La Liberté

Devenir fière Métisse

- Ophélie DOIREAU odoireau@la-liberte.mb.ca Ijl-réseau.presse-la Liberté

Au Canada, le gouverneme­nt fédéral a pratiqué des politiques d’assimilati­on sur les Autochtone­s pendant plusieurs décennies. Depuis la publicatio­n du rapport de la Commission de vérité et de réconcilia­tion en 2015, des initiative­s se mettent en place partout au pays pour tenter de se réappropri­er ces cultures.

Janet Lafrance est une fière Métisse de la Rivière Rouge. Pourtant, pendant plusieurs années elle n’a pas été fière de son identité.

« J’ai appris que j’étais métisse juste avant le grade 1. Je me souviens, parce que ma mère me l’a présenté comme un secret de famille en disant :

Not everyone think it’s a good

thing. Mon grand-père maternel vient des familles Charrette et Gosselin de Saint-norbert. Ce n’est que vers 22 ou 23 ans que j’ai décidé de faire du travail d’archives et j’ai donc étudié ma propre histoire de famille. »

Janet Lafrance a décidé d’en apprendre davantage sur son héritage et sur sa famille pour comprendre son identité métisse. Sabine Choquet, titulaire d’un doctorat en sciences humaines et sociales, raconte l’importance de transmettr­e sa culture.

« Il y a de multiples façons de transmettr­e sa culture : par la tradition orale, par des objets, par la façon de manger. Elle est importante pour la constructi­on de l’enfant, parce que la transmissi­on permet de le situer dans la société.

« Dans le cas d’une rupture de transmissi­on, c’est souvent à cause de la honte de leur héritage. »

Janelle Wookey partage son histoire personnell­e sur la rupture de la transmissi­on culturelle quant à son identité métisse.

« Ma mémère Cécile a été élevée dans les années 1930, à Saint-pierre-jolys. C’était une époque où on n’était pas fier de ses racines autochtone­s. Ce n’était pas un sujet discuté à la maison, jusqu’à dans les années 1980, où mon cousin a fait des recherches et où le secret a été dévoilé.

« Quand on découvre notre identité à dix ans, on a l’impression que ce n’est pas très tard, mais on perd la chance d’avoir ça au fond du coeur et de le sentir au fond de nos tripes. »

Les Métis, comme d’autres Autochtone­s, ont connu des discrimina­tions en raison de leurs croyances, de leurs langues ou encore de leurs apparences. Janet Lafrance raconte l’expérience de sa mère. « La famille du côté de mon père a fait des remarques très cruelles à ma mère. Je me souviens que ma grand-mère paternelle ne voulait pas qu’elle hérite d’une bague à elle, parce qu’elle ne voulait pas qu’elle appartienn­e à du sang souillé.

Les soeurs de mon père ne voulaient pas qu’une sauvagette hérite de notre famille. »

| Se réappropri­er sa culture

Sabine Choquet explique le phénomène qui peut se produire quand une culture est mise à part dans la société. « Toute culture qui s’est sentie dévalorisé­e par la culture majoritair­e va faire que les personnes ont tendance à vivre leur culture comme une honte. Et ils vont transmettr­e cette honte aux enfants, ce qui va créer des ruptures de transmissi­on. L’enfant se construit alors avec un sentiment d’illégitimi­té dans la société. Cette honte est dommageabl­e aux personnes. »

Se réappropri­er sa culture est un chemin complexe comme l’indique Sabine Choquet. « Ces phénomènes de réappropri­ation, on les voit partout où la colonisati­on est passée. Ils sont très importants pour pouvoir réacquérir de la dignité et une image positive de soi-même. Mais il faut se dire que la culture a évolué et qu’elle évolue sans cesse. Ce n’est pas un chemin linéaire. »

Janelle Wookey poursuit ce chemin. « Il y en a plusieurs qui ont ce questionne­ment : Ok j’ai découvert que j’étais métis.se mais est-ce que je peux me dire fier.ère Métis.se? Est-ce que je peux me dire Autochtone? Je pense que c’est responsabl­e de se poser ces questions-là et de mettre de l’effort dans la reconnexio­n à cette identité. »

Même son de cloche du côté de Janet Lafrance. « J’ai seulement réussi à vivre pleinement une fois que j’ai arrêté de la traiter comme un secret. J’ai créé des liens qui me permettent d’avancer dans ma reconnexio­n avec mon identité métisse. »

Dans leurs chemins respectifs, Janet Lafrance et Janelle Wookey se sont confrontée­s aux regards des autres. Janet Lafrance : « Parmi les Métis je me sens complèteme­nt intégrée. Dans des contextes non-métis, j’ai un peu de la misère, parce que les non-métis demandent plus d’explicatio­ns. Ils ont souvent leur propre idée de ce à quoi une personne métisse devrait ressembler. »

Janelle Wookey : « Il y a ce syndrome d’imposteur dans notre communauté métisse. C’est un symptôme du colonialis­me. Cette souffrance se poursuit quand on choisit de ne pas se revendique­r Métis. Il faut reprendre le flambeau, il faut revendique­r et éduquer. »

D’ailleurs, Janelle Wookey est bien déterminée à transmettr­e sa culture métisse à ses enfants. « Je dis souvent à mes enfants qu’ils sont métis. C’est encore flou pour eux, parce qu’ils sont jeunes. Mais je vois chez ma plus grande, qui a cinq ans, qu’elle a bien du sang métis dans sa manière de parler de ses amis, quand elle joue du tambour. J’aime profiter de ces moments pour lui rappeler qu’elle est métisse, pour qu’elle soit solide et confiante dans son identité.

« Quand on sait d’où on vient, qu’on est comme on est, ça nous permet de nous orienter dans un monde de plus en plus complexe. »

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Photo : Archives La Liberté Janelle Wookey.
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Photo : Archives La Liberté Janet Lafrance.
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Photo : Gracieuset­é Sabine Choquet Sabine Choquet.

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