Les pensées récompensées de Paul Savoie
Paul Savoie a remporté en avril 2022 le Prix Champlain, qui récompense les auteurs francophones d'amérique du Nord hors Québec. C'est son recueil de poèmes Ce matin, publiés aux Éditions David en août 2020 qui a été distingué par le Regroupement des éditeurs franco-canadiens. Extrêmement personnel, l'ouvrage plonge le lecteur dans les doutes et les questionnements d'un homme au lever du soleil.
«Dans un de mes livres, À la façon d’un charpentier, qui est un livre très personnel, je parlais de quand j’étais jeune. J’étais à l’école élémentaire, Les jardins de l’enfance, à Saintboniface. J’allais m’installer sur le pont Provencher, puis je passais des heures seulement à regarder le dégel de la glace. Je regardais les flots et le bruit que ça faisait sur le pont. » Depuis son enfance à Winnipeg, Paul Savoie est un grand rêveur. Et malgré près de 50 ans de carrière, il continue à se poser des questions existentielles au travers de ses oeuvres littéraires.
Ces oeuvres, Paul Savoie les a toujours travaillées de la même manière. Et Ce matin n’échappe pas à cette règle, au contraire :
« J’ai une façon assez étrange de travailler. Moi ce que je fais, c’est que je laisse la chose partir, être là... Souvent, ce qui arrive, c’est que je peux passer une semaine sans écrire un mot puis un moment donné, je vais écrire d’une traite dix ou quinze pages. Il faut toujours que je change de place quand j’écris. Je vais être à la table de la cuisine, dans mon divan, sur mon lit. Je vais m’étendre de toute sorte de façon, je fais comme des espèces d’acrobatie. »
L’auteur, qui vit maintenant en Ontario offre à ses lecteurs dans cet ouvrage, une plongée dans les songes d’une personne se levant un matin, et qui se questionne sur ce qui se trouve derrière sa porte. Divisé en trois parties, Le vide, L’ouverture et La vérité, le livre raconte les pensées du personnage à chaque étape de son processus de réveil. Le court recueil de 80 pages est pour son auteur :
« Un espace de mouvement vers quelque chose de mystérieux. C’est comme un risque, moi-même, en écrivant, je ne savais pas, ce qu’il se passait de l’autre côté de la porte. »
| La quête de réponses
Il faut lire Ce matin pour se rendre compte de l’ambivalence de l’homme dépeint dans le livre, et qui se dirige vers cette porte. Pressé, mais timide; excité, mais paniqué. Dès le début de l’écriture, Paul Savoie était d’ailleurs dans une forme d’inconnue, comme s’il était un lecteur qui découvrait le contenu au fur et à mesure :
« Quand j’ai commencé à écrire ce recueil, je ne savais vraiment pas où je m’en allais avec ça. Mais vraiment explorer ce que ça voulait dire cette étincelle qui venait vers moi. Est-ce que ça va me donner une réponse à ces grands questionnements de toute ma vie? Et puis mon oeuvre est comme ça. »
Quand on lui demande si ce personnage le représente, Paul Savoie hésite, mais la soif de trouver des réponses à ses questions semble être un point commun entre lui et le protagoniste :
« La chose aussi très étrange dans le livre Ce matin, c’est que je voulais donner une réponse à la fin. J’ai dit : Ok, je vais y arriver puis quand je vais ouvrir la porte, il va se passer quelque chose. Mais je ne pouvais pas exprimer ce qu’il y avait de l’autre côté, je me souviens de mon questionnement : Peutêtre que c’est mieux de ne pas chercher à vraiment répondre. »
C’est pour cette écriture fine et aérienne que Ce matin a remporté le Prix Champlain en 2022. Malgré une quarantaine d’oeuvres et plusieurs prix prestigieux dont un Prix Champlain, déjà, en 2013 pour Dérapages, Paul Savoie savoure cette récompense qu’il reçoit comme une belle reconnaissance du public :
« Je n’écris pas pour les prix, mais je suis très content quand j’en reçois. Ça fait vraiment sentir que je fais partie d’une communauté. Ça m’encourage à continuer. Car je ne sais jamais d’année en année si je vais poursuivre ma démarche, est-ce que c’est mon dernier livre? »
Cette récompense résonne d’autant plus chez l’auteur d’origine manitobaine, car il a oeuvré toute sa vie à faire rayonner la littérature francophone hors du Québec :
« L’autre aspect extraordinaire pour ce prix en particulier, c’est que cela s’adresse à des gens comme moi qui pendant toute leur vie ont travaillé dans les milieux minoritaires. Un prix comme celui-là nous met dans un contexte. Souvent, on a l’impression de travailler dans le vide ou dans le grand silence. Je trouve ça vraiment important de se faire reconnaître dans ce contexte-là. »
Une reconnaissance qu’il tient aussi à adresser à tous les lecteurs de son livre. Un ouvrage dont il sait que le calme rend la lecture moins exaltante :
« Il n’y a pas beaucoup d’action dans le livre. Dans le fond, il ne se passe rien. Il se passe juste ce mouvement très lent vers l’aube, et une porte qui va peut-être s’ouvrir. Le fait que les gens soient capables d’accepter ça, ça me touche beaucoup. J’ai l’impression que ça veut dire que je vais continuer mon raisonnement. »