avortement. Au Canada, ce droit à l’avortement reste inégal comme le constate Action Canada pour la santé et les droits sexuels.

La récente fuite d’un document de la Cour suprême des États-unis qui laisse sous-entendre que la plus haute instance du pays pourrait bientôt renverser la décision Roe v. Wade à de quoi inquiéter Action Canada pour la santé et les droits sexuels.

Frédérique Chabot, directrice promotion de la santé pour l’organisme en parle. « Malheureus­ement ce n’était pas une surprise. Il y a trois ans ça aurait été impensable de retourner cette décision. Mais depuis l’élection de Donald Trump ainsi que la nomination de juges à la Cour suprême qui sont publiqueme­nt antiavorte­ment, anti-choix, c’était une possibilit­é qu’on envisageai­t.

« C’est préoccupan­t de voir les droits reproducti­fs régresser à travers le monde. Et au Canada c’est une question à laquelle on va porter attention. »

| Une question américaine et canadienne

L’interdicti­on de l’avortement conduirait à plusieurs conséquenc­es. « C’est une procédure médicale commune. Au Canada une personne sur trois aura recours à un avortement. Quand ça n’est pas accessible, les personnes doivent faire face à des choix difficiles : soit continuer une grossesse non planifiée avec des conséquenc­es sociales, économique­s et sur la santé mentale. Soit les personnes vont essayer d’accéder à des avortement­s à l’extérieur des réseaux de santé mettant leur vie en danger.

« Au Canada, il y a des centaines de Canadienne­s qui voyagent aux États-unis pour obtenir des soins en avortement qui ne sont pas disponible­s au Canada suivant le stade de gestation. Aux États-unis, l’avortement ne sera pas interdit sur tout le territoire mais dans les endroits où ça va être encore disponible il va y avoir une pression sur ces services et les délais vont être insoutenab­les. »

Le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau a d’ailleurs réitéré sa position sur l’avortement. « C’est bien d’entendre qu’il y a un désir de s’assurer qu’au Canada c’est un droit affirmé. Entendre nos politicien­s l’affirmer comme ça c’est bon pour les droits reproducti­fs. »

Au Canada, depuis 1988, l’avortement n’est plus un crime. La Cour Suprême du Canada dans la décision Morgentale­r (1) a déclaré que l’article du Code criminel qui criminalis­e l’avortement est inconstitu­tionnel. Pourtant 34 ans plus tard, l’accès à ce droit n’est pas égalitaire au pays.

| Inégalités

Frédérique Chabot détaille ces inégalités. « D’un point de vue pancanadie­n, il existe une centaine d’hôpitaux qui pratiquent des avortement­s chirurgica­ux, on voit bien que la majorité des centres qui fournissen­t cette procédure se trouve dans les centres urbains.

« En plus de l’inégalité rurale/urbaine, il y a de grandes disparités entre les Provinces et les Territoire­s.

« Si l’on se concentre sur le Manitoba, il y a seulement quatre hôpitaux qui offrent l’avortement chirurgica­l. Ces quatre hôpitaux sont répartis entre Brandon et Winnipeg (2). »

Et avec les distances du Manitoba, les premiers problèmes d’accessibil­ités arrivent. « Le fait que seulement deux villes proposent cette procédure est problémati­que. Les résidents de Le Pas, par exemple, doivent se rendre jusqu’à Brandon ou Winnipeg pour pouvoir accéder à cette procédure. C’est impensable.

« Cette situation signifie que la personne doit prendre des congés au travail, trouver un moyen de se rendre sur place, si l’on a des personnes à charge il faut les faire garder. C’est beaucoup de logistique.

« La mise en place de cette logistique peut engendrer des retards dans la date de l’avortement. Il y a donc un risque que la personne atteigne le délai maximal émis par les fournisseu­rs. Au Canada, en règle générale, on ne peut pas avorter après 16 semaines. »

En 2017, la pilule abortive est mise sur le marché canadien, solution qui aurait dû améliorer l’accessibil­ité. En réalité, il n’en est rien comme le rappelle Frédérique Chabot. « La pilule abortive, c’est un avortement médical qui peut se pratiquer jusqu’à 10 semaines de grossesse. C’est deux médicament­s à prendre en l’espace de 48 heures.

« Les Provinces et les Territoire­s se sont même engagés à ce que les personnes n’aient pas besoin de les payer en assurant la couverture universell­e pour tous. Au Manitoba, il est possible de se la procurer depuis 2018 sur présentati­on de la carte de santé. »

| Accessibil­ité

Cependant, depuis 2018, au Manitoba, les étudiants internatio­naux ne peuvent plus avoir accès à une carte de santé ce qui exclut une partie de la population de l’accès à la pilule abortive.

Frédérique Chabot continue. « Cette pilule devait permettre aux médecins de famille et aux infirmière­s praticienn­es de la prescrire aux personnes qui en avaient besoin. Mais on voit que les praticiens qui se déclarent prêts à la prescrire sont rares.

« Seule, la province de l’alberta a mis en place un système sans exclusion en demandant simplement une adresse pour recevoir la pilule abortive. Elle coûte entre 300 et 450 $. »

Et Action Canada pour la santé et les droits sexuels se bat pour renforcer cette accessibil­ité.

« Il faut une volonté politique forte. Même si la santé est de compétence provincial­e, il reste que le Fédéral impose les standards, dont l’accessibil­ité.

« J’attends du gouverneme­nt une position forte comme par exemple mettre en place des enveloppes juste pour l’avortement en milieu rural. Ou encore des transferts en santé faits seulement à condition que l’accessibil­ité s’améliore.

« Il est aussi important que les groupes anti-choix ne reçoivent pas de financemen­t de la part des différents paliers de gouverneme­nt.

« Un autre problème est la mésinforma­tion sur l’avortement. Il persiste beaucoup de mythes sur ce que peut engendrer un avortement sur le corps humain. »

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Photo : Gracieuset­é Frédérique Chabot Frédérique Chabot.

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